Les îlots d’avenir, des expérimentations sous contrôle face aux changements climatiques
"A cause de la forte vulnérabilité climatique des espèces et de l’importante surface forestière concernée, il faut trouver des espèces et des provenances plus résistantes", déclare Brigitte Musch, responsable du Conservatoire génétique des arbres forestiers (CGAF) à l’ONF. C’est l’objectif des îlots d'avenir.
Rattachés au projet de recherche RENEssences (Réseau national d'évaluation de nouvelles essences), ces derniers vont permettre de démultiplier les résultats des expérimentations et de tester, en conditions réelles de gestion forestière, de nouvelles essences et provenances d’arbres.
L'objectif : sélectionner les plus adaptées et augmenter ainsi le panel d’espèces forestières susceptibles de résister au changement climatique. A terme, ces îlots permettront aussi de récolter des graines issues de ces nouvelles essences d'avenir et adaptées aux conditions climatiques françaises.
Un projet unique en France
Qu'est-ce qu'un îlot d'avenir au juste ? Constitués d'une seule essence, ces îlots sont implantés en forêt sur de toutes petites parcelles de 0,5 à 2 hectares (surface maximum de 5 hectares), et leur capacité d’adaptation au milieu et d’évolution est analysée en continu par les experts du département Recherche, développement et innovation (RDI) de l’ONF.
Le suivi de l'essence implantée est strict et régulier et fait l'objet d'un protocole de gestion : "La question de l’envahissement des espèces est intégrée dans notre démarche et sur ce point comme sur d’autres, les îlots font aujourd’hui l’objet d’un suivi intensif", témoigne Xavier Bartet du département Recherche, développement et innovation à l'ONF.
L’origine du plant, le lieu de plantation, son évolution… Tout est référencé et aucune essence, dont le caractère invasif était connu, n’a évidemment été sélectionnée. "Il peut arriver néanmoins qu’une espèce d’arbre non invasive dans son milieu d’origine le devienne dans un nouveau contexte", reconnaît Brigitte Musch, chercheuse à l'ONF. Si un problème est constaté, l’essence sera immédiatement retirée et rayée de la liste des espèces potentiellement prometteuses et l'îlot d’avenir détruit.
Conçus en collaboration avec les chercheurs de la forêt privée et des instituts spécialisés, ces laboratoires à ciel ouvert vont permettre de recueillir des données sur la croissance des arbres, leur mortalité éventuelle, leur adaptation au terrain, au climat... Ces analyses constituent un apport précieux pour les choix de gestion sylvicole à plus long terme.
A l’ONF, nous avons l’habitude d’appeler “îlots” des petites parcelles sur lesquelles nous menons une forme de gestion différente : îlots de sénescence, îlots de vieillissement pour la biodiversité… Les îlots d’avenir, quant à eux, font référence à la volonté de l’Office de consacrer des zones à l’expérimentation et à la recherche d’une forêt résiliente pour demain. C'est une des pistes que nous explorons, avec précaution et avec la conviction que face au changement climatique, il n' y a pas une seule réponse possible, mais tout un panel de solutions à mettre en place.
La forêt domaniale de Haye (Meurthe-et-Moselle) est l’une des premières forêts où ont été installés des îlots d’avenir en France. Pour remplacer le hêtre et le chêne pédonculé, trop sensibles à la hausse des températures, trois essences ont été sélectionnées : le chêne pubescent, le sapin de Turquie et le Calocèdre.
Le début des plantations a eu lieu en mars 2017. Au total, 1 110 plants ont été introduits. Dans le Grand Est, les campagnes de plantation se sont poursuivi jusqu’en 2022. 75 îlots de deux hectares, au sein desquels ont ét introduits 300 000 plants. Leur suivi sera effectué par les gestionnaires locaux et les données seront collectées pour analyse.
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525 îlots d'avenir, représentant 922 hectares, ont été implantés partout en France. Les régions Grand est et Bourgogne Franche-Comté sont les plus concernées.
Les étapes de la construction d'un îlot :
- Le choix des essences à tester en fonction de l’enjeu et le niveau de vulnérabilité de la zone s’appuie sur les fiches (plus de 200) du projet CARAVANE du RMT AFORCE (voir encadré ci-dessous). Elles comportent 37 critères prenant en compte par exemple la vulnérabilité à la sécheresse ou aux bioagresseurs mais aussi des critères de productivité et qualité du bois. Elles permettent ainsi, en amont des plantations, de choisir les essences à tester dans chaque îlot. Certains dispositifs, plus anciens, comme les arboretums ont fourni également de nombreuses informations sur l’adaptation des essences qui ont été inclus dans ces fiches.
- Le choix du site d’implantation. Il doit être représentatif de la région forestière. Les terrains où la forêt ne se régénère pas naturellement sont favorisés.
- L’élevage en pépinière des plants et leur plantation : des contrats de culture sont passés avec des pépinières pour l’élevage en 1, 2 voire 3 ans de plants aptes à être introduis dans les forêts. Souvent, et parce que les populations d’ongulés sont trop abondantes, il est nécessaire de les protéger de la dent du gibier au moyen d’une clôture ou de gaines individuelles. Le taux de survie des plants et leur croissance sont ensuite surveillés. Ce suivi permet aux gestionnaires forestiers d'observer le développement et la résistance de ces nouvelles essences et d'envisager progressivement une gestion adaptée mais aussi de mutualiser les résultats au sein du réseau RENEssences.
Le RMT AFORCE, c'est quoi ?
L'Office national des forêts (ONF) est partenaire du Réseau Mixte Technologique (RMT) pour l'Adaptation des FORêts au Changement ClimatiquE (AFORCE), qui rassemble 15 partenaires du milieu forestier (organismes de recherche, de développement, de gestion, d'enseignement et de formation : la liste complète est ici).
Ses objectifs : aider les forestiers à adapter les forêts au réchauffement climatique, notamment en créant des lieux d'échanges, en permettant la création d'outils pour guider le diagnostic et la décision ou encore pour favoriser l'émergence de projets communs.
La coordination de ce réseau innovant est assurée par l'Institut pour le Développement Forestier du Centre National de la Propriété Forestière (CNPF-IDF). Les financeurs sont l'interprofession nationale France bois forêt (FBF) et le ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation.