La protection des dunes : une histoire qui a de l'avenir !
En France, l’Office national des forêts gère 380 kilomètres de linéaire côtier recouvrant 90.000 hectares. Les techniques de protection mises en œuvre depuis le début XIXe siècle ont été affinées grâce à l’observation des processus naturels. Fixer le sable, faire du contrôle souple, installer des brise-vents... aujourd’hui, des techniques de génie écologique ont fait leurs preuves et sont plus que jamais d’actualité dans le cadre des changements climatiques à venir. Mais quelle histoire se cache derrière ce savoir-faire ? C'est ce que nous vous proposons de découvrir...
Fixer le sable, éviter l’engloutissement des villages
Lors de la transgression marine dite "flandrienne" qui a débuté il y a 19.000 ans, la fonte des glaces a entrainé une élévation du niveau marin de près de 120 mètres. Cette modification majeure s’est accompagnée d’une remontée des nombreux sédiments déposés par les fleuves sur le plateau continental lors des maxima glaciaires. Ces sédiments se sont accumulés sur une zone côtière qui coïncide plus ou moins avec le tracé actuel de nos côtes.
Ces stocks de sédiments ont été ensuite remaniés au cours des évolutions climatiques que subissaient nos littoraux, les dynamiques de végétation étant conditionnées aux climats successifs.
Lors du Petit âge glaciaire, période climatique froide survenue approximativement en Europe et en Amérique du Nord du début du XIVe à la fin du XIXe siècle, le niveau abaissé de l’océan a permis la mobilisation de sédiments. Cela s’est traduit par l’apport à la côte de quantités de sable très importantes. Les chroniques de la fin du XVIIIe siècle regorgent d’exemples d’églises, de villages ensevelis par le sable des dunes sur la côte atlantique lors de tempêtes.
Au début du XIXe siècle, l'Etat a organisé la fixation d'une grande partie des dunes littorales de la côte atlantique. Les objectifs poursuivis étaient l’assainissement des territoires marécageux dont l’avancée des dunes mobiles entravait les écoulements naturels et l’arrêt d’engloutissement des territoires. Cette action concerna principalement les dunes situées entre le sud de la Bretagne et la frontière espagnole. D’autres massifs dunaires, plus au nord, le long de la presqu’île du Cotentin par exemple, bénéficiaient d’une dynamique végétale naturelle permettant le développement d’une végétation fixatrice suffisante.
A proximité du rivage, dans les régions à fort transit sableux (Aquitaine, Charente) les dunes bordières - toujours alimentées par la plage - furent transformées en un cordon continu. Ce cordon a été calibré selon un profil à versant au vent de faible pente afin de devenir un véritable piège à sable édifié au plus près de l’océan. Des systèmes de palissades en bois qui étaient régulièrement remontées au fur et à mesure de leur ensablement permirent de constituer un bourrelet sableux. Il convenait de planter ce cordon avec des végétaux adaptés à ces milieux salés, mobiles et ventés. L’oyat (Ammophila arenaria) se révéla l’espèce pionnière la plus adaptée et la plus facilement bouturable pour fixer les dunes. Cette graminée, qui peut développer des rhizomes sur plusieurs mètres de longueur, supporte très bien l’ensablement et sa partie aérienne est parfaitement protégée contre le mitraillage des grains de sable.
Plus à l’intérieur des terres, les techniques utilisées pour fixer les sables reprirent les expérimentations que le chanoine Desbiey avait présentées en 1774 à la Société Académique de Bordeaux. Pour immobiliser les sables, il proposait de favoriser la végétation : après avoir semé des graines de pins, de genêts et d'ajoncs, il avait étendu tout simplement sur le sol des branches d'arbres, qu'il fixait au moyen d'un crochet de bois enfoncé dans les sables. Les graines semées sous ces abris avaient germé aussitôt. Tout était dit, c’était le début de la longue histoire de la fixation des dunes !
Toutes ces techniques permirent la création d’un paysage original, de la dune non boisée à la forêt (essentiellement constituée de pins maritimes). Ce paysage construit de la main de l’homme protège les territoires des invasions sableuses, et est aujourd’hui le support d’activités humaines : jusque dans les années 1950 pour l’exploitation de la résine de pin (le gemmage), puis la production de bois et les activités de loisirs.
De la protection des territoires à la conservation des écosystèmes
Au XXe siècle, et plus particulièrement dans sa deuxième moitié, l’explosion du tourisme balnéaire a fait passer les zones littorales du "vide" au "trop plein". L’occupation du littoral s’est "approchée" au plus près de la mer, siège d’une économie florissante et objet d’une demande sociétale forte. Mais la zone côtière, notamment sur les littoraux sableux, est mouvante par définition.
Les cordons dunaires, après avoir souffert d’un manque d’entretien entre 1914 et 1945, furent de nouveaux l’objet de travaux d’envergure, souvent sous la forme d’un "remodelage mécanique". Il faudra attendre la fin des années 1970 pour que cet "idéal théorique" dunaire soit abandonné progressivement au profit d’une gestion plus durable favorisant des dunes semi-naturelles (plantation d’oyats, couvertures de branchages, filets brise vent), plus complexes et variées sur un plan écologique.
En collaboration avec les scientifiques, et en réponse à la préoccupation grandissante de la société envers la préservation de la biodiversité, l’ONF va alors formaliser le mode de gestion dit du "contrôle souple". Cette méthode vise à utiliser les processus naturels (vent, dynamique végétale…) pour piéger le sable. C'est la base de la mission d'intérêt général de contrôle de l'érosion dunaire, une mission confiée par le ministère chargé des forêts à l'ONF.
Les savoir-faire de base sont ceux qui permettent de réguler la capacité érosive du vent en réduisant sa vitesse, en facilitant son écoulement et en augmentant la cohésion de la couche superficielle du "sol" dunaire. Grace à une connaissance fine des processus et des sites gérés, à des techniques rustiques, économes et fiables, et à des interventions d’entretien répétées, l’ONF met en œuvre cette gestion qui respecte les processus naturels et vise à remplir simultanément plusieurs fonctions :
- protéger l’arrière-pays en évitant les invasions sableuses ;
- conserver des écosystèmes rares et originaux, paysages et lieux de vie recherchés. Les dunes "grises" par exemple sont un habitat prioritaire de la Directive européenne "Habitat, faune et flore" ;
- participer à un accueil touristique raisonné ;
- modérer l’érosion marine (le sable stocké dans l’avant-dune nourrit la plage pendant les phases d’érosion) ;
- un premier rideau d’absorption de l’énergie des houles et éventuellement une zone d’expansion face aux submersions marines, pour protéger les zones basses rétro littorales.
Les milieux ainsi gérés, selon un principe favorisant les mosaïques d’habitats, sont mieux à même de réagir et d’assurer une résilience forte face aux aléas littoraux (érosion marine, submersion…). Les sites dunaires constituent des écocomplexes résultant d’une évolution biologique vieille de plus de 5.000 ans. La biodiversité y étant considérable, les gestionnaires doivent tout mettre en œuvre pour protéger les éléments les plus remarquables de notre patrimoine naturel collectif. La connaissance des particularités biologiques des milieux dunaires doit permettre, dans le cadre d’une gestion durable, d’assurer une meilleure conservation de ces espaces.
Les 4 techniques de base de la protection dunaire
Ces techniques s'appuient sur la tendance naturelle des obstacles meubles à prendre un profil aérodynamique. L'ONF cherche alors à faciliter la colonisation végétale naturelle. En effet, la flore et sa couverture au sol - élément fort du patrimoine biologique - est aussi le principal outil de contrôle de la dynamique dunaire et d'évaluation de l'état du milieu.
- Les couvertures de débris végétaux : les deux types les plus répandus sont les couvertures planes de branchages fins (buissons de genêt, de bruyère à balais…) étalés manuellement et les couvertures mécaniques de gros branchages (pin maritime, chêne vert…). Cette technique crée des conditions favorables à la végétalisation par piégeage de graines, augmentation de la rétention d'eau et apport d'éléments minéraux et organiques.
- Les brise-vents : ce sont des obstacles verticaux de perméabilité et de hauteur variable. Ils réduisent la vitesse du vent à proximité du sol. Ce qui limite la déflation et provoque le dépôt du sédiment transporté. Le mode d’implantation le plus efficace est une succession de rideaux parallèles, perpendiculairement aux vents dominants. Il peut s’agir de barrières en lattes de châtaignier (les ganivelles), ou de filets en fibre végétale.
- Les plantations : sur les dunes régulièrement entretenues et ne subissant pas une fréquentation excessive, la dynamique naturelle suffit en général pour assurer une couverture végétale satisfaisante en recouvrement et en diversité. En dehors des chantiers de réhabilitation, les surfaces plantées sont peu étendues. Le nombre de végétaux utilisés est réduit. La principale espèce est l’Oyat (le Gourbet des Aquitains), dotée de fortes adaptations au milieu. Elle est très résistante à l'ensablement grâce à l’ émission de rhizomes qui se développe au fur et à mesure de son recouvrement. Elle dispose d’un long et dense réseau racinaire. Elle tolère le mitraillage et une salinité modérée... D'autres végétaux indigènes peuvent être plantés ou semés sur les dunes. Des essais fructueux ont été faits avec l'Armoise de Lloyd (Artemisia campestris ssp maritima), l'Immortelle des dunes (Helichrysum stoechas)… Cependant, c’est le Chiendent des sables (Elytrigia juncea) qui a connu le plus grand développement au cours de la période récente. Cette graminée caractéristique des avant-dunes, très résistante à la salinité, est donc mieux adaptée que l'Oyat en pied de versant externe des cordons dunaires.
- Les modelages : la suppression de touffes relictuelles de végétation permet d’éviter les trop fortes turbulences dues au vent, et va ainsi permettre au sable de se répartir de façon aérodynamique pour reconstituer un profil dunaire souhaité.
Une prise de conscience des nouveaux risques au début du XXIe siècle
Mais depuis le milieu du XXe siècle, les apports de sable s’amenuisent. Cette pénurie sédimentaire est due à l’épuisement des stocks sous-marins mobilisables et aux modifications apportées par l’homme dans le transport des sédiments par les fleuves (barrages, extractions, ouvrages). Les cordons dunaires subissent également l’augmentation de la pression des évolutions sociales (déprise agricole, essor démographique et touristique…). On assiste à une multiplication des enjeux sur les côtes : infrastructures, urbanisation, etc.
L’intensité et la fréquence des multiples tempêtes de la fin du XXe et du début du XXIe siècle (tempêtes Lothar, Martin, Klaus, Xynthia…) ont fait comprendre que les aléas littoraux pouvaient menacer bon nombre de biens imprudemment implantés trop près du littoral. Les dunes, avec leur capacité d’adaptation aux forçages météo marins, peuvent être des espaces tampons permettant une adaptation aux évolutions inéluctables des espaces littoraux.
En général, les réponses apportées en matière de gestion du trait de côte sont différentes selon les situations et les enjeux. Différentes options peuvent être retenues :
- libre évolution des terrains littoraux ;
- accompagnement des processus naturels ;
- organisation du repli stratégique ;
- maintien du trait de côte en réalisant des ouvrages de défense côtière.
Traditionnellement, même face à des enjeux faibles, la réponse apportée presque systématiquement, consistait à "durcir" le trait de côte par des ouvrages, offrant une protection onéreuse et toute relative. Bien entendu, les solutions dépendent de la complexité des situations et des échelles de temps considérées.
En ce qui concerne les dunes domaniales, la politique adoptée mise sur le choix de la souplesse, qui implique la possibilité de translation vers l'intérieur des terres en cas d'érosion marine chronique. Ce recul éventuel peut se faire sans dommages si la largeur des espaces naturels d’arrière dune est suffisante. Cette solution, même envisageable dans des secteurs où le cordon bordier est très réduit, peut permettre de redonner de la largeur au système dunaire et l’aider à mieux remplir son rôle de piège à sable. Simple, basée sur la connaissance des écosystèmes de référence préalablement établis, cette techniques favorise une mosaïque paysagère, comprenant les différents stades évolutifs, qui donne aux dunes domaniales une meilleure résilience face aux perturbations (naturelles ou anthropiques) et qui génère des paysages attractifs et variés.
Les solutions fondées sur la nature demeurent des réponses moins couteuses pour la collectivité nationale, adaptables, et sources de biodiversité. Face à des aléas inéluctables (érosion marine notamment), une gestion raisonnée des milieux dunaires permet de mettre en œuvre progressivement une adaptation du territoire, en concertation avec les populations. En accompagnant la dynamique naturelle, le contrôle souple doit favoriser la conscience du risque puisqu’il ne masque pas les effets des processus naturels inévitables.
La gestion dunaire doit toutefois s’appuyer sur une maitrise du foncier, car il est nécessaire de pouvoir disposer d’espaces d’accommodation pour organiser un recul maitrisé des dunes. C’est à ce prix que les écosystèmes peuvent s’adapter.
Les dunes à l’épreuve des changements climatiques
À la rencontre entre la terre et la mer, le littoral est soumis aux aléas naturels du territoire dans lequel il s’inscrit. Il s’agit principalement de l’érosion du trait de côte, l’ensablement ou la submersion marine. Ces phénomènes sont liés à des évènements météorologiques (tempête, cyclone, forte dépression et vent de mer) ou océanographiques (houle, marée, tsunami) d’ampleur très inhabituelle.
Les modifications générales telles que l’augmentation des températures moyennes, la potentielle augmentation des évènements extrêmes (tempêtes, vagues de chaleur…) entraineront une nécessaire adaptation des écosystèmes forestiers et dunaires littoraux.
Parmi les effets constatés et futurs liés aux changements climatiques, les dunes non boisées sont et seront impactées à plusieurs titres.
L’aggravation des phénomènes d’érosion marine liée à l’évolution des évènements extrêmes et à l’augmentation du niveau marin moyen va entrainer une perte de surface de terrains. Elle s’accompagnera également d’une reprise de l’érosion éolienne sur les littoraux sableux. Le contrôle de la végétalisation des cordons dunaires sera donc primordial pour se préserver de la remise en mouvement brutale des stocks de sable, menaçant l’arrière-pays (constitué en partie de forêts littorales) et éviter une perte de biodiversité.
- Les risques de submersion des zones basses seront augmentés. On assiste déjà, lors de tempêtes, à l’envahissement de peuplements forestiers par la mer dans certaines iles du Centre Atlantique (Oléron et Noirmoutier en particulier).
- L’élévation du niveau de l’océan pourra aussi se traduire par une remontée de la nappe d’eau salée dans les massifs dunaires, entrainant des dépérissements de la végétation fixatrice en place.
Face à ces défis, les techniques éprouvées basées sur le génie écologique sont susceptibles de permettre l’adaptation des écosystèmes aux évolutions prévisibles… sans compromettre leur adaptation aux conditions futures encore inconnues.
Les gestionnaires devront donc faire preuve de beaucoup d’observation et de pragmatisme pour maintenir la succession la plus complète des habitats dunaires, en suivant les évolutions des milieux naturels, et aussi d’humilité en acceptant parfois de perdre temporairement des faciès durant la translation inéluctable des cordons littoraux.