Hartmannswillerkopf, un témoin de l’Alsace en guerre et des forêts au front
Après la déclaration de guerre du 3 août 1914, les Français veulent reprendre l’Alsace et la Moselle, toutes deux allemandes depuis 1871. La ligne de crête des Vosges devient alors un enjeu stratégique. Situé à 956,5 mètres d’altitude, le plateau du Hartmannswillerkopf (HWK) en fait partie : il offre, depuis le rocher panorama Aussichtsfelsen, une vue plongeante sur la plaine d’Alsace. Cela le rend particulièrement intéressant pour les deux camps et ce, dès 1914.
Plusieurs noms pour un même site
Hartmannswillerkopf signifie littéralement "la tête", au sens de sommet géographique, d’Hartmannswiller, village situé au pied de la montagne. Popularisé dès avril 1915 par le journal l’Illustration sous le nom de Vieil Armand, les soldats français l’appellent plus volontiers le Hartmann, le HWK ou "le mangeur d’hommes". Les soldats allemands préfèrent le HK, la "montagne de la mort" ou "la montagne sacrée".
Le HWK est d’abord utilisé pour des raisons tactiques comme observatoire d’artillerie de premier ordre afin de régler les tirs sur la voie ferrée Colmar-Mulhouse. Un premier soldat, allemand, meurt le 30 décembre 1914 lors d’un accrochage entre les deux camps. Les premières tombes apparaissent sur le site en janvier 1915. Le HWK est devenu un enjeu de puissance. Les deux armées sont prêtes à se lancer dans de terribles combats pour en prendre possession.
Une forêt qui résiste mal
Les meilleures troupes françaises et allemandes s’affrontent sur "le mangeur d’hommes" dans les conditions physiques, climatiques et militaires extrêmes qu’impose la guerre en montagne. Dès mars 1915, la forêt commence à disparaître, mettant à nu les défenses de l’adversaire, qui s’accumulent sur le plateau sommital.
Des mineurs pour creuser la montagne
Pour transformer le massif en fourmilière, les Allemands creusent ses pentes en profondeur à partir de 1916. Des bataillons de terrassiers, des compagnies de travailleurs et de mineurs du 56e régiment d’Infanterie de Landewehr sont recrutés. A l’aide de perforatrices électriques et pneumatiques, ils relient les différentes positions entre elles mais aussi à la contre-pente. Ils permettent ainsi aux renforts d’arriver sans danger et de protéger les défenseurs du plateau sommital des tirs d’artillerie, même de gros calibre.
De très nombreux ouvrages
Côté français comme côté allemand, le réseau de tranchées et d’abris se révèle d’une extrême densité. Idéalement située sur le bord nord du plateau, la roche Sermet est ainsi creusée de part en part puis fortifiée pour devenir un bastion français invulnérable.
Des galeries d’abris sur deux niveaux sont reliées par un puits. Des postes de mitrailleuses dirigées vers les positions allemandes y sont installés. Conquise le 23 mars 1915, elle constitue avec la roche Mégard en contrebas, la première ligne française qui ne sera pas reprise par les Allemands.
A quelques exceptions près, les tranchées françaises ne sont pas maçonnées. Le renforcement de la protection est plutôt assuré par l’adjonction de créneaux dans les parapets, en bois ou en "sacs à terre", selon le terme d’époque. Côté allemand, un réseau labyrinthique et maçonné se met en place, qui ne donne pas beaucoup de visibilité aux soldats sur le camp adverse.
En surface ou profondément enterrés, les abris sont très nombreux quel que soit le camp. Le soldat ne doit pas avoir à parcourir plus de quelques mètres dans la tranchée avant de trouver un lieu pour se protéger en cas de tirs d’artillerie. De véritables forteresses, appelées "festen", sont construites par l’armée allemande dans certaines zones.
Une base arrière très organisée
Sur le versant Est du HWK, très abrupt, les Allemands organisent une base arrière très élaborée, quasiment hors d’atteinte de l’artillerie française. Elle abrite un complexe de bâtiments techniques et de casernes qui s’étagent tout au long de la pente.
Au total, 30 000 soldats français et allemands meurent sur le HWK, champ de bataille caractéristique de la guerre de position en montagne. S’ajoutent à ces pertes environ 30 000 autres hommes blessés ou faits prisonniers. Le site est classé monument historique en 1921.
Un site où se côtoient nature et histoire
Le site de l’Hartmannswillerskopf a mis du temps à se reconstruire. Aujourd’hui, il abrite non seulement une grande biodiversité naturelle, favorisée par le retour de la forêt, mais également d’importants vestiges de la guerre. Bombardements et combats ont totalement bouleversé les paysages du HWK, qui a mis du temps à cicatriser.
Cela d’autant plus que des incendies survenus après-guerre ont ralenti le travail de la nature. Mais aujourd’hui, le site révèle un patrimoine écologique remarquable qui justifie la protection au titre de Natura 2000 : forêt sub-naturelle, faune et flore protégées.
L’environnement dénudé, plus sec et plus chaud, a engendré le développement d’une nouvelle flore. Sur les dalles rocheuses, les rochers et les éboulis siliceux, les habitats de milieux ouverts abritent ainsi une végétation dite chasmophytique, qui pousse à la faveur de petites accumulations de terre dans les fissures et les anfractuosités. La Saxifrage rose (Saxifraga rosacea), protégée en Alsace, fait partie de ces espèces.
Ces milieux sont également le refuge de nombreux insectes patrimoniaux comme les criquets et les papillons. Ils appartiennent en partie au site Natura 2000 de la zone spéciale de conservation "promontoires siliceux".
Certains peuplements forestiers issus de la recolonisation sont considérés comme "sub-naturels". Laissés en libre évolution au profit de la biodiversité, ils sont riches en essences diverses ainsi qu’en arbres à cavités et en bois mort.
Territoires de chasse favorable aux chauves-souris, ils sont le refuge d’oiseaux cavernicoles comme les pics et abritent de nombreux insectes saproxyliques liés au processus de décomposition du bois. Le secteur s’inscrit dans les sites Natura 2000 "site à chauve-souris des Vosges haut-rhinoises" et dans la zone de protection spéciale "Hautes-Vosges, Haut-Rhin" pour la protection des oiseaux.
Des vestiges bien présents
Aux côtés de ces richesses naturelles, le site abrite encore de nombreuses traces des combats, même si elles ont été inexorablement altérées par le temps. Si les anciennes tranchées françaises, majoritairement en bois, ont mal résisté à l’érosion et aux incendies qu’a connus le massif entre les deux guerres, les tranchées allemandes, maçonnées pour la plupart, sont bien conservées. De nombreux abris bétonnés subsistent également.
Des aménagements pour faciliter la découverte
Un important travail de conservation et de mise en valeur permet aujourd’hui de visiter le site en toute sécurité. Les aménagements effectués révèlent parfois des détails inattendus de la vie dans ce haut lieu des combats de la Première Guerre mondiale : il est par exemple possible de découvrir les éléments floraux d’une frise peinte sur les murs de l’une des cuisines construites par les Allemands sur les flancs du Hartmannswillerskopf.