“Nous devons adapter nos modes de gestion pour mieux répondre aux grands enjeux climatiques, environnementaux et sociétaux”

Face au changement climatique, l'Office national des forêts (ONF) fait évoluer sa stratégie forestière dans les forêts publiques. Gestion durable, forêt mosaïque, diversité et recherche de solutions fondées sur la nature sont les maîtres mots de ce nouveau plan de gestion.
Interview de François Bonnet, directeur général adjoint de l'Office national des forêts (ONF).

L’ONF propose une nouvelle stratégie forestière pour la gestion des forêts publiques. A quels enjeux répond cette feuille de route ?

Nous faisons aujourd’hui face à des changements majeurs dans notre société. Le premier est celui du changement climatique et de son accélération inédite qui nous impose d’agir avec détermination si l’on veut garantir l’avenir des forêts françaises et leur résilience. Sécheresses, émergence de pathologies et de crises sanitaires : partout en France, les écosystèmes forestiers sont fragilisés et menacés. Malgré les incertitudes, le pire serait de ne rien faire.

Grâce aux travaux de recherche développés par l’ONF avec ses partenaires tels qu’INRAE, nous avons déjà commencé à envisager différentes solutions pour permettre aux forêts de s’adapter. Mais il nous faut aussi, plus profondément, faire évoluer notre stratégie de gestion pour répondre à cet immense défi qui concerne la société toute entière. Cela rejoint un second enjeu majeur : celui de s’ouvrir plus largement aux citoyens pour mieux expliquer les enjeux et objectifs de cette gestion forestière, mais aussi écouter davantage les besoins et les attentes des populations.

Comment envisagez-vous la traduction de cette stratégie dans les pratiques conduites par les forestiers ? 

La gestion durable et multifonctionnelle et la recherche de solutions fondées sur la nature, avec cette devise du forestier "Agir en accompagnant la nature", demeure évidemment le socle de notre mission, mais nos techniques doivent aujourd’hui évoluer. Il s’agit d’un changement important. En matière d’adaptation au changement climatique et de préservation de la biodiversité, le mot clé pour parvenir à la résilience d’une forêt est "diversité". Plus de diversité dans le choix des essences, plus de diversité dans les structures de peuplements afin de maintenir une permanence de l’ambiance forestière, plus de diversité dans les modes de gestion pour garantir une interaction plus forte entre zones d’exploitation et zones de protection intégrale... Toutes ces actions sont au cœur du concept de forêt mosaïque que l’ONF souhaite déployer dans les forêts publiques, en partenariat avec l’Etat et les communes forestières. 

©ONF

Vous évoquez notamment la nécessité d’une sylviculture à faible impact. Qu’est-ce que vous entendez par ce terme ?

La forêt est un espace géré répondant à différents enjeux, et notamment celui, essentiel, d’une production de bois d’œuvre de qualité. Cette production est nécessaire car elle est source d’économie locale et un atout pour le dynamisme des territoires ruraux. Comme l’expliquent les experts du GIEC et du Haut conseil pour le climat, elle constitue aussi un levier vertueux dans la lutte contre le changement climatique.

Pour autant, il est essentiel d’intensifier nos efforts, notamment pour mieux maîtriser les impacts des travaux forestiers sur les paysages et sur les sols qui constituent d’immenses réservoirs de carbone. Cela passe par le maintien systématique, quel que soit le mode de sylviculture adopté, d’un couvert de végétation au sol, par la recherche de solutions adaptées aux spécificités locales en matière de récolte de bois, et par un partenariat accru avec les entreprises de travaux forestiers et les constructeurs d’engins pour éviter toute problématique de tassement ou de dégradation des écosystèmes.

Depuis la création de l’ONF, la gestion durable est au cœur des actions menées par les forestiers : production de bois dans le respect de l’accroissement naturel des forêts, préservation de la biodiversité, politique zéro phyto, encadrement des travaux forestiers, préservation des sols, principe de régénération naturelle…

Cette exigence implique aussi des moyens adaptés à la hauteur de l’ambition affichée…

La notion de forêt mosaïque, comme la mise en œuvre d’une sylviculture à faible impact et adaptative, sont des conditions pour aboutir à une forêt plus résiliente, mais elle induit nécessairement une gestion forestière plus complexe… et forcément plus coûteuse. Cela renvoie au besoin de financements complémentaires pour aller plus loin en matière d’ingénierie, de travaux de recherche, de compétences et d’investissements. La création d’espaces de dialogue et de médiation avec les citoyens et l’ensemble des parties prenantes sera indispensable pour impliquer chacun dans les décisions à prendre. Dans les forêts publiques, la forêt est un bien d’intérêt général qui nécessite la mobilisation de tous.

Cette nouvelle stratégie est-elle aujourd’hui partagée par les partenaires de l’ONF et les différentes parties prenantes ?

Les pistes que nous proposons ont été engagées aux côtés de nos partenaires dans le cadre des travaux menés sous l’égide du ministère de l’Agriculture pour élaborer une feuille de route sur l’adaptation des forêts au changement climatique. Nous travaillons de très près sur ces sujets avec la Fédération nationale des Communes forestières (FNCOFOR), l’interprofession France bois forêt et de grandes associations environnementales. Experts, politiques européennes et nationales, parlementaires, acteurs associatifs, ONG, collectifs de citoyens : tout le monde s’accorde sur le fait que la préservation et la gestion durable des forêts françaises doit être une priorité. Trouver un consensus, intensifier le dialogue avec ces acteurs et déployer de nouveaux moyens d’action est plus que jamais essentiel pour relever ce formidable défi de société.

De nombreuses actions sont déjà engagées, mais il s’agit aujourd’hui d’aller encore plus loin pour répondre aux grands enjeux climatiques et de perte de biodiversité.

Jeune plantation de chênes en forêt de Villecartier (35) - ©Giada Connestari / ONF