Île-de-France : les châtaigniers sous surveillance spatiale
La technologie se met au service des forêts franciliennes, qui sont largement touchées par la maladie de l'encre du châtaignier. Cette essence est la deuxième la plus représentée en Île-de-France après le chêne. Grâce aux analyses fournies par la télédétection, on estime aujourd’hui que 34% des peuplements de châtaigniers franciliens sont fortement impactés par cette crise.
À l'image de la forêt domaniale de Montmorency placée en crise sanitaire depuis 2018, de nombreuses forêts de la région connaissent ces dernières années un dépérissement important des peuplements de châtaigniers comme les forêts domaniales de Marly, de La Malmaison, de La Grange ou encore de Versailles.
Les cartes issues de la télédétection sont des outils précieux pour les gestionnaires de forêts qui ont besoin d’éléments spatialisés et chiffrés sur l'évolution de la problématique. Ainsi ils peuvent planifier et prioriser leurs actions en situation de crise. À l'échelle de la région cette évaluation offre une vision inédite du phénomène et de son ampleur.
Ces dernières années, d’importants projets structurants à l’échelle européenne permettent un accès facilité à de nombreuses images satellitaires. Les images à haute résolution spatiale des satellites Sentinel-2 (télédétection optique) de l’Agence spatiale européenne sont prétraitées (géoréférencement, corrections des effets atmosphériques et topographiques) et mises à disposition gratuitement. Leur utilisation s’en trouve ainsi facilitée et favorisée. Elles constituent une source d’information très intéressante pour le suivi de la forêt en général et des problèmes sylvo-sanitaires en particulier.
Grâce à ces images et aux données issues du terrain, fournies par les forestiers et les chercheurs, un processus de "machine l"earning*" produit des cartes présentant l’état sylvosanitaire des peuplements là où le châtaignier est le plus concentré. En effet, l’analyse par télédétection est possible et qualitative, seulement dans les zones où cette essence est largement majoritaire (à 80%).
C'est quoi le machine learning* ?
Le "machine learning" : ou "apprentissage automatique" en français, est un champ d'étude de l'intelligence artificielle. C'est un "concept qui tend à rendre une machine capable d'apprendre de ses expériences". La machine récupère des quantités importantes d'informations, qu'elle réutilise pour s'adapter à de nouvelles situations et même pour les anticiper. Ce qui la rend autonome dans le champ d'action qui lui est défini.
La production d’une première série de cartes permet aujourd’hui aux forestiers de faire un état des lieux des peuplements de châtaigniers en Ile-de-France, impactés par la maladie de l’encre et le réchauffement climatique.
Les cartes issues de la télédétection vont permettre aux forestiers de gagner du temps et de prioriser les zones où programmer des actions de lutte contre la maladie de l’encre. Ce projet est une réponse au besoin de cartographier les dépérissements sur notre région largement touchée par l'encre.
La mise à jour de ces cartes à l’aide des images acquises à l’avenir par les satellites est envisageable moyennant un perfectionnement de l’algorithme comme le montrent les travaux de l’INRAE de Montpellier sur le suivi des dégâts de scolytes dans les peuplements résineux. Cette méthode permettra de suivre la vitesse de l’évolution et de l’ampleur du phénomène.
Un projet collaboratif
Ce projet concerne la majorité des châtaigneraies en Ile-de-France et dans le département de l’Oise, aussi bien publiques que privées. Il a été le fruit d’un travail collaboratif et coordonné entre gestionnaires, acteurs de la forêt et scientifiques : le DSF - Département de la santé des forêts du ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation, l’INRAE, le CNPF (Centre national de la propriété forestière) et l'ONF.
La télédétection, comment ça marche ?
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1/ Analyse de placettes par les forestiers
Dans un premier temps les forestiers se rendent en forêt pour délimiter plusieurs placettes (zones) de 20 à 40 mètres de rayon et analysent sur ces zones l’état sanitaire de 20 arbres dominants. L’état sanitaire de chaque arbre est noté d’après le protocole d’observation DEPERIS, de A (arbre sain) à F (stade de dépérissement ultime), selon le niveau de manque de ramification et de mortalités de branches dans les houppiers.
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2/ Passage et prise de photos du satellite
Le satellite Sentinel-2, qui passe tous les 5 jours au-dessus de nos têtes, prend des images de tout le territoire avec une résolution de 10 mètres au sol
Ce type de cartes peut être une aide dans l’analyse épidémiologique de la maladie de l’encre. Croisées à d’autres données, elles nous permettent de comprendre certains facteurs favorables à son développement ou à son ralentissement, pour mieux la combattre.
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3/ Confrontation des relevés de terrains aux images satellitaires.
Les relevés terrains des forestiers sont confrontés aux images satellitaires. Ces données sont traitées par intelligence artificielle (IA) pour apprendre à identifier les dépérissements en différents niveaux grâce à ce croisement par = Machine Learning. L’IA peut ainsi par la suite, identifier et mettre en évidence des dépérissements qui n’ont pas été analysés ou découverts par les forestiers.
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4) Second contrôle sur le terrain pour affiner le diagnostic
Finalement, les forestiers retournent sur le terrain dans des zones sélectionnées aléatoirement, afin d'éprouver et de contrôler la justesse de la cartographie et d’établir le diagnostic plus précis.
L'encre du châtaignier gagne du terrain
Présente depuis des siècles dans le sol, la maladie de l'encre est due à un pathogène microscopique appelé Phytophtora qui se propage grâce à l’eau présente dans les sols et provoque des nécroses aux racines. Avec un système racinaire défaillant, et des épisodes de sécheresses estivales de plus en plus marqués, les châtaigniers ont de plus en plus de mal à s’alimenter en eau et flétrissent, ce qui entraîne leur déclin puis rapidement leur mort..
Cette maladie a fait des dégâts considérables dans la châtaigneraie française entre la fin du XIXe et la première moitié du XXe siècle. Puis elle est restée "silencieuse" pour réapparaître dans les années 1990-2000 dans les régions soumises au climat atlantique.
On constate un développement de cette maladie en Ile-de-France ces dernières années, en raison de printemps humides qui ont engorgé les terrains favorisant la multiplication et le déplacement du pathogène dans le sol. Cette maladie concerne toute la châtaigneraie du nord-ouest de la France. Il n’y a pas actuellement de traitement pour lutter contre cette maladie.