La chasse, on peut l’aimer ou la détester. Mais une chose est sûre : en l’absence de grands prédateurs, cette activité, gérée par l’ONF dans les forêts domaniales françaises, est indispensable à l’équilibre et à la bonne santé des écosystèmes forestiers.
Pourquoi ? Les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon les dernières statistiques de l’ONF, plus de 50% des surfaces des forêts domaniales, appartenant à l’Etat, sont en situation de déséquilibre forêt-ongulés à cause d’une surpopulation de cerfs, chevreuils, biches, sangliers...
Le danger pour les forêts est réel. Présents en trop grand nombre, ces animaux consomment en quantité importante les jeunes arbres, compromettent ainsi la croissance et le renouvellement des peuplements forestiers et appauvrissent la diversité des essences, notamment celles adaptées au changement climatique.
"La situation varie selon les territoires", explique Ludovic Lanzillo, expert national chasse, pêche et équilibre forêt-ongulés à l’Office national des forêts (ONF). Les régions Grand Est, Hauts-de-France et Bourgogne-Franche-Comté sont très concernées, mais les ongulés forestiers n’épargnent pas les forêts d’Auvergne, de Lozère, du Limousin, du Sud-Ouest et bien d’autres encore.
Augmentation considérable des ongulés en 40 ans
Leur présence en France a fortement changé. Le cerf occupait plus de 49% des surfaces boisées en 2019 contre 25% en 1985, selon l’Office français de la biodiversité (OFB). "Quant au sanglier, il ne causait pas de problèmes en petite densité, mais sa population a été multipliée par six en trente ans", complète Ludovic Lanzillo.
Tous les ans, la gestion liée à la surabondance des grands animaux en forêt coûte environ 15 millions d’euros supplémentaires à l’ONF, principalement en coûts de plantations pour combler les vides et en opérations de protection des semis et des jeunes plants. "A ceux qui pensent que ce déséquilibre est exagéré, je les invite à venir sur le terrain, dialoguer avec les forestiers pour constater l’étendue des dégâts et comprendre les conséquences économiques et écologiques induites par ce phénomène", continue-t-il.
Les 4 principaux dégâts forestiers causés par les grands ongulés
- Le vermillis (affouillement du sol) du sanglier. Avec son groin, appelé boutoir, le sanglier fouille le sol à la recherche de vers et de fruits forestiers (glands, faines...). Ce faisant, il déterre les jeunes semis forestiers (chêne, hêtre, sapin…), ce qui peut nuire fortement à la régénération de la forêt.
- L’abroutissement du cerf et du chevreuil. C’est-à-dire que l’animal consomme les bourgeons, les feuilles, les aiguilles ou les jeunes pousses des arbres à portée de dents.
- L’écorçage des arbres. Les cerfs peuvent se nourrir de lambeaux d’écorce du tronc, notamment quand ils sont en sureffectifs.
- Le frottis du cerf et du chevreuil. Les mâles frottent leurs bois en croissance aux jeunes arbres et arrachent l’écorce, cassant parfois la tige.
Agir vite face au changement climatique
Trouver l’équilibre entre forêt et ongulés s’avère encore plus urgent avec l’accélération du changement climatique. Beaucoup de reboisements sont en effet prévus par l’ONF pour accompagner les forêts dévastées par les effets de la sécheresse et des attaques des parasites, tels que les scolytes.
La régénération naturelle des forêts n’est pas épargnée non plus. Les grands ongulés sont très friands des essences qui s’adaptent le mieux au réchauffement climatique (Merisier, Chêne, Erable, Tilleul, Douglas...). "Cette problématique est souvent invisible pour le grand public. Pourtant, elle aura de graves conséquences sur la forêt de demain", assure Jonathan Fischbach, responsable chasse et pêche de l’agence de Sarrebourg de l’ONF (2013-2023).
Avec l’accélération du changement climatique, les phénomènes accrus de sécheresses et de crises sanitaires un peu partout en France, la reconstitution des peuplements forestiers impose impérativement une maîtrise absolue des effectifs de grands ongulés. D’ores et déjà, les fortes densités de cervidés hypothèquent, dans de nombreuses zones, la régénération des peuplements. Quel que soit le mode de renouvellement choisi, de façon naturelle ou par plantation, les efforts de reconstruction des peuplements seront vains si l’équilibre n’est pas rétabli ou maintenu en forêt.
L’équilibre sylvo-cynégétique, un impératif confié à l’ONF par la loi
Selon l’article L.121-1 du Code forestier, "l’Etat veille (…) à la régénération des peuplements forestiers dans des conditions satisfaisantes d’équilibre sylvo-cynégétique". Ce dernier terme, au sens de l’article L.425-4 du Code de l’environnement, signifie notamment de rendre compatible la présence durable d’une faune sauvage et d’assurer la pérennité des activités sylvicoles, notamment en permettant la régénération des peuplements forestiers dans des conditions satisfaisantes. Cette mission fondamentale est confiée à l’ONF par l’article D.221-2 du Code forestier.
Risques pour la biodiversité et la filière forêt-bois
Et la biodiversité ? Ce déséquilibre forêt-ongulés nuit aussi à la faune en forêt. Un exemple dans les montagnes pyrénéennes où le Grand Tétras, espèce classée par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) sur la liste rouge des espèces menacées, est mis en danger par la surpopulation des cervidés. "Ces derniers consomment les myrtilles, les rhododendrons et la végétation herbacée et arbustive, qui constituent l’alimentation et l’habitat de ce galliforme", assure Jean-Lou Meunier, directeur de l’agence Pyrénées-Gascogne à l’ONF.
Il faut enfin ajouter les dommages collatéraux pour la filière forêt-bois, qui représente aujourd’hui en France 400 000 emplois locaux non délocalisables. "Selon l’état du déséquilibre sylvo-cynégétique, les coupes d’arbres prévues et nécessaires pour renouveler les peuplements ne sont pas effectuées, ou alors plus tardivement. Cette situation provoque une perte considérable pour les acteurs du secteur", poursuit Jean-Lou Meunier.
Sans compter que les arbres, abroutis à l’état de jeunes plants et grandissant parfois tordus ou abîmés, ne peuvent plus être utilisés en bois construction qui représente pourtant, comme l'indique le dernier rapport du GIEC, un levier essentiel pour contribuer à la transition écologique.
Le saviez-vous ?
90 millions de tonnes de CO2 sont stockées grâce à l’utilisation des produits bois en France. Dans le bois construction, la capacité de stockage de carbone s’étend sur une durée de 50 à 100 ans. Si une fois récoltés, les arbres continuent de jouer leur rôle de stockage de carbone sur le long terme, l’utilisation du bois permet aussi, comme l’indique le dernier rapport du GIEC, de se "substituer à des matériaux plus énergivores, réduisant ainsi les émissions de gaz à effet de serre dans d'autres secteurs".
Des solutions envisagées sur le terrain
Face à ces constats alarmants, trois grands types d’actions sont menées par les forestiers pour garantir une gestion durable des forêts, conformément aux missions attribuées par l’Etat à l’ONF. Parmi elles :
- Travailler avec les locataires de chasse. L’Office national des forêts, qui loue aux chasseurs près de 3 000 baux de chasse, a renforcé en 2016 les objectifs à atteindre en matière d’équilibre forêt-ongulés. Tous les trois ans, l’ONF évalue désormais ces résultats et attribue en fonction un bonus (remise sur le loyer…), un malus (pénalité financière…) ou des sanctions plus graves (résiliation du contrat de location…). Voir les calendriers de chasse
- Mettre en place des enclos/exclos pour suivre l’impact des cerfs, biches, chevreuils et sangliers sur les régénérations. Les enclos sont utilisés en forêt pour mettre en évidence les effets des ongulés sur la végétation forestière. Il s’agit d’exclure les ongulés d’une zone donnée et de comparer, au cours du temps, l’état du milieu sans ongulés (l’enclos) à celui du milieu environnant où circulent librement la faune sauvage (l’exclos). Une telle comparaison, aussi simple puisse-t-elle sembler, constitue une méthode de référence pour de nombreuses études scientifiques. "Les données recueillies produiront des indicateurs renseignant l’équilibre forêt-ongulés et centrés sur le renouvellement des peuplements, stade critique pour les forestiers. Ils pourront servir d’outil de dialogue pour partager les constats entre forestiers et chasseurs", explique Vincent Boulanger, chercheur à l’ONF.
- Au pire, clôturer pour mieux protéger les jeunes arbres. Autour des parcelles ou en protection individuelle, ces clôtures constituent une gêne paysagère importante pour les citoyens nombreux à se promener dans les espaces naturels. Elles ne sauraient pourtant être une solution pérenne. En effet, engrillager entraîne un surcoût et produit des déchets. "Le tarif varie selon le type de plantation, de terrain et la région. On peut dire qu’en moyenne la protection augmente de 50 à 60 % le coût de la plantation", estime Hélène Chevalier, chargée de travaux forestiers à la direction des forêts et des risques naturels (DFRN) à l'ONF.