La grande Histoire des forêts (#Episode 1) : le reboisement des massifs montagneux, salvateur et protecteur
La montagne est sans doute le milieu naturel ayant bénéficié des mesures de reboisement les plus conséquentes au cours de l’Histoire. Dans ces zones de grande ruralité, le surpâturage des ovins et la coupe de bois pour le chauffage ont provoqué une mise à nue progressive de la roche. Ces pratiques se sont étendues du XIIIe siècle à la fin du XIXe, époque à laquelle les déboisements atteignent leur paroxysme.
“De telles conditions se sont bien souvent avérées catastrophiques pour les populations montagnardes et celles vivant dans les régions de plaine en aval, confrontées à l’érosion, aux crues torrentielles, aux glissements de terrain, ou encore aux inondations”, relate Guillaume Peghaire, Chef du Département risques naturels à l'ONF.
Les forêts avant/après reboisement
Pour limiter la fréquence et la gravité de ces aléas naturels, la construction (ou parfois la reconstruction) d’un couvert végétal est devenue nécessaire. Dans la deuxième partie du XIXe siècle, trois lois (1860, 1864 et 1882) successives définissent des périmètres d’expropriations de terres par l’Etat dans le but de les renaturer par des reboisements, réengazonnements et restauration des terres. L’objectif initial : recouvrir plus de 300 000 hectares de terrains montagneux par des arbres.
Si de nos jours, personne ne contesterait l’importance des forêts et leur indispensabilité en zone de montagne, cela n’a pas été aussi simple dans les décennies passées. En achetant des terrains privés, l’Etat s’est heurté aux revendications des populations locales. Le boisement les privait en effet de zones de pâturage, ce qui a engendré des conflits. Si bien qu’en 1928, soit 68 ans après la première loi de Restauration de terrains en montagne (RTM), seuls 118 000 hectares avaient été reboisés. Les objectifs quantitatifs formulés à l’époque ne seront finalement atteints que de nos jours.
Après une période d’essoufflement au milieu du XXe siècle (1940-1970), l'action des services de restauration des terrains de montagne est renforcée et étendue après les drames de Passy (Haute-Savoie) et de Val-d’Isère (Savoie) en 1970 qui causèrent respectivement 71 et 39 victimes et mirent en lumière la nécessité de mieux prendre en compte les risques naturels dans des espaces montagneux désormais plus fréquentés et en plein développement économique. C’est alors que sont regroupées à l’ONF les compétences techniques relatives aux risques d’avalanche et de crue torrentielle afin de conseiller les préfets pour la prise en compte des risques naturels dans l’aménagement de la montagne.
Les grandes étapes de la restauration des terrains en montagne
- Juillet 1860 : loi de reboisement des montagnes
- Juin 1864 : loi pour le réengazon-nement des montagnes
- Avril 1882 : loi de restauration et de conservation des terrains en montagne
- 1182-1914 : âge d'or de la RTM
- 1914 - 1940 : âge de la gestion
- 1940 - 1970 : recul de la politique RTM
- 1970 : Relance active de la politique RTM
politique de restauration des terrains de montagne. Les effets, économiques et démographiques, de la guerre ont accéléré une émigration amorcée auparavant. En matière de politique RTM, on relève un fort ralentissement de la politique d'acquisition et la plupart des moyens sont consacrés à l'entretien des périmètres.
Dans certains secteurs, la diminution des crédits est compensée par la construction d’ouvrages de correction torrentielle massifs en béton armé.
Le résineux, roi des montagnes
Ces forêts restaurées sont celles que nous aimons parcourir, en contemplant la verdure à perte de vue et en humant la fraîcheur des bois. Derrière les chiffres, c’est tout un ensemble de paysages et d’ambiances que ces lois ont permis de reconstruire.
Sur ces terres qui, deux siècles en arrière, n’étaient que friches et érosion, se dressent aujourd’hui les hauts Sapins de l’Aigoual (Gard/Lozère), ou encore les majestueux Pins à crochets de La Mongie (Hautes-Pyrénées), pour ne citer que deux forêts RTM. Difficile d’imaginer ces massifs emblématiques sans leurs arbres, qui font toute leur splendeur.
Naturellement, et avant le déboisement qui culmine en 1850, les résineux étaient déjà majoritaires dans les zones de montagne. Les plantations historiques de la RTM ont donc tenté de recopier la nature en sélectionnant une majorité d’essences résineuses autochtones dans l’étage subalpin et montagnard. Pin sylvestre, Pin cembro, Mélèze, Pin à crochets sont les essences les plus plantées dans le cadre de la RTM, devant le Sapin et l’Epicéa qui sont utilisés dans une moindre mesure.
Les opportunités d'approvisionnement en graines justifient également certains choix, comme celui du Cèdre de l’Atlas. L’utilisation de cette essence dans les reboisements s’explique par d’importants échanges de graines effectués avec l’Algérie à l’époque. Pas moins de 18 700 kg de cônes de Cèdres de l’Atlas ont ainsi été alloués à la RTM.
Autre essence non autochtone plantée très largement : le pin noir d’Autriche. Il s’est établi principalement dans des zones entièrement déboisées et fortement érodées au XIXe siècle. Le pin noir était l’essence la plus adaptée pour reconstituer les sols faits de terres noires, créer une ambiance forestière.
Il a été utilisé comme “essence relais”, implantée en premier pour revenir par la suite à la forêt initiale composée entre autres de feuillus. Si quelques saules, aulnes, ou encore arbousiers ont parfois été plantés dans la création des forêts RTM, c’est surtout la dynamique naturelle qui a permis le retour des feuillus en montagne.
Des femmes et des hommes sur les chantiers RTM
Derrière les chiffres des reboisements RTM, il ne faut pas oublier le côté humain de ces travaux titanesques. Des femmes et des hommes ont œuvré pour faire des forêts RTM ce qu’elles sont aujourd’hui. Le travail des femmes et même des enfants intervient principalement après la loi de 1882 et représente environ 7% des emplois.
Les missions qui leur étaient confiées concernaient surtout les plantations. Des feuilles de paies de l’époque montrent que ces derniers étaient salariés à un tarif moindre que les hommes, pour le même travail. Grâce à de nombreuses archives, Vérane Bréchu, technicienne forestière territoriale sur le Mont Ventoux, a contribué à l’édification d’un lieu de mémoire en forêt domaniale du Bédoin (Vaucluse).
Aux côtés de photos d’archives à taille humaine, se trouve une liste de mille noms de personnes ayant contribué aux reboisements d’une manière ou d’une autre.
Le saviez-vous ?
La Restauration des terrains en montagne est l’une des quatorze Missions d’intérêt général (Mig) confiées par l’Etat à l’Office national des forêts, au même titre que la Défense des forêts contre les incendies (DFCI), la protection du littoral ou encore de la Biodiversité et du Paysage.