La récolte du liège, un savoir-faire éprouvé dans le Var
Le chêne-liège (Quercus suber) est un arbre unique en son genre car son écorce, le liège, se régénère après l'extraction. L’opération d’écorçage est délicate et sera répétée en moyenne tous les douze à quinze ans dans le département du Var, période durant laquelle les arbres adultes ne seront ni coupés ni endommagés. Elle s’effectue au moment de la phase active de croissance du chêne-liège, de la fin du printemps jusqu'à fin août, pour ne pas blesser l’arbre. Le risque étant d’endommager la couche mère en frappant jusqu’au bois, et ainsi de sectionner les vaisseaux.
La récolte du liège est un art. Elle peut uniquement être effectuée par des "leveurs de liège", disposant d’un grand savoir-faire et d’une expérience certaine. Elle s’effectue avec des outils traditionnels, notamment avec des haches spéciales. En Provence, le "picoussin" est utilisé mais chaque région ou pays dispose de sa propre hache. D’un point de vue écologique, le travail du forestier respecte la saisonnalité.
La récolte du liège en 3 étapes...
- Le premier écorçage, également appelé "démasclage", ne peut être pratiqué que lorsque le chêne-liège a atteint vingt à vingt-cinq ans. Ce premier liège, d’une structure irrégulière, est très dur et dépourvu d’élasticité. Appelé "liège mâle", il est très difficile à manipuler et à travailler. Il ne sera pas utilisé pour les bouchons, mais pour les revêtements de sols, l’isolation et la trituration, des usages actuellement en plein développement pour ce matériau écologique et naturel. Cinq à sept levées maximum auront lieu lors du cycle de vie du chêne-liège.
- Neuf années après le démasclage, au moment du second écorçage, on obtiendra un matériau avec une structure irrégulière, moins dur, mais de qualité moyenne, pas encore apte pour l’industrie bouchonnière. Ce "liège de première reproduction" sert pour l’isolation ou pour d’autres dérivés.
- Ce n’est qu’au troisième écorçage et aux suivants que l’on obtient un liège aux propriétés adaptées à la production de bouchons de qualité, nommé "liège femelle". Alors, tous les neuf ans minimum, là, le chêne-liège fournira un liège de qualité "bouchonnable". Une partie seulement du liège levé est susceptible de donner des bouchons de qualité.
Les forêts de chêne-liège, des milieux riches
Un chêne-liège entretenu, dont on prélève régulièrement l’écorce, produit non seulement 250 à 400% de liège de plus qu’un arbre sauvage, mais peut aussi fixer plus de CO2, contribuant ainsi à la séquestration du carbone dans le bois et l’écorce. Grâce à son écorce, le chêne-liège résiste mieux au passage des incendies. Il permet de stabiliser les sols après ces accidents, surtout lors de fortes précipitations d'automne.
En Provence, les forêts de chênes-liège sont souvent des forêts mixtes, favorables à la biodiversité. La plus belle association se fait avec la châtaigner, qui tous deux dégagent plus de fraîcheur en été, et donc plus d’humidité, rendant les forêts moins inflammables, et surtout abritant nombre d’espèces animales et végétales. Dans les plus vieilles suberaies (forêts de chênes-lièges, de son nom latin Quercus suber), il n’est pas rare de trouver des rapaces comme le Circaète Jean-le-Blanc (Circaetus gallicus) ou l’Aigle de Bonelli (Aquila fasciata). Le chêne-liège favorise également le maintien en équilibre du maquis avec les cistes, les arbousiers, les bruyères, les myrtes, qui sont riches de ces espèces arbustives. Ils représentent un habitat essentiel pour des espèces qu’il convient de préserver comme la tortue d’Hermann ou certaines fauvettes et d’autres petits passereaux. Les jeunes feuilles de chêne-liège sont très recherchées par certains insectes tels que la Chenille du chêne-liège (Lymantria dispar), la Livrée (Malacosoma nestria) ou la Tordeuse verte (Totrix virdana), qui peuvent même être à l’origine de défoliations sévères comme cela s’est produit l’an dernier dans les Maures ou sur les secteurs de La Môle et de Bormes-les-Mimosas.
Les forêts de chène-liège abritent souvent des zones riches en champignons car beaucoup d’espèces vivent en symbiose avec les racines du chêne-liège. Elles partagent les aliments organiques avec l’arbre afin de l’aider à absorber les nutriments du sol, grâce à un réseau de filaments appelés mycorhyzes. Ces champignons sont essentiels pour le chêne-liège : sans eux, les arbres pourraient difficilement assimiler le phosphore, et d’autres minéraux de sols pauvres.
Deux types de levées de liège ont été effectuées sur le territoire du Muy cet été. Tout d'abord, une levée dans le cadre d’une concession traditionnelle, sur trois ans. Les leveurs effectuaient la fin des levées commencées en 2018. Ils ont prélevé au total quatre tonnes de liège "femelle", qui serviront à la confection de bouchons. Ensuite, une seconde levée de liège brûlé, non commercialisable, pour une remise en production d’une parcelle touchée par l’incendie de 2003. Les leveurs ont levé environ deux cents arbres en zone difficile d’accès car très embroussaillée. Le liège ainsi récolté sera valorisé dans la fabrication d’isolant. Le chargement a été délicat car il se fait uniquement à la main.
Les étapes de l'écorçage
L’écorçage est le début du processus qui transforme l’écorce du chêne-liège en un bouchon ou en matériau de liège naturel. Il consiste à retirer l’écorce extérieure de l’arbre. Ce travail est réalisé en six étapes. Après l’écorçage, les planches de liège sont empilées sur des aires spécifiques, au sein des usines de transformation. Elles y resteront exposées à l’air libre, au soleil et à la pluie, au minimum six mois. Ensuite, le liège subira diverses manipulations et transformations.
Le liège, un allié de l'Homme
Cela fait des siècles que les hommes ont découvert les propriétés exceptionnelles du chêne-liège et de son écorce. Dans la Grèce antique, le liège était essentiellement utilisé pour boucher des amphores ou fabriquer des articles de pêche. Depuis, l'usage de cette matière unique s'est largement répandu. La production mondiale de liège atteint environ 300.000 tonnes par an, dont 52% viennent du Portugal. La France produit chaque année près de 4000 tonnes de liège.
Le chêne-liège est circonscrit à la région de la Méditterranée occidentale, tout en débordant aussi largement le long de la façade atlantique. En France, les zones de production se situent principalement dans le Var, en Corse et dans les Pyrénées-Orientales.
Le Var est la première région subéricole de France. Le chêne-liège ne se développe que dans les milieux siliceux de la Provence : les Maures, l’Estérel, la Colle du Rouët, le Tanneron, et quelques parcelles autour de Toulon. Durant des décennies, il a été une source économique très importante. Au XIXe siècle, le liège faisait vivre plus de deux mille bouchonniers dans plus de cent cinquante bouchonneries des villages des Maures et de l’Estérel.
Dans le Var cet été, la récolte s’est effectuée sur la partie basse du secteur de la Colle du Rouët et sur la limite avec Bagnols-en-Forêt, sur la commune du Muy.