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Dans les pas de Serge Cadet, naturaliste Habitats-flore

Six réseaux naturalistes existent depuis plus de 15 ans à l’Office national des forêts (ONF). Leur mission : observer la biodiversité pour mieux la comprendre et la protéger. Coup de projecteur sur le réseau Habitats-Flore aux côtés de l’un de ses experts, Serge Cadet, en mission dans le Var.
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La voiture blanche au sigle vert s’enfonce dans la forêt domaniale de la Colle du Rouet. Au volant, Serge Cadet. Depuis 2015, il est animateur du réseau habitats-flore, une des branches de forestiers spécialistes en matière de faune ou de flore, appelés naturalistes. Ils sont près de 220 à l'Office national des forêts, répartis en six réseaux : entomologie (insectes), herpétofaune (amphibiens et reptiles), mammifères, mycologie (champignons), avifaune (oiseaux) et… habitats-flore.

Au bout de quelques kilomètres à sillonner les routes forestières, le biologiste s’arrête sur le bas-côté et explique sa mission du jour : "L’agence territoriale Alpes Maritimes-Var nous a demandé d’intervenir au versant nord de cette forêt entre le site de la Roche de la Fille d’Isnard et le secteur des Combes, pour vérifier la présence du chêne sessile et analyser le milieu naturel dans lequel il se trouve."

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Pourquoi une telle mission ?

En France, comme ailleurs dans le monde, le changement climatique entraîne de nombreux dépérissements forestiers sur diverses essences. Aujourd’hui il devient urgent de détecter des zones de peuplements adaptés, comme celui du chêne sessile, à des contraintes climatiques de plus en plus difficiles. Les forestiers ont la responsabilité d’identifier et valoriser des peuplements naturels porteurs de ressources génétiques précieuses, et  évaluer leur intérêt, notamment en s’assurant de leur bon état de santé actuel et leur capacité à se  régénérer naturellement ou non.

L’objectif de l’étude menée par Serge et ses collègues est de faire des recommandations à l’agence et au département Recherche développement et innovation (RDI) de l’Office national des forêts. Ce dernier sera ensuite amené à intervenir pour confirmer ces observations et prendre les décisions adéquates. "Une fois reconnus, il sera décidé si ces secteurs sont viables pour en faire des peuplements 'porte graines'. Ce qui nous permettrait de prélever le potentiel génétique de ces essences naturellement présentes pour les insérer dans d’autres secteurs géographiques, où les chênes locaux sont plus en souffrance", précise le forestier.

Un mot d’ordre : la minutie

Pour mener à bien ses recherches, Serge Cadet se doit d’être minutieux. Afin de comprendre et d’analyser le milieu naturel qui l’entoure, il suit un protocole en plusieurs étapes. En voici quelques-unes essentielles :

1/ Quelle est l’essence dominante de cette zone ?

Pour cela, le botaniste va lister toutes les essences présentes, de l’arbre le plus haut aux plus petits buissons au ras du sol. Sur la zone étudiée par le naturaliste le chêne est clairement dominant, mais lequel ?

2/ Déterminer la variété des chênes présents

"On doit faire un inventaire des types de chênes autour de nous car il existe plusieurs espèces, qui peuvent même se reproduire entre elles. Il faut déterminer si ce sont des sessiles, des pubescents, ou des hybrides." Loupe et règle à la main, l’animateur inspecte le pétiole (queue de la feuille) et les nervures de plusieurs échantillons de feuilles de chênes et détermine leur espèce. Après plusieurs minutes d’analyse Serge lance "sur cette placette on a une majorité de sessiles, quelques pubescents et même des hybrides". Ses connaissances lui permettent de repérer les spécificités de chaque espèce (nombre de lobes des feuilles, taille et aspect du pétiole et des nervures du limbe, "velus" ou non…).

3/ Contextualiser ce que j’observe

Autrement dit, y a-t-il assez d’éléments permettant à une graine de se développer, comme la lumière par exemple. Ici, peu de rayons se fraient un chemin parmi les branches. Pour une essence comme le chêne qui a besoin de beaucoup de lumière pour se développer, c’est un élément important à prendre en compte pour établir le lien avec la faible présence de plantules.

4/ Quelles espèces de plantes se trouvent au sol ?

"Dans un rayon de vingt mètres, je vais observer toutes les espèces au sol et les identifier. Leur présence et leurs caractéristiques me donneront des informations pour déterminer l’habitat du milieu sur lequel je me trouve", explique Serge Cadet. Son œil est affuté, quasiment aucune variété ne lui échappe (la mélique uniflore, la digitale jaune, l’arbousier, la bruyère arborescente…). Au moindre doute il prend le temps d’ouvrir son encyclopédie.

5/ Quelles ressources offre cette zone ?

Des feuilles mortes à la terre à soixante dix centimètres de profondeur, chaque couche de terre a son importance. "En analysant l’humus, je vais savoir comment le sol travaille. C’est-à-dire : quelle est sa capacité à recycler la matière organique tombant au sol", indique Serge. Pour cela, il n’y a pas mille façons de faire, il faut creuser. Acidité du sol (sa richesse chimique), capacité à retenir et à drainer l’eau, coloration, structure (granuleuse ou non), texture (argileuse, limoneuse ou sableuse), pourcentage de cailloux et gravillons… aucun indice n’est laissé de côté. "Cette étape est particulièrement importante car elle est la source même du développement d’un arbre. Il ne faut pas la négliger."

Un réseau aux missions riches et diverses

Ce type d’étude fait partie des missions des 39 naturalistes du réseau habitats-flore. Spécialisés dans la phytosociologie (l’étude des végétaux et leur relation avec leur milieu naturel), ils réalisent des missions pour différentes agences et directions territoriales au sein de l’ONF ou dans le cadre de projets nationaux de connaissance sur les espèces ou les habitats.

Exemples de missions effectuées :

  • Développer les connaissances sur les espèces du patrimoine français et identifier les leviers permettant de mieux les protéger au sein des milieux gérés par l’Homme,
  • réaliser des compléments d’inventaires en réserves biologiques,
  • accompagner des gestionnaires forestiers sur des problématiques locales de protection ou de conservation d’un milieu, d’une espèce,
  • conseiller le gestionnaire pour lutter contre les espèces exotiques envahissantes (EEE).

Pour les réaliser, le réseau habitats-flore travaille en partenariat avec des acteurs comme l’IGN, le Muséum national d'Histoire naturelle (MNHN), AgroParisTech, l’INRAE ou encore les conservatoires botaniques. Toutes les données collectées sur le terrain sont ensuite valorisées, puis intégrées dans la base de données naturaliste (BDN), qui, à son tour alimente l’Inventaire national du patrimoine naturel (INPN).

©Manon Genin / ONF

En France métropolitaine, le réseau Habitats-flore couvre :

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