Les sols forestiers : l'ONF pratique une gestion durable pour les protéger
Forêts, biodiversité et sols forestiers : un patrimoine naturel très riche, parfois menacé
Aujourd’hui, les forêts recouvrent 32% du territoire hexagonal et sont confrontées à de nombreux défis dont celui du réchauffement climatique qui les met à rude épreuve. En 2024, le Memento de l’IGN précise qu’en France, sur « 2 270 millions d’arbres qualifiés (étudiés, observés), 186 millions sont altérés ». Autrement dit, ces arbres présentent des houppiers (parties au-dessus du tronc) dégradés où le manque de branches et de feuilles est significatif et pourrait entraîner un dépérissement.
En forêt néanmoins, malgré des dégradations sur les essences constatées par les forestiers, la biodiversité semble se porter mieux qu’ailleurs. Nul doute que toutes les actions de préservation conduites par les naturalistes de l’ONF participent à ce constat rassurant et porteur d’espoir. On pense notamment aux cigognes noires qui avaient disparu des forêts publiques dans les années 1970. Aujourd’hui, ces oiseaux rares et protégés sont de retour et semblent y trouver les conditions nécessaires pour nicher et assurer leur reproduction grâce à des actions fortes.
Et les sols forestiers dans tout ça ? Supports de nos forêts, indispensables à leur croissance, ils représentent un capital inestimable : les protéger et les prendre en compte dans la gestion forestière est donc essentiel. Tout comme la biodiversité, les sols forestiers sont soumis à de forts impacts climatiques et de gestion. Néanmoins, « ils se portent plutôt bien », comme nous le confirme Noémie Pousse, chargée de recherche gestion durable des sols et station en climat changeant à l’ONF. En forêt publique, ils ne sont pas concernés par des labours intensifs tels que le sont les sols agricoles, le tassement est limité et l’usage des produits phytosanitaires et l’export des rémanents (résidus d’exploitation) y sont proscrits. Par conséquent, cela leur assure un fonctionnement plus résilient.
Que fait l’ONF pour protéger durablement les sols ?
La gestion multifonctionnelle des forêts passe par une gestion durable, qui combine notamment exploitation forestière, préservation de la biodiversité, accueil du public et protection des sols. Sur ce dernier point, les choses sont devenues bien plus concrètes depuis le passage des tempêtes Lothar et Martin en 1999 et l’établissement accorde aujourd’hui autant d’importance aux essences forestières et à la biodiversité en « surface » qu’à ce qu’il se passe dans le sol.
« Pour les forestiers, ces tempêtes ont été un traumatisme et pour l’ONF, un déclencheur ! Au total, il est tombé au sol quelque 140 millions de mètres cubes de bois qui ont dû être sortis très rapidement pour la sécurisation des forêts et la valorisation d’une partie des chablis. Cela a représenté presque quatre fois la récolte annuelle ! Pour tenir ce rythme, les tracteurs de débardage sont passés sur les sols forestiers de façon parfois anarchique, provoquant de lourds dégâts. Les tassements causés à l’époque sont encore visibles à certains endroits », explique Didier Pischedda, expert national en exploitation forestière et logistique à l’ONF.
Depuis cet événement catastrophique pour les forêts, l’ONF initie et participe à des recherches sur les effets du tassement, la sensibilité des sols forestiers et la façon de les préserver pour continuer d’exploiter le bois, un des piliers de la multifonctionnalité.
- Réflexion sur la fragilité des sols forestiers et modes de débardage respectueux
En 2009, le questionnement sur une meilleure gestion des sols forestiers aboutit à la rédaction du Guide Prosol. Financé à l’époque par le ministère en charge de l’agriculture, cet ouvrage édité par l’ONF et l’Institut technologique FCBA (menant des études sur le bois) fait le point sur les connaissances concernant la sensibilité des sols forestiers. À l’échelle européenne, Prosol est le premier manuel qui propose de réfléchir aux impacts du tassement sur les sols forestiers, ses richesses et les façons concrètes de les protéger de l’érosion générée par la récolte du bois.
Sur ce volet-là, l’ONF a été moteur notamment en proposant d’implanter des cloisonnements d’exploitation afin d’éviter le tassement et l’érosion des sols forestiers. En effet, quand la machine circule en forêt pour sortir les grumes, sa masse et ses mouvements mécaniques tassent immanquablement le sol qui s’enfonce ou se trouve refoulé sur les côtés, créant ainsi des ornières.
Inscrits dans la politique environnementale de l’établissement, les cloisonnements d’exploitation sont des voies désignées en forêt pour la circulation de machines forestières, disposées tous les vingt mètres et mesurant quatre mètres de large. Entre ces voies, sur le sol forestier, aucune machine ne peut circuler.
"Par le passé, les engins circulaient partout lors d'une exploitation forestière. Le cloisonnement a été une avancée très forte d’un point de vue environnemental : on dédie un seul passage, et on protège tout le reste."
L’ONF installe un réseau de cloisonnements pérenne (sachant qu’une coupe a lieu tous les 8 à 10 ans). Grâce à lui, nul besoin d’en redessiner de nouveaux en prenant le risque d’éroder de nouvelles parties du sol forestier. Ce mode d’exploitation se veut le plus respectueux possible de la biodiversité forestière. Didier Pischedda nous précise « qu’un tassement du sol est donc toléré sur 20% de la zone forestière d’exploitation lors du passage des machines sur ces voies de circulation (les cloisonnements). Les 80 autres % étant préservés avec une attention particulière aux espèces protégées et aux zones humides, indispensables à la bonne santé de nos forêts. Lors des coupes, les forestiers de l’ONF, fins connaisseurs de leur forêt, veillent à ce que ces critères soient respectés, la richesse et la fertilité des sols préservées."
Si les systèmes de débardages terrestres font courir trop de risques aux sols ou si les sols sont impraticables (trop boueux, trop gorgés d’eau), la réponse de l’ONF se décline en deux autres actions : soit attendre qu’ils sèchent, soit recourir au débardage par câble-mât.
Cette solution permet de récolter du bois via un câble aérien dans des zones difficiles d’accès tout en respectant la biodiversité et la faune, grâce à un impact moindre sur le sol forestier. Pour notre experte des sols, Noémie Pousse, cette solution aérienne est un espoir. « J’y crois beaucoup ! Le déployer partout sera difficile car il y a très peu de câblistes en France mais c’est une solution d’avenir. Cela cause beaucoup moins de tassement et l’impact sur la productivité de nos parcelles, sur la régénération naturelle et sur l’enracinement des futurs plants s’en trouve réduit."
Pour en savoir plus sur le débardage par câble-mât
Sur ce volet, l’ONF se positionne fortement en développant notamment des partenariats avec les opérateurs câblistes existants et en accompagnant les formations forestières. « L’ONF coordonne une démarche de structuration des entreprises câblistes dans le cadre d’un projet financé par l’ADEME (ESPR 2023). Un des leviers pour développer cette activité est de relancer des formations pour les opérateurs câblistes. Aujourd’hui, nous progressons puisque deux écoles forestières se préparent à le faire en 2025. », s’enthousiasme Didier Pischedda.
A noter ! Le Guide PRATIC’SOLS sorti en 2017 définit qu’une ornière ne doit pas excéder les 20 centimètres de profondeur lors d’une exploitation.
Energie animale, une autre façon de débarder
Lorsque certains bois coupés sont inaccessibles aux machines ou pour protéger les sols entre les cloisonnements, il arrive que ponctuellement l’ONF ait recours à des chevaux. En effet, la pression exercée par leurs sabots est superficielle (poinçonnement) par rapport à celle des tracteurs et leur passage emporte moins de matière organique.
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« Zéro phyto » et gestion raisonnée des menus bois : deux autres grandes actions de préservation pour une gestion durable des forêts
En forêt, zéro phyto ! Depuis le 14 octobre 2019, l’ONF s’est engagé à abandonner l'usage de produits phytopharmaceutiques dans la gestion de toutes les forêts publiques. Fongicides, herbicides, insecticides : ils étaient peu utilisés, sauf pour accompagner la régénération naturelle entravée par des espèces concurrentes et envahissantes comme les graminées, les ronces ou les fougères. Pour l’ONF, ce choix du « zéro phyto » est un gage d’exemplarité et un axe fort de la préservation des sols forestiers.
Prise en compte des menus bois dans la gestion durable des forêts. Dans la droite ligne des préconisations édictées par le guide Prosol, deux notes de service, datant de 2009, visent à protéger les sols forestiers en limitant le tassement (cf. plus haut) et les exports de « rémanents », autrement dit tous les résidus d’exploitation regroupant, entre autres, les feuillages et branchages de diamètre inférieur à 7 cm (les « menus bois »). « Les rémanents contiennent beaucoup d’éléments nutritifs, nous précise Noémie Pousse, ils sont précieux et indispensables car ils participent activement au maintien de la fertilité chimique des sols... Si on les sort, on appauvrit inévitablement le sol. À l’ONF, on a donc acté leur prise en compte et dans nos prescriptions, on indique qu’ils doivent demeurer au sol. C’est très vertueux et ça maintient également les stocks de carbone organique. »
FOR-EVAL : l’appli sur les sols forestiers made in ONF
Développée avec INRAe en 2020, FOR-EVAL a d’abord eu pour objectif de diagnostiquer la sensibilité des sols forestiers à un export de menus bois. L’application a ensuite muté en proposant plusieurs autres diagnostics de gestion durable des sols forestiers.
Conçue pour aider le gestionnaire, FOR-EVAL est une authentique calculatrice d’indicateurs de gestion durable. À l’aide de photos, de textes et d’outils de documentation, elle fournit des données précises sur la sensibilité des sols forestiers, à l’export des menus bois, au tassement, à l’érosion et/ou aux sécheresses.
Ces diagnostics réalisés avant les plantations permettent également de savoir quelle essence sera la plus adaptée, si les cloisonnements sont praticables ou impraticables une grande partie de l’année… en somme, FOR-EVAL est une aide à la décision pour identifier les pratiques les plus vertueuses pour aider les forêts et les sols à s’adapter au changement climatique et aux changements de pratiques.
Dans sa nouvelle version, FOR-EVAL devient un outil de science participative. Les gestionnaires et utilisateurs peuvent envoyer leurs relevés et toutes les autres données récoltées aux chercheurs d’INRAe qui les utilisent pour créer et améliorer les cartographies des propriétés des sols.