2019 : les dégâts de la sécheresse en cartes
Plus de 300 000 : c’est le nombre d’hectares touchés par des dépérissements en forêt publique depuis 2018, soit environ 30 fois la superficie de Paris. L'accélération du réchauffement climatique, marqué par des épisodes de sécheresse inédite et une épidémie de scolytes (insectes ravageurs), est à l’origine de ces dégâts considérables.
Dans le cadre de son plan d’actions vigilance sécheresse, l’ONF a réalisé une enquête auprès de ses personnels de terrain pour connaître l’ampleur des dépérissements. Cette étude a été effectuée auprès de 171 unités territoriales* sur les régions les plus concernées par la sécheresse : le Grand Est, la Bourgogne Franche-Comté, et les départements Ain, Loire, Rhône, Nord-Pas de Calais, Picardie, Haute-Normandie, Limousin. Les chiffres qu’elle révèle parlent d’eux-mêmes. Sur 9 343 forêts gérées par les équipes locales de l'ONF, 45,1% d'entre elles ont été impactées.
* Unité territoriale : L'ONF s’appuie sur une organisation territoriale couvrant le territoire métropolitain et les cinq départements d’Outre-mer. L'Office est ainsi organisé en neuf directions territoriales et deux directions régionales, 50 agences territoriales, 320 unités territoriales.
Les parties les plus touchées sont localisées à l’Est ou dans des zones de basse montagne ou de plaine. "Une vingtaine d'unités territoriales ont plus de 50 forêts concernées par des dépérissements. L'objectif de cette enquête est de pouvoir apporter, en soutien aux équipes locales, une réponse adaptée aux différentes situations sur les territoires les plus touchés", indique Brigitte Pilard-Landeau de la Direction forêt et risques naturels de l'ONF.
"Des mesures adaptatives ont été concertées avec le ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation. Elles pourront notamment se traduire par une prorogation ou des modifications des documents d'aménagement", explique de son côté Régis Bibiano, expert national aménagement forestier à l'ONF. Pour l'heure, impossible de chiffrer le nombre de forêts qui verront leur aménagement modifié.
La principale difficulté de la stratégie de renouvellement des forêts face aux évolutions climatiques est de devoir prendre des décisions "sans regret", de très long terme, dans un contexte qualifié de "cascade d'incertitudes" par les climatologues. Nos certitudes résident dans la nécessité d'expérimenter et de miser sur une plus grande diversité génétique des peuplements pour améliorer la résilience des forêts.
De nombreuses essences touchées
Au-delà de l'ampleur des dépérissements, l'enquête révèle l'importance du nombre d'essences forestières mises à mal par les phénomènes de sécheresse et de changement climatique. L’épicea est l’essence la plus citée par les forestiers de l'ONF. En effet, ce résineux souffre d'un double phénomène qui cause sa mortalité. Tout d'abord, le manque de pluviométrie a gravement affecté cette essence très exigeante en humidité. Si les arbres disposent de moyens naturels pour s'adapter à une pénurie d'eau, ceux-ci sont très vite limités en l’absence de réserves dans le sol. En l'occurrence, ces réserves étaient déjà bien amoindries, la sécheresse de 2019 faisant suite à plusieurs années tout aussi sèches.
Ainsi affaiblis, les épicéas ont été la cible des scolytes, de petits coléoptères creusant des galeries sous l’écorce et détruisant les tissus conducteurs de sève. "La forêt domaniale de Verdun a été l'une des plus durement touchées. Les scolytes ont largement accéléré les mortalités des peuplements et le phénomène s'est très rapidement propagé. Nous avons aujourd'hui perdu la totalité des épicéas, soit 19% de la surface boisée de la forêt", déplore Lilian Duband, aménagiste en forêt domaniale de Verdun (Meuse).
Derrière l'épicéa, viennent le hêtre, les autres feuillus et enfin le sapin. C'est la première fois qu'un tel phénomène touche autant d'essences forestières.
Un afflux de bois à mobiliser
L'étude réalisée par l'ONF a également permis de définir les volumes prévisionnels de bois supplémentaires qui seront exploités en 2020. Si 65% des unités territoriales de l'ONF tablent sur un volume prévisionnel proche du volume de référence, les 35% restant (soit 59 unités territoriales), doivent faire face à un afflux de bois à mobiliser. Sur l'ensemble des forêts publiques métropolitaines, 2,14 millions de mètres cubes devraient ainsi s'ajouter aux 15 millions récoltés habituellement, impliquant un risque de saturation du marché et de dévalorisation de la valeur des bois.
Face à cette situation aux conséquences écologiques et économiques globales, l'ensemble de la filière forêt-bois française est sur le qui-vive. Les forestiers de l'ONF le savent : les dégâts occasionnés ne sont pas derrière eux. "Avons-nous vécu le pic des dégâts, ou devons-nous nous attendre à des effets secondaires ?", s'interroge Brigitte Pilard-Landeau. Les équipes de l'ONF s'attendent en effet à voir des répercussions au printemps prochain : au moment où les arbres sont supposés refaire leur feuillage, de nouvelles mortalités pourraient ainsi être observées. Une étude permettra de les recenser. "Les deux épisodes de canicule de 2019 sont venus se superposer à des sécheresses déjà bien critiques. Nous sommes beaucoup moins confiants que lors d'une tempête par exemple. Les phénomènes liés au changement climatique sont bien plus intenses et continus", poursuit la spécialiste.
Du côté du ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation en charge des forêts, une enveloppe de 16 millions d'euros a été débloquée pour aider à l'exploitation et à la commercialisation des bois scolytés, puis à la reconstitution des peuplements touchés. A l'ONF, une nouvelle enquête sera prochainement lancée pour mesurer au plus près les conséquences financières de la sécheresse, tant en termes de pertes qu'en termes du coût des replantations.