Dans la vie des équipes du réseau paysage
Journal de bord de Marilyne Fouquart
Je m'appelle Marilyne et je suis cheffe de projet paysage, gestion des milieux naturels à l'agence études Grand Est à l'ONF. Le métier de paysagiste participe au maintien, à l’amélioration ou à la restauration de paysages forestiers. Il s’agit avant tout de protéger ces paysages fragiles pour en préserver l’essence et l’identité (l’esprit des lieux). À ce titre, notre travail est souvent insoupçonné.
Et c’est d’ailleurs parfois le but, notamment lorsque nous cherchons à maintenir un couvert forestier (l'ensemble formé par les cimes des arbres d'une forêt). Dans d’autres situations, nos actions peuvent être au contraire très visibles, par exemple lorsque l’on éclaircit un peuplement pour améliorer la visibilité d’un carrefour routier, ou que l’on ouvre des points de vue.
Le paysage est un bien commun fragile dont il faut prendre soin. Cela reste encore plus vrai à l’heure où les forêts se métamorphosent au gré des aléas climatiques (problèmes sanitaires, tempêtes, sécheresse). Sachons nous adapter et accompagner ces changements.
Préserver un paysage forestier repose, par exemple, sur le maintien de l’unité forestière d’un pan de montagne très visible et dont les peuplements doivent nécessairement être récoltés. Nous allons alors travailler avec le technicien forestier et l’aménagiste afin d’éviter les effets de trouées.
Nous pouvons varier la forme et les zones de coupes en fonction du relief, les décaler dans le temps ou jouer sur les vitesses de croissance des végétaux afin que cela se fonde dans le paysage. Nous veillons aussi à respecter le planning et les volumes des coupes prévus par l’aménagement : quelle que soit notre action, dans la mesure du possible, elle ne doit ni empêcher les récoltes de bois, ni cacher le travail des forestiers.
Dans un autre registre, travailler un paysage peut consister, par exemple, à réduire la fréquentation d’une zone où se trouvent des espèces fragiles ou des reliefs dangereux. Pour cela, nous utilisons l’instinct de l’être humain qui l’attire vers le confort et la sécurité : nous allons assombrir un chemin afin de le rendre inconfortable pour les promeneurs et, à l’inverse, là où nous voulons les attirer, nous allons mettre des points de lumière, une perspective, un banc, de l’ombre bienfaitrice.
C’est ce que nous appelons de l’orientation douce. Et puis, parfois, nous intervenons pour aider la "cicatrisation" d’un paysage ayant subi, par exemple, une transformation brutale après l’exploitation de nombreux hectares d’épicéas scolytés. La régénération naturelle et parfois les plantations d’essences locales à croissance rapide apportent des solutions très intéressantes.
Être paysagiste, c’est aussi travailler avec diplomatie. Des forestiers aux randonneurs, en passant par les naturalistes, les habitants et les chasseurs, il s’agit de comprendre comment chacun s’approprie une même forêt, avec parfois des visions très antagonistes ! Nous devons nécessairement écouter et comprendre les différents usagers de la forêt afin d’analyser l’ensemble des enjeux environnants.
Et puis, il faut bien sûr prendre en compte les contraintes naturelles qui, elles, ne sont pas négociables : le relief, les conditions stationnelles... Le paysage est un bien commun fragile dont il faut prendre soin. Cela reste encore plus vrai à l’heure où les forêts se métamorphosent au gré des aléas climatiques (problèmes sanitaires, tempêtes, sécheresse). Sachons nous adapter et accompagner ces changements.
Journal de bord de Valérie Mora
Je travaille en tant que cheffe de projet paysage à l'agence études Midi-Méditerranée. En Méditerranée, les forêts sont concernées par de nombreuses protections réglementaires au titre du paysage, ainsi que par une forte pression sociale. Dans ce contexte, la position du paysagiste est transversale : gage d’équilibre et de cohérence, il joue le rôle de facilitateur en présence d’enjeux contradictoires et de visions opposées, il peut amener des réponses face aux paysages en mouvement et, enfin, il met au service de la forêt ses techniques et expériences innovantes.
Au quotidien, nous travaillons, de fait, en coopération avec les équipes de terrain et les parties prenantes pour nourrir et co-construire les plans d’aménagement forestier, créer des espaces d’accueil pour le public ou réaliser des études de valorisation ou de restauration d’un site forestier.
Pour trouver un équilibre entre exploitation et paysage, nous devons à la fois nous immerger au cœur des massifs, garder une vision globale du projet au-delà des limites physiques des lieux et prendre en compte les attentes des différentes parties prenantes.
Après une analyse préparatoire sur cartes vient le travail du terrain, aux côtés du forestier, de l’aménagiste et des acteurs concernés (collectivités, DREAL...). De long en large, à pied, en voiture, nous arpentons la forêt pour identifier les principaux points de vue, les ambiances, les sentiers, visualiser comment est perçue la forêt, prendre des notes et des photos… Et parfois interviewer les usagers.
Nous confrontons également nos observations et nos émotions, car il y a un côté sensible et subjectif dans le paysage. L’ensemble de ces données permet de cartographier la sensibilité paysagère. Enfin, en fonction des coupes et des travaux prévus, nous adaptons et détaillons les recommandations paysagères.
À titre d’exemple, pour préserver le paysage entourant un lac fréquenté dans une forêt communale, le travail d’étude mené avec le forestier et les usagers a permis d’opter pour des coupes d’amélioration d’intensités variables et par bouquets, afin de créer des irrégularités et ainsi s’approcher d’une action naturelle. Il existe autant de paysages que de façons de les observer.
Chaque région, chaque relief ou peuplement forestier présente des spécificités qui les distinguent d’un autre. De l’aménagement mineur réalisé à l’orée d’une forêt pour accueillir le public, à la révision des programmes de coupes d’un massif, nous travaillons en cohérence avec les propriétés naturelles du territoire, en nous appuyant sur une connaissance fine de l’histoire, de la géographie et du contexte social et environnemental des lieux.
Journal de bord de Lucie Le Chaudelec
J'occupe le poste de directrice de l’agence études de la direction territoriale Seine Nord (DT Seine- Nord). Depuis quelques années, les inquiétudes et attentes de la société sont très vives : certaines pratiques sylvicoles, telles que les coupes à blanc, ne sont pas acceptées. Dans les territoires fortement urbanisés comme en Île-de- France, l’opposition est d’autant plus prégnante que les visiteurs, en recherche d’espaces naturels pour se ressourcer, sont particulièrement exigeants quant à la préservation de paysages qu’ils considèrent comme naturels.
Pour les forestiers, cela signifie concilier les enjeux de production de bois au besoin de "naturalité" des habitants et des touristes. Nécessairement, les équipes locales doivent mettre en place une gestion sylvicole adaptée : la futaie irrégulière est, par exemple, l’une des réponses mises en œuvre. Dans ce contexte, nous apportons notre appui de paysagiste en collaboration avec les écologues, tant pour expliciter l’évolution des paysages sylvicoles que pour contribuer à la bonne intégration des coupes, qui sont inévitables.
En aidant les forestiers à intervenir habilement pour préserver le paysage, nous espérons faire comprendre à la société que dans les forêts publiques, exploitation signifie aussi préservation et valorisation.
Certaines forêts, à l’image des Forêts d’Exception®, sont particulièrement connues et appréciées pour leur qualité paysagère, environnementale, historique et archéologique. Pour ces sites exceptionnels, l’Office doit proposer des méthodes de gestion adaptées préservant l’esprit des lieux. Par exemple, il y a peu de temps, nous avons réalisé avec l’agence de Fontainebleau un guide méthodologique pour préparer l’exploitation de paysages très emblématiques : les chaos gréseux (ou chaos rocheux).
Présents sur 23% du massif de Fontainebleau, ces composantes naturelles imposent en effet à l’Office d’opter pour des modes de débardage et des consignes de martelage inaccoutumés, afin de prélever le bois qui doit l’être, tout en préservant le caractère emblématique de ces paysages, célébrés par les peintres de l’École de Barbizon.
L’expertise du paysagiste s’accompagne de celle des archéologues et des écologues, qui conseillent les forestiers sur les techniques à mettre en place pour l’exploitation de bois près de vestiges historiques, dans le respect des habitats forestiers. Ces opérations sont appréciées du public puisque l’exploitation permet de mettre en lumière des paysages immortalisés en peinture ou en photo d’archive qui étaient devenus presque imperceptibles.
Sujet aux événements naturels et entretenu par l’Homme, le paysage forestier est, par nature, en évolution : dépérissements, tempêtes, incendies ou opérations sylvicoles vont nécessairement agir sur le panorama existant. En aidant les forestiers à intervenir habilement pour préserver le paysage, nous espérons faire comprendre à la société que dans les forêts publiques, exploitation signifie aussi préservation et valorisation.