La forêt de la Joux, une des plus belles sapinières d’Europe
Une voiture blanche au sigle vert s’enfonce dans une forêt singulière... Au volant, la forestière Cécile Cambrils conduit. Autour, les sapins s’élèvent majestueusement. C’est impressionnant, car certains culminent à cinquante mètres de haut. Plus loin, un panneau en bois aux couleurs de l’Office national des forêts indique le lieu où l’on se trouve : la "forêt domaniale de la Joux". Les quelques rayons perçant le voile nuageux se heurtent aux épaisses cimes des géants.
La voiture roule sur les hauteurs de la forêt, quand Cécile s’arrête sur le bas-côté. "La vue est superbe et je vous l’assure : cette forêt est la plus belle sapinière d’Europe !" On veut bien la croire : le belvédère des Chérards offre un panorama à couper le souffle. Au loin, le mont Poupet se dessine. Plus en avant, un dense massif de résineux remplit le paysage de ses couleurs hivernales. La forêt domaniale de la Joux est située au rebord du second plateau jurassien. Ses 2 660 hectares sont essentiellement composés de sapins, d’épicéas, de quelques hêtres et jouxtent les forêts de la Fresse au sud et de Levier au nord.
Pendant tout le Moyen Âge, les résineux n'ont que peu de valeur en raison des difficultés d'exploitation et de transport. En revanche, les besoins des salines de Salins-les-Bains en bois de feu sont conséquents. Le chêne est aussi recherché pour son écorce à tan (écorce de chêne réduite en poudre et utilisée pour la transformation des peaux en cuirs) et pour ses glands.
En 1606, la forêt est donc principalement feuillue, avec çà et là quelques bouquets de grands sapins. Après la conquête de la Franche-Comté par Louis XIV (1678), on applique dans cette forêt l'ordonnance de Colbert datant de 1669, orientant la sylviculture vers la production de résineux destinés à la marine royale. Les troncs immenses et droits des sapins sont utilisés pour les mâts des bateaux.
L’air canadien au cœur du Jura
La voiture redémarre et s’engage sur la route des sapins. 42 kilomètres permettant de traverser la forêt jurassienne de part en part. Au détour d’une allée, Cécile ralentit. "Ici, c’est la réserve biologique de la glacière. C’est la plus petite de France, elle ne fait que 43 hectares, mais c’est aussi une des plus vieilles."
Située sur une des parties les plus hautes de la forêt, cette réserve biologique intégrale possède une grande richesse en matière de biodiversité. Protégée pour ses vieux sapins dès 1910, elle devient gérée en "série artistique" en 1930, l’épargnant depuis cette époque de toute exploitation de la main de l’Homme.
Les quelques actions menées ont simplement consisté à sécuriser le sentier des arbres secs risquant de s’effondrer et menaçant la sécurité des personnes. Ces arbres morts sont laissés sur place pour perpétuer le cycle de la régénération des forêts. Certains des géants ici ont 400 ans et arrivent au bout de leur vie naturelle. Après plus d’un siècle en libre évolution, les mousses ont recouvert les souches et roches. Ici et là, de jeunes arbres ont pris racine sur ces sols riches en minéraux.
La réserve de la Glacière en images
Informations pratiques
Un long sentier d’1,2 km, permet de découvrir les sapins géants de la Glacière. Tout au long du parcours, des panneaux thématiques évoquent les relations et les évolutions de la nature dans cette réserve. Promeneurs, afin de préserver la flore et la faune de tout impact humain et pour votre sécurité, ne quittez surtout pas le sentier balisé !
Plus loin, à quelques minutes, le site du Chevreuil se dévoile avec une superbe bâtisse, ancienne maison forestière. Ici, les familles sauront apprécier les diverses installations. Aire de jeux et tables de pique-nique permettent de passer la journée tout en découvrant l’histoire de ce lieu.
Pour comprendre le patrimoine du site du Chevreuil, il faut remonter au début du siècle dernier. En 1917, la Première Guerre mondiale fait rage et les Français sont envoyés au front. Pour poursuivre l’activité forestière, 2 800 bûcherons canadiens et 500 chevaux sont dépêchés au cœur de la forêt de la Joux sur trois camps. Le bois scié ici était envoyé pour consolider les tranchées au front.
Si les camps ont été démontés à la fin de la guerre, l’air canadien souffle encore aujourd’hui sur le massif. Un ancien four à pain a d’ailleurs été conservé non loin de l’aire de jeu. En parcourant les chemins forestiers, quelques vestiges des scieries sont toujours présents.
"Quand le camp a été démonté et que les Canadiens sont partis, l’arboretum qui fait face à la maison forestière a été créé. Dans les années 1920, les premières essences ont été plantées. Clin d’œil de l’histoire, des espèces d’Amérique du Nord comme l’érable à sucre ou le tsuga du Canada ont été installées", explique Cécile. Aujourd’hui une quarantaine d’essences différentes sont observables au sein de l’arboretum.
Découvrez l'interview de Matthieu Perrez, responsable de l'Unité territoriale de Censeau, pour Sud Radio
Un arboretum, quésaco ?
Lors de vos balades en forêt de la Joux ou ailleurs en France, il est possible de vous immerger au cœur d’essences forestières du monde entier. Les arboretums, gérés par l’ONF, réunissent en un même lieu une plantation, allant d’une dizaine à plusieurs centaines d’essences différentes. Véritables laboratoires grandeur nature, leur mission est de proposer des pistes pour le choix des essences de la forêt.
Le domaine des sécheries
La voiture file ensuite sur les routes forestières et passe devant une petite maison en bois dissimulée au coin d’une parcelle. Cécile ralentit, puis s’arrête. "Cette cabane est une petite sécherie qui date du XIX siècle", indique-t-elle. Cet étonnant témoin du passé était bien utile aux forestiers de l’époque.
Tout comme aujourd’hui, les cônes étaient ramassés au mois de septembre et étalés sur des planchers pour qu’ils sèchent et s’ouvrent. Les graines pouvaient alors être récoltées. À quelques mètres de la sécherie, une pépinière était installée pour semer les graines et produire des plants. Cette sécherie centenaire, n’est pas la seule à être encore là aujourd’hui. À plusieurs endroits de la forêt de la Joux elles existent encore et ont été reconverties en cabanes de chasse.
Les sécheries n’ont cessé de croître au fil des décennies. Dans les années 1950, la sécherie de la Joux est construite au sein de la forêt et se spécialise dans la production de graines au niveau national. De nos jours, elle produit des graines d’une centaine d’essences et fournit la majorité des pépinières françaises.
La promenade forestière prend fin en longeant la voie ferrée et la gare au cœur du massif, utilisée à l’époque pour débarder de grandes quantités de bois à grande vitesse. Les trains en direction de la Suisse l’empruntent toujours mais ne s’arrêtent plus. Elle témoigne d’une exploitation importante du bois dans le Jura à l’époque. De nos jours, l’exploitation reste un enjeu important approvisionnant l’industrie et créant des emplois locaux. Cette production s’effectue précautionneusement pour préserver la forêt et lui permettre de conserver son rôle en matière de biodiversité et d’accueil du public.
Quelle balade choisir ?
Dans cette immense sapinière, difficile de choisir où se promener. Cécile Cambrils vous propose un itinéraire pour vous rendre du site du Chevreuil au sapin président tout en admirant la beauté de cette forêt.
Rendez-vous au parking du site du Chevreuil, sur la route touristique des sapins. Le sentier, balisé en jaune, démarre derrière la maison forestière du Chevreuil. Après une montée entre les rochers, vous entrez dans une forêt de jeunes sapins. Traversez la route forestière empierrée direction le sapin président. Vous passerez à côté de sapins centenaires, jusqu’au doyen de la forêt de la Joux. Faites une petite pause sur un banc pour l’admirer. Poursuivez la balade jusqu’au belvédère des Chérards, d’où vous aurez une vue imprenable sur un océan de sapins.
J'aime me promener sur le sentier des crêtes des Chérards. Il résume bien le massif de la Joux : une forêt de montagne sur des rochers, avec ses reliefs accidentés, et quelques ouvertures dans le paysage entre les troncs des arbres. J’admire toujours la force paisible de ces vieux sapins bien droits, s’accrochant à la roche et résistant aux vicissitudes du climat.
Pour le retour au site du Chevreuil, prenez le sentier des crêtes des Chérards. Vous longerez une petite falaise, par un chemin sinueux entre les roches et les arbres. Vous rejoindrez la route forestière de Combe aux Porcs, puis redescendrez par le sentier du départ. Au site du Chevreuil, vous pourrez pique-niquer, plonger dans l’histoire des Canadiens ou découvrir des essences d’arbres venus d’ailleurs dans l’arboretum.
Le saviez-vous ?
Dans le Jura, une tradition veut que chaque forêt présente son arbre président.
Depuis 1897, les arbres exceptionnels se succèdent.
A date du reportage, l'élu âgé de plus de 300 ans, mesure plus de 45 mètres de haut et 1,20 mètre de diamètre.