Dans la vie d'une unité territoriale chamboulée par le climat
Être forestier, c’est accepter que la forêt soit un écosystème qui nous réserve toujours son lot de surprises. Mais bien que nous ayons l’habitude des imprévus, le changement climatique remet drastiquement en question nos façons de faire, nos prévisions, l’avenir de certaines essences… Dans l’Allier, nous faisons par exemple face à une dégradation progressive d’autant que la structure des chênaies, en mélange avec le hêtre, risque d’être déstabilisée par le dépérissement de cet accompagnateur naturel.
Dans certaines de nos parcelles, 80 % des hêtres ont dépéri. Dans le même temps, chacun de mes collègues techniciens forestiers territoriaux (TFT) a contacté des entreprises de travaux forestiers (débardeurs, bûcherons…) afin d’entamer rapidement l’exploitation de ces bois. Quatre chantiers ont démarré le 15 juillet 2020.
Traditionnellement, le martelage des arbres dépérissants ou des chablis (arbres déracinés pour diverses raisons : tempêtes, vents...) est effectué par le technicien seul, puisqu’il connaît les secteurs où il y aura potentiellement des arbres déficients. Mais durant l'été 2020, le travail fut complètement différent : la mortalité des arbres peut désormais se situer n’importe où, ce qui nécessite une analyse au cas par cas ! Il a fallu définir une méthodologie précise ; pour les petites parcelles ou celles présentant une bonne visibilité (ex. parcelle en régénération), le martelage est opéré individuellement.
Pour les parcelles importantes, notamment avec des gros bois, il est effectué à plusieurs. Pas moins de 33 000 hectares, soit 33% du massif, ont été parcourus au total par les équipes… soit une surface multipliée par 3 par rapport à une année de martelage classique ! Face à l’ampleur du défi, nous avons heureusement bénéficié du renfort des collègues de la direction territoriale.
Une fois sur le terrain, il restait à s’accorder sur les conditions de martelage. Nous avons d’abord suivi une formation sur le protocole Deperis afin de caractériser l’état sanitaire des chênes. Ensuite, nous avons décidé de cibler la récolte sur des arbres de qualité (de 45 cm de diamètre et plus) qui présentent une déficience avérée et un risque de perte de valeur pour le bois. En parallèle, nous avons dû veiller à ne pas déstructurer les peuplements.
Nous avons fait de notre mieux, mais beaucoup d’interrogations se sont posées sur le terrain : est-on sûr que les arbres martelés vont se dégrader ? En fonction du rapport valeur économique/impact sur l’environnement, est-ce qu’il est pertinent de prélever tel ou tel arbre ? Grâce à l’outil Deperis, à notre diagnostic in situ bottes aux pieds et avec beaucoup d’échanges techniques entre collègues, nous avons globalement réussi à nous en sortir. Nous connaissons mieux les critères physiques des arbres qui ne tiendront pas et nous sommes confiants sur le choix des arbres qui doivent être récoltés.
Le travail ne s’arrête pas là. Nous devons ensuite échanger avec les services bois chargés de déterminer l’avenir de ces arbres dépérissant, et avec le service forêt sur la conduite à tenir pour certaines parcelles très dégradées. Nous avons transmis aux collègues de l’agence les données récoltées durant nos martelages afin qu’ils puissent établir un bilan sur les volumes à commercialiser. Compte tenu des volumes de bois martelés, il nous faut désormais réfléchir aux actions à mener, tant au niveau sylvicole que commercial.
Faut-il, par exemple, maintenir le passage en éclaircies dans certaines parcelles alors que nous avons déjà récolté prématurément un volume d’arbres important ? La réponse est probablement non. La direction territoriale et le service bois ont d’ailleurs déjà effectué une demande pour que certaines coupes de hautes valeurs soient retirées du catalogue, afin de vendre les produits issus d’arbres dépérissant sans impacter le prix au niveau des bois de qualité. Les effets du changement climatique ont entraîné un grand chamboulement dans notre activité. Aujourd’hui, nous avons parfaitement conscience que notre métier va devoir évoluer avec ces transformations, et ces incertitudes.
Être forestier, c’est accepter que la forêt soit un écosystème qui nous réserve toujours son lot de surprises. Mais bien que nous ayons l’habitude des imprévus, le changement climatique remet drastiquement en question nos façons de faire, nos prévisions, l’avenir de certaines essences…