La forêt les inspire : 5 artistes sortent du bois
La forêt a toujours inspiré, éveillé les sens et l’imaginaire des artistes. De Théodore Rousseau à Joseph Beuys, elle a également su compter sur eux comme défenseurs et porte-parole. La nouvelle rubrique "Culture F" est l’occasion pour l'ONF de vous faire (re)découvrir les artistes contemporains qui mettent à l'honneur la forêt, les végétaux ou le bois.
Voici cinq artistes dont les œuvres révèlent leur attachement aux arbres et aux forêts. A travers leur travail, et leurs multiples approches, ils dévoilent ainsi la richesse esthétique, biologique, symbolique et sensorielle de la forêt, sans oublier les menaces qui pèsent sur elle.
Fabrice Hyber, amoureux du biomimétisme
La forêt occupe une place majeure dans l’œuvre comme dans la vie de l’artiste contemporain Fabrice Hyber, né en 1961. Lorsque l’artiste a démarré ses plantations il y a trente ans, sur un terrain qu’il avait acheté avec ses premières économies, c’était une véritable innovation mais aussi un pas de côté vis-à-vis d’un monde de l’art qui aimait à l’époque se tenir à l’écart de la nature. L’idée de planter en Vendée une forêt en semant des graines, afin de mélanger les essences, quelle idée !
→ Et aussi : son interview “J'aime les forêts travaillées et soignées par l'Homme".
Aujourd’hui, sa forêt compte des séquoias, des frênes, des acacias, des marronniers, des poiriers sauvages, des chênes, tous nés à différentes périodes, et loin de la monoculture pour l’humain qui aime contempler, comprendre et ressentir le vivant. Aujourd’hui, le monde de l’art lui-même vient explorer cette forêt et se reconnecter à ses signes, ses mystères, son cycle, comme une approche joyeuse, poétique de la vie, dont il était temps de se rassasier.
Je fais du biomimétisme. Je dessine comme les plantes poussent. Je prends une graine que je fais pousser tous les jours. La graine est pour moi une question, de laquelle naît quelque chose.
"Rosée" présentée dans le diaporama ici, est une œuvre que Fabrice Hyber aime particulièrement. Le tableau est né d’une graine placée au centre. Pendant six mois, l’artiste l’a fait grandir, comme une germination, en y posant chaque jour très peu de matière. Des arbres se dressent, puis un monde les entoure.
Entre-temps, l’arbre central s’est brisé formant ainsi une clairière où entre la lumière. Pour l’artiste, ce tableau est une métaphore, celle d’un monde de relations contenu dans un tout et dont la beauté jaillit au rythme de son cycle de vie et de mort.
"La forêt est une structure commune à l’homme et à la nature, elle est le fondement de la cité et de la pensée. La ville est une copie de la forêt. La pensée aussi, rien ne décrit mieux l’intelligence qu’une arborescence. Même dans une forêt, il y a des mathématiques !" assure Fabrice Hyber.
Giuseppe Penone, messager du lien homme-nature
Né en 1947 dans une petite commune de Ligurie en Italie, Giuseppe Penone, fils d’agriculteurs, grandit dans un environnement marqué par les moissons et les saisons. L’artiste deviendra ensuite une figure tardive mais majeure de l’Arte Povera. Il tissera, jusqu’à aujourd’hui, un dialogue étroit entre l’arbre et l’homme, à la fois symbolique, anthropomorphique et littéraire. Penone place l’homme et la nature dans une communauté de destins qui empêche l’homme d’oublier son milieu d’origine, comme le voulaient, avant lui, les Romantiques.
L’arbre est au cœur des principales œuvres de l’artiste. Sa sculpture Alpi Marittime - L’albero ricordera il contatto ("Alpes Maritimes – L’arbre se souviendra du contact") est une main en acier, encastrée dans le tronc d’un jeune arbre. Au fil des années, l'arbre grandit, sauf à l’endroit où la main l’a saisi, ouvrant ainsi la réflexion sur l’emprise de l’homme sur la nature : souvent abusive, elle peut aussi être contournée par les forces vitales.
L’homme n’est pas différent des autres éléments qui composent l’univers, il fait partie de la nature et sa vie est conditionnée par son rapport avec les autres objets du vivant. Imaginer un homme séparé de la nature, c’est une vision complètement abstraite de la réalité, totalement illogique. Le lien avec la nature est fondamental ! La nature est présente dans tout ce que l’on voit, tout ce que l’on est, tout ce que l’on peut penser.
"L’arbre des voyelles" proposé dans le diaporama ci-dessus, est une sculpture en extérieur qu'on peut voir au Jardin des Tuileries à Paris, depuis 1999. Il s’agit du moulage en bronze (technique de fonte à la cire perdue) d’un véritable arbre déraciné : un chêne, cet arbre sacré tant pour les Grecs que les Celtes. Pour l’artiste, le bronze est comme une fossilisation du végétal et son oxydation, au fur et à mesure des saisons, a un aspect proche des feuilles.
Dans les racines du géant allongé, les voyelles A, E, I, O, U apparaissent, une référence à l’alphabet des druides, où chaque lettre est associée à un arbre. Autour du "masque mortuaire" de cet ancien grand sage, cinq arbres ont été plantés. Comme si les sons des voyelles s'étaient transformés en graines, issues de l’arbre déchu, renouvelant ainsi le cycle de la vie. Chêne, aulne, peuplier, frêne et if, dressent ainsi une verticale polyphonique et vivante autour de l'arbre fossilisé.
Sara Favriau, anatomiste d’une forêt en surchauffe
Sara Favriau, née en 1983, est une artiste française éclectique, qui décale les échelles, les symboles, les objets, souvent avec humour, et qui sait faire jaillir le sens d’une combinaison fortuite, parfois accidentelle. Si l’arbre occupe une place importante dans ce jeu combinatoire, il intéresse également l’artiste par sa triple temporalité, articulant passé, présent et futur.
Concernée par les enjeux climatiques et écologiques, Sara Favriau aborde aussi l'arbre et la forêt comme puits de carbone précieux et comme un bien commun qu'il est nécessaire de préserver. Déjà, son installation "Rien n’est moins comparable" présentée en Thaïlande en 2018, composée de 5 grumes (arbre abattu) exotiques sculptées, soulevait la question du goût occidental pour les bois précieux (comme le fameux Teck prisé par l’école de Design Nordique) qui conduit à leur surexploitation.
L’artiste mène actuellement un projet au long cours "d’enforestation" qui a pour titre : "Je vois trouble, longuement, un paysage transitoire", en collaboration avec l’unité de recherche "Écologie des forêts méditerranéennes" de l’INRAE Avignon, qui travaille sur les effets des changements climatiques et de la gestion forestière sur le fonctionnement des arbres et des forêts. Leurs sites d’observations de Font-Blanche (Bouches-du-Rhône) et du Mont Ventoux (Vaucluse) sont devenus les lieux d’immersion et de création de l’artiste.
Les forêts sont au carrefour de multiples enjeux, climatiques, écologiques,... à la fois contradictoires et complexes. Elles rassemblent aussi des acteurs très divers : scientifiques, forestiers, industriels, écologistes, zadistes... Ma recherche artistique se situe justement à cette intersection, dans ces zones troubles ou grises, loin d’une vision duale ou binaire, en noir ou blanc.
Elle se frotte non seulement au terrain, mais à la complexité des enjeux à la fois climatiques, écologiques, socio-économiques et sensibles liés à la forêt, pour contribuer à une prise de conscience. Ce projet art-science livrera ses résultats de recherche sous une forme poétique et sensible : sculpture, performance, pièce de théâtre, film... en collaboration avec des chorégraphes, scientifiques, musiciens. Il mettra la forêt en lumière, avec, par exemple, un arbre-pirogue qui partira en mer…
"Je crois que l’art, sa diffusion, peut être un puissant levier afin de valoriser la recherche et les phénomènes naturels. J’ai le désir de créer des œuvres optimistes, un élan pour construire un imaginaire nouveau : l’arbre, la forêt, en deviennent la clef de voûte", explique Sara Favriau.
"Cairn ou le Cercle vertueux" est une des premières créations nées de ce projet de recherche. Il s’agit d’une installation de grumes de pins d’Alep sculptés, morts naturellement. Le Pin d’Alep est une espèce endémique de la région méditerranéenne qui est aussi un marqueur biologique. L’effet du réchauffement climatique se traduit chez lui par d'importantes modifications phénologiques, notamment en termes de croissance. Les arbres sélectionnés dans la forêt de Font-Blanche en collaboration avec l’INRAE Avignon et l’ONF, ont été sculptés puis installés dans le lieu d’exposition : le pigeonnier du parc de la Villa Noailles, à Hyères.
Les parasites, qui habitaient dans ces arbres, ont proliféré durant le confinement de 2020 et continué de dévorer pendant deux mois les pins d'Alep. Les traces des colonies gloutonnes et de nouveaux habitats ont jailli sur l’écorce silencieuse, donnant à cet épisode accidentel une accélération naturelle.
Kazuo Kadonaga, révélateur de l’âme du bois
Kazuo Kadonaga est né en 1946 au Japon, dans une famille qui possédait une forêt de cèdres et une scierie. Très tôt, le travail du bois fascine le jeune Kazuo, mais il décide de démarrer sa carrière par la peinture, qu’il abandonnera rapidement, en affirmant que "d’autres peignent mieux que moi", pour se consacrer à la sculpture.
Influencé par les mouvements artistiques Arte Povera, Mono-ha et Process, Kadonaga allie art et artisanat. La hiérarchie entre ces deux champs n’existe pas au Japon, contrairement à la culture occidentale qui sépare les "arts décoratifs" des "beaux-arts".
Le bois est son matériau de prédilection, à côté d’autres matériaux naturels ou simples, comme le bambou, la soie ou le verre. Kadonaga cherche à révéler le potentiel de chaque matériau naturel en le soumettant à des expériences extrêmes.
Par exemple le bambou révèle des couleurs inconnues, une extrême dureté ou une souplesse inédite, après l’intervention de l’artiste. Kadonaga orchestre la rencontre entre un élément naturel brut et une intervention technique massive, invisible à première vue dans le résultat final. Derrière une impression de matériau naturel, se dissimile un grand travail de sculpture.
Chaque organisme vivant, plante ou animal, a une âme et mon art consiste à révéler cette âme.
L’une de ses œuvres iconiques réalisée en 1984 s’intitule "Bois No. 5-CI" (en images ci-dessus). À première vue, voici un tronc de cèdre avec des anneaux étonnement visibles. En s’approchant, ces anneaux intriguent. Il s’agit en fait de feuilles de bois collées les unes aux autres. Elle proviennent de l’arbre lui-même, qui a été découpé en 800 tranches, aussi fines qu’une feuille de papier. Collées ensemble, elles reconstituent le tronc.
Au final, au lieu de marquer les années et le climat, les anneaux révèlent la rapidité et la précision d’une machine. La sculpture devient ainsi un support majeur de réflexion sur la relation entre l’homme et la nature.
Vincent Laval, enquêteur des bois
L’artiste contemporain français Vincent Laval, né en 1991, a grandi à quelques dizaines de mètres de la forêt de Carnelle, en Val d'Oise, dans le nord de l’Ile-de-France. Il garde ainsi depuis son enfance un lien très fort avec la forêt. Sa démarche est celle d’un "artiste-marcheur-cueilleur". Lors de longues marches au cœur de la forêt, le jeune artiste collecte des morceaux d’arbres, des pierres, des instants, des images, des émotions qui deviendront ensuite des sculptures ou des photographies.
Diplômé des Beaux-Arts de Paris en 2019 après des études à l’Ecole Boulle, Vincent Laval fait partie d’une nouvelle génération d’artistes à la fois connaisseuse et connectée au vivant et engagée en faveur de l’environnement. L’artiste se mobilise pour les associations Forest Art Project et Francis Hallé pour la Forêt primaire, et reverse même 5% de ses revenus artistiques à cette dernière.
La forêt est ce qui m’anime, m’émerveille, me fait douter, me donne envie de me battre, de créer et de voir demain. J’apprends à accepter que je ne ferai partie d’elle qu’en visiteur amoureux, qu’en animal qui, en franchissant la lisière, se rappelle qui il aurait pu être mais aussi qui il voudrait devenir : un élément de l’équilibre des choses.
"Plus loin dans la forêt" est une œuvre chère à Vincent Laval. Cette sculpture en assemblage de branches de châtaigniers est une évocation de cabane, le symbole d’un lien positif entre humain et forêt, propice à la pause, à la communion. Les branches de châtaigniers ne sont pas choisies au hasard, l’artiste ne prélève que celles tombées au sol et que le temps a rendues imputrescibles.
Les trouver nécessite une grande patience, plusieurs semaines de quadrillage et de recherche... toujours plus loin dans la forêt. La marche, le temps, l’observation, la connaissance d’un territoire forestier, deviennent ainsi parties intégrantes de la sculpture finale. "Je sens que l’humain que je suis a toujours une longueur de retard. Alors je me contente de ce que je suis, un marcheur émerveillé, un enquêteur des bois, parfois un cueilleur de trésors, mais toujours un cueilleur d’instant", affirme l'artiste.
Art of Change 21 en quelques mots...
Cette association relie l’art et les grands enjeux environnementaux (climat, biodiversité, pollution...). Depuis sa création à Paris en 2014 dans la perspective de la COP21, l’association met en valeur le rôle des artistes et de la créativité comme accélérateurs de la transition écologique et agit à échelle internationale.
Plus d'informations sur le site d'Art of Change 21 ici !