©Frédéric Glon / ONF

La grande Histoire des forêts (#Episode 1) : le reboisement des massifs montagneux, salvateur et protecteur

De Louis XIV à nos jours, retour sur les grandes campagnes de plantations forestières en France. Dans cet épisode se dévoilent les actions forestières en faveur de la Restauration des terrains en montagne (RTM).
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La montagne est sans doute le milieu naturel ayant bénéficié des mesures de reboisement les plus conséquentes au cours de l’Histoire. Dans ces zones de grande ruralité, le surpâturage des ovins et la coupe de bois pour le chauffage ont provoqué une mise à nue progressive de la roche. Ces pratiques se sont étendues du XIIIe siècle à la fin du XIXe, époque à laquelle les déboisements atteignent leur paroxysme.

De telles conditions se sont bien souvent avérées catastrophiques pour les populations montagnardes et celles vivant dans les régions de plaine en aval, confrontées à l’érosion, aux crues torrentielles, aux glissements de terrain, ou encore aux inondations”, relate Guillaume Peghaire, Chef du Département risques naturels à l'ONF. 

Les forêts avant/après reboisement

Gauche : ©Le village de Jarjayes (Hautes-Alpes), avant boisement / ONF  –  Droite : ©Jarjayes, après boisement / ONF

Pour limiter la fréquence et la gravité de ces aléas naturels, la construction (ou parfois la reconstruction) d’un couvert végétal est devenue nécessaire. Dans la deuxième partie du XIXe siècle, trois lois (1860, 1864 et 1882) successives définissent des périmètres d’expropriations de terres par l’Etat dans le but de les renaturer par des reboisements, réengazonnements et restauration des terres. L’objectif initial : recouvrir plus de 300 000 hectares de terrains montagneux par des arbres.

Si de nos jours, personne ne contesterait l’importance des forêts et leur indispensabilité en zone de montagne, cela n’a pas été aussi simple dans les décennies passées. En achetant des terrains privés, l’Etat s’est heurté aux revendications des populations locales. Le boisement les privait en effet de zones de pâturage, ce qui a engendré des conflits. Si bien qu’en 1928, soit 68 ans après la première loi de Restauration de terrains en montagne (RTM), seuls 118 000 hectares avaient été reboisés. Les objectifs quantitatifs formulés à l’époque ne seront finalement atteints que de nos jours. 

Après une période d’essoufflement au milieu du XXe siècle (1940-1970), l'action des services de restauration des terrains de montagne est renforcée et étendue après les drames de Passy (Haute-Savoie) et de Val-d’Isère (Savoie) en 1970 qui causèrent respectivement 71 et 39 victimes et mirent en lumière la nécessité de mieux prendre en compte les risques naturels dans des espaces montagneux désormais plus fréquentés et en plein développement économique. C’est alors que sont regroupées à l’ONF les compétences techniques relatives aux risques d’avalanche et de crue torrentielle afin de conseiller les préfets pour la prise en compte des risques naturels dans l’aménagement de la montagne.

Gauche : ©Le village de Freissinières (Hautes-Alpes) avant / ONF  –  Droite : ©Freissinières après / ONF

Les grandes étapes de la restauration des terrains en montagne

 

Juillet 1860 : loi de reboisement des montagnes
Votée à titre expérimental pour une période de 10 ans, cette loi reconnaît le caractère d'utilité publique au reboisement des montagnes. Elle prévoit, entre autres, la création de périmètres de reboisement obligatoire, où les travaux imposés au propriétaire peuvent entraîner l'expropriation en cas de non-exécution.
Juin 1864 : loi pour le réengazon-nement des montagnes
Nouvelle loi expérimentale, elle amende le texte précédent en recommandant de substituer le plus souvent possible le gazonnement au reboisement pour ménager les intérêts pastoraux.
Avril 1882 : loi de restauration et de conservation des terrains en montagne
Charte de gestion des terres d'altitude, elle reprend les dispositions de la loi de 1860 mais en limitant l'extension des périmètres aux terrains où le danger est “né et actuel". L’État prévoit la prise en charge totale des travaux sur les terrains périmétrés.
1182-1914 : âge d'or de la RTM
C'est pendant cette période que vont être réalisés la plus grande partie des travaux de restauration des terrains de montagne. Jugés à l'aune des technologies actuelles, on peut les qualifier de travaux pharaoniques, entendant par là la mobilisation de moyens financiers et surtout humains considérables. Traitement de 1 100 torrents, d'une centaine de couloirs d'avalanches et plus de 100 glissements de terrain. L'effort de boisement s'est maintenu, même si les objectifs de la loi de 1 860 ont dû rapidement être revus à la baisse. Les 177 périmètres RTM ont permis de traiter 300 000 hectares, sur lesquels 215 000 étaient déjà terminés en 1909.
1914 - 1940 : âge de la gestion
La première guerre mondiale est suivie d'un essoufflement de la
politique de restauration des terrains de montagne. Les effets, économiques et démographiques, de la guerre ont accéléré une émigration amorcée auparavant. En matière de politique RTM, on relève un fort ralentissement de la politique d'acquisition et la plupart des moyens sont consacrés à l'entretien des périmètres.
1940 - 1970 : recul de la politique RTM
Cette période marque le recul de la mise en œuvre de la politique RTM. Elle se caractérise par une diminution des crédits, une augmentation du coût de la main d’œuvre, un exode des territoires de montagne accompagné dans le même temps d’une mutation profonde des modes d’occupation de la montagne (développement touristique, principalement hivernal). Ces évolutions se traduisent par un vieillissement généralisé du parc d’ouvrages et par une densification des enjeux sur les cônes de déjection torrentiels.
Dans certains secteurs, la diminution des crédits est compensée par la construction d’ouvrages de correction torrentielle massifs en béton armé.
1970 : Relance active de la politique RTM
L'action des services de restauration des terrains de montagne est renforcée et étendue après les drames de Passy (Haute-Savoie) et de Val-d’Isère (Savoie) en 1970 qui causèrent respectivement 71 et 39 victimes et mirent en lumière la nécessité de mieux prendre en compte les risques naturels dans des espaces montagneux
Gauche : ©Le village Les Meyries (Hautes-Alpes) avant / ONF  –  Droite : ©Les Meyries après / ONF

Le résineux, roi des montagnes

Ces forêts restaurées sont celles que nous aimons parcourir, en contemplant la verdure à perte de vue et en humant la fraîcheur des bois. Derrière les chiffres, c’est tout un ensemble de paysages et d’ambiances que ces lois ont permis de reconstruire.

Sur ces terres qui, deux siècles en arrière, n’étaient que friches et érosion, se dressent aujourd’hui les hauts Sapins de l’Aigoual (Gard/Lozère), ou encore les majestueux Pins à crochets de La Mongie (Hautes-Pyrénées), pour ne citer que deux forêts RTM. Difficile d’imaginer ces massifs emblématiques sans leurs arbres, qui font toute leur splendeur. 

Naturellement, et avant le déboisement qui culmine en 1850, les résineux étaient déjà majoritaires dans les zones de montagne. Les plantations historiques de la RTM ont donc tenté de recopier la nature en sélectionnant une majorité d’essences résineuses autochtones dans l’étage subalpin et montagnard. Pin sylvestre, Pin cembro, Mélèze, Pin à crochets sont les essences les plus plantées dans le cadre de la RTM, devant le Sapin et l’Epicéa qui sont utilisés dans une moindre mesure.

Pins à crochet sur le versant nord du Mont Ventoux. - ©John Bersi / ONF

Les opportunités d'approvisionnement en graines justifient également certains choix, comme celui du Cèdre de l’Atlas. L’utilisation de cette essence dans les reboisements s’explique par d’importants échanges de graines effectués avec l’Algérie à l’époque. Pas moins de 18 700 kg de cônes de Cèdres de l’Atlas ont ainsi été alloués à la RTM.

Autre essence non autochtone plantée très largement : le pin noir d’Autriche. Il s’est établi principalement dans des zones entièrement déboisées et fortement érodées au XIXe siècle. Le pin noir était l’essence la plus adaptée pour reconstituer les sols faits de terres noires, créer une ambiance forestière.

Il a été utilisé comme “essence relais”, implantée en premier pour revenir par la suite à la forêt initiale composée entre autres de feuillus. Si quelques saules, aulnes, ou encore arbousiers ont parfois été plantés dans la création des forêts RTM, c’est surtout la dynamique naturelle qui a permis le retour des feuillus en montagne.

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Des femmes et des hommes sur les chantiers RTM

Derrière les chiffres des reboisements RTM, il ne faut pas oublier le côté humain de ces travaux titanesques. Des femmes et des hommes ont œuvré pour faire des forêts RTM ce qu’elles sont aujourd’hui. Le travail des femmes et même des enfants intervient principalement après la loi de 1882 et représente environ 7% des emplois.

Les missions qui leur étaient confiées concernaient surtout les plantations. Des feuilles de paies de l’époque montrent que ces derniers étaient salariés à un tarif moindre que les hommes, pour le même travail. Grâce à de nombreuses archives, Vérane Bréchu, technicienne forestière territoriale sur le Mont Ventoux, a contribué à l’édification d’un lieu de mémoire en forêt domaniale du Bédoin (Vaucluse).

Aux côtés de photos d’archives à taille humaine, se trouve une liste de mille noms de personnes ayant contribué aux reboisements d’une manière ou d’une autre.

Gauche : ©Le hameau de La Clappe (Alpes de Haute-Provence) avant / ONF  –  Droite : ©Le village de La Clappe (Alpes de Haute-Provence) en 1974 / ONF

Le saviez-vous ?

La Restauration des terrains en montagne est l’une des quatorze Missions d’intérêt général (Mig) confiées par l’Etat à l’Office national des forêts, au même titre que la Défense des forêts contre les incendies (DFCI), la protection du littoral ou encore de la Biodiversité et du Paysage. 

Découvrez la vie des forestiers RTM

Le village de Treschenu-Creyers (Drôme) avant (1904) et après (1995) les reboisements

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