La forêt de Cherlieu, fière de ses chênes
Pas de bon vin sans bon tonneau. Dans la forêt domaniale de Cherlieu, les forestiers sont fiers d'élever les arbres qui donneront naissance à des breuvages d'exception. Depuis déjà de longues années, les producteurs de cognacs, vins et autres armagnacs connaissent la forêt. Si le hêtre y domine (70%), c'est le chêne sessile qui fait la réputation de Cherlieu. Dans sa partie la plus fertile, les sols de limons gréseux et les pluies favorisent la croissance des deux essences d'arbres.
Jérémy Esturgie, technicien forestier territorial à l'Office national des forêts (ONF), pourrait en parler des heures en déambulant sous les hautes frondaisons : "une part importante de nos chênes est de qualité merrain, c'est-à-dire apte à produire des tonneaux." Ces chênes sont facilement reconnaissables quand on se promène dans la forêt : des troncs droits et élancés, pas de branches en partie inférieure donc pas de nœud. De quoi faire de beaux tonneaux bien étanches.
Une croissance lente et régulière permet par ailleurs d’obtenir des grains très fins, provoquant des interactions subtiles entre le bois et l'alcool. Le chêne de qualité merrain fait partie de l'élite des chênes français. Il représente moins de 1% du volume de bois vendu chaque année, toutes essences confondues. Les qualités moindres partent en ébénisterie voire chez les fabricants de cercueil !
Ce résultat est le fruit d'un long travail de sélection. "Il faut veiller à ce que les chênes, qui démarrent lentement, ne soient pas empêchés par d'autres essences poussant plus vite, explique Fabrice Bossi, également technicien forestier territorial à l'ONF. À partir de 50 ans environ, les plus beaux chênes sont repérés et ils seront récoltés en moyenne à 150 ans."
Dans cette région agricole vallonnée, les promeneurs sont assez rares. "On croise surtout des cueilleurs de champignons et des chasseurs", résume Jérémy Esturgie. La forêt, traversée par le ruisseau de Cherlieu, offre pourtant un cadre reposant. À l'automne, on vient y écouter le brame du cerf.
Cherlieu, prestigieuse abbaye cistercienne
Une randonnée de 9 kilomètres, au départ de Montigny-lès-Cherlieu, permet de découvrir les ruines de cette abbaye, classée monument historique. L'abbaye était propriétaire de la forêt jusqu'à la Révolution. Depuis la route, un mur vestige de l'ancienne église dresse sa haute silhouette, avec un champ ondoyant en arrière-plan. À gauche du mur, on distingue un cloître du XIVe siècle et les restes du palais abbatial et de quelques bâtiments conventuels du XVIIIe siècle.
Difficile d'imaginer la grandeur passée de cette abbaye fondée en 1131. Grâce à la forêt, à ses fermes et aux revenus tirés de ses moulins, elle était la plus riche des abbayes cisterciennes de Franche-Comté jusqu'au début du XVIe siècle. Dans la forêt, quelques bornes en pierre gravées de la crosse des évêques rappellent cette histoire.
Plusieurs fois pillée, incendiée, l'abbaye a été complètement démantelée à la Révolution et ses pierres ont servi à la construction d'édifices voisins. Les sept étangs qui servaient de vivier et de réserve d'eau pour les moulins des moines, ont été transformés en prés. Depuis quelques années, les propriétaires des lieux et des bénévoles s'emploient à restaurer et faire connaître ce patrimoine prestigieux. Un sentier d'interprétation a été installé et des visites sont possibles sur rendez-vous. Le site a été choisi par la mission Bern en 2019 comme Monument remarquable en péril et à sauvegarder.
La forêt au défi du dérèglement climatique
Les frênes et les hêtres sont les premières victimes des nouvelles conditions climatiques. Les premiers, fragilisés par les sécheresses succombent à la chalarose, un champignon qui entraîne une nécrose. Les seconds souffrent aussi de la diminution des pluies.
On distingue des taches noires sur les troncs trop exposés au soleil, des poches de sève qui noircissent au contact de l'oxygène. "Le hêtre n'est plus blanc, cela entraîne son déclassement, il est vendu moins cher", explique Jérémy Esturgie. Les chênes sessiles sont plus résistants, mais les jeunes sujets font peu de feuilles et suscitent l'inquiétude.
Face au dérèglement climatique, il faut diversifier, tester de nouvelles essences ou des variétés plus méridionales.
Le défi aujourd'hui pour les forestiers est d'imaginer l'avenir. Un outil, baptisé ClimEssences, leur permet mesurer l’impact probable des changements climatiques sur la répartition des essences et de connaître leur résistance face aux sécheresses. D'après cet outil, d'ici 70 ans, le chêne sessile serait moins adapté à la forêt de Cherlieu.
"Il faut diversifier, tester de nouvelles essences ou des variétés plus méridionales", explique Jérémie Esturgie. Chêne pubescent, cèdre, voire liquidambar sont plantés. "On laisse aussi croître les arbres qui s'implantent naturellement : merisier, charme, fruitiers... On décide de leur sort après. Avant, étant forêt de production, on éliminait plus facilement un arbre dès lors qu'il ne figurait pas dans nos essences objectifs, le chêne ou le hêtre." Idem pour les arbres morts poursuit Fabrice Bossi. "Avant, on les coupait. Aujourd'hui, s'ils procurent de l'ombre sur la parcelle, on les laissera probablement."
Une dizaine d'hectares sont par ailleurs en îlot de vieillissement : les arbres y sont récoltés à un âge bien supérieur à l'âge normal (jusqu'à 300 ans pour le chêne), favorisant l'installation d'une biodiversité friande de bois mort ou vieillissant : oiseaux, chauves-souris, insectes et champignons qui aiment les vieux bois.
Avec le forestier au cœur de Cherlieu
©Elodie de Vreyer / ONFLes cours d'eau, sources de vie
Elle est assez difficile à observer ici mais l'écrevisse à pattes blanches est la star discrète de la forêt. Ce crustacé est classé "espèce en danger" sur la liste rouge établie par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). De ce fait et pour empêcher la pollution par des produits phytosanitaires agricoles, tous les cours d'eau de la forêt sont protégés et interdits de pêche.
Sur sa lisière coule une modeste source où les habitants viennent encore régulièrement remplir des bouteilles d'eau, survivance d'une pratique ancienne. Les berges du ruisseau de Cherlieu, l'étang de Melin sont aussi de milieux humides favorables à de nombreux insectes.
La forêt de Cherlieu en chiffres
Côté pratique
- Public
La forêt est accessible à tous les publics. Les balades y sont faciles (pas ou peu de dénivelé).
- Accès
La forêt est accessible depuis les villages de Preigney, Montigny-lès-Cherlieu et Bougey.
- Services
Une aire de pique-nique est aménagée à l'entrée est de la forêt, le long de la route forestière qui vient de Bougey. Il existe plusieurs gîtes à Montigny-lès-Cherlieu et Bougey et un restaurant à Preigney. Les villages voisins proposent aussi plusieurs offres d'hôtellerie et de restauration. Renseignements sur le site de l'Office de tourisme de Jussey.