Promenons-nous en forêt de Haguenau, Forêt d’Exception®
Tout commence au petit matin, à l’heure où la rosée blanchit la campagne, quand les oiseaux épellent leur grammaire très sonore. Un petit chemin vicinal nous indique la voie jusqu’à l’orée de la forêt. Visuellement, cette entrée discrète semble être le prolongement du jardin d’une habitante que nous croisons, occupée à ramasser des feuilles d’automne.
Ici, cette saison douce et colorée a bel et bien commencé. Les arbres portent fièrement leurs feuillages chamarrés. Le soleil perce l’épaisse canopée des premiers grands hêtres que nous croisons. A leurs pieds coule l’Eberbach. Fagus sylvatica, le hêtre, aime la fraîcheur.
Floriane Moroni, cheffe de projet Haguenau, Forêt d'Exception® à l'Office national des forêts (ONF), notre guide pour la journée, nous rappelle que certaines essences d’arbres, comme le hêtre, ne supportent pas les grandes sécheresses ni les coups de soleil. Cette essence fait donc tristement partie de celles que l’on voit dépérir en raison d’un trop grand stress hydrique causé par une succession d’étés trop chauds.
Heureusement, à Haguenau, ces arbres ne sont pas majoritaires. Les pins sylvestres et les chênes, qui représentent 3/4 des peuplements, sont encore en bonne santé.
Sur les chemins se côtoient de nombreux visiteurs, jeunes et moins jeunes, sportifs, randonneurs, cyclistes ou simples flâneurs qui profitent de ces espaces aménagés par les forestiers et les communes environnantes pour le plus grand plaisir de tous.
Pour celle ou celui qui ne connaît pas encore cette forêt, les bords de l’Eberbach et ses méandres valent le détour. Cette rivière silencieuse se distingue par la belle sinuosité de son cours.
Floriane nous raconte qu’un projet de renaturation du Brumbach (affluent de l’Eberbach) prévoit de réaménager un ancien méandre pour lui rendre son cours initial.
Floriane nous parle de son lieu "coup de cœur" en forêt de Haguenau
©Fanny BernardonTémoin de l’histoire, la forêt porte aussi ici et là les stigmates de la tempête Lothar de 1999, avec plusieurs parcelles où les trouées causées par les forts vents sont encore visibles. "Un vrai traumatisme pour les gens du coin, très attachés à leur forêt", nous raconte un cueilleur de champignons croisé en chemin. Ces lieux boisés, il les connaît dans leurs moindres recoins. "Si vous vous perdez, repérez-vous à la mousse surtout, elle indique le nord !", nous lance-t-il avant de disparaître.
C’est vrai, la forêt est immense ici, et ses feuillages épais. Un réseau de 200 kilomètres de sentiers balisés et de nombreuses pistes cyclables permettent aux nombreux visiteurs de découvrir les différents sites de la forêt. Dans le cadre de la démarche Haguenau, Forêt d’Exception®, l’ONF, la Ville de Haguenau et leurs partenaires réfléchissent à améliorer l’accueil du public en forêt. Aujourd’hui, on comptabilise plus de 600 000 visites par an.
L’aire du Gros-Chêne est l’un des endroits où le public converge d’ailleurs le plus. Chaque année, on dénombre 260 000 visites de promeneurs venant ici profiter d’un peu de détente. Tout est prévu pour : une auberge accueillante, des départs de sentiers ainsi que de nombreuses installations pour les enfants. Tout à côté, se tient le vestige d’un chêne sans âge où éclatent les rires des plus jeunes alors que leurs parents profitent des pelouses et des espaces de pique-nique.
Pour celles et ceux qui voudraient profiter de l’intimité qu’offre aussi cette forêt, direction la parcelle 273 et son petit sentier sableux qui longe une allée de pins. Le sable est, avec l’argile, une des principales composantes des sols de cette forêt grandiose.
Devant nous, se dresse rapidement un observatoire ornithologique tout de bois conçu, en surplomb d’un étang qui prend le soleil, enlacé par des pins sylvestres et des roseaux. "Avant d’être un étang accueillant de nombreux oiseaux, cet endroit était une argilière qui a été renaturée", explique Floriane.
Pour la petite histoire…
Autour de la forêt se sont bâtis au fil des siècles deux villages de potiers, Betschdorf et Soufflenheim, qui participent aujourd’hui encore à la renommée des environs. Pour leur ouvrage, les potiers avaient obtenu le droit de prélever gratuitement l’argile présente en forêt. Une drôle de tradition s’est alors mise en place : d’énormes trous étaient creusés, l’argile en était extraite et déposée en d’immenses tas dans un lieu dédié, pour l’usage des potiers. Ces carrières d’argile se rencontrent encore en forêt de Haguenau, formant généralement des mares ou des étangs. Depuis 1996, date de la dernière extraction, bien que les artisans ne chôment pas, le tas d’argile, ne semble pas diminuer !
Aujourd’hui, loin des tours de potiers, le promeneur pourra admirer la superbe étendue de cet étang aménagé sur l’ancienne argilière. Et avoir la chance, peut-être, d’assister au vol fugace et gracile des martins-pêcheurs venus raser l’eau de leur plumage bleu éclatant avant de disparaître à nouveau dans un gracieux ballet.
La présence de ces oiseaux indique que respect de la biodiversité et exploitation de la forêt peuvent parfaitement se marier quand cela est fait dans le respect des espèces et des habitats. On dit souvent que les martins-pêcheurs se plaisent à chasser dans des milieux aquatiques de qualité… ici à Haguenau, ils ont l’air de se plaire ! La quasi-totalité de la forêt indivise de Haguenau est classée en zone Natura 2000 et 230 hectares de forêt sont des réserves biologiques intégrales où la préservation de la biodiversité est une priorité.
Le martin-pêcheur n’est pas la seule espèce animale à se nicher à l’abri de cette forêt. On peut aussi y trouver la cigogne noire, éprise de silence, des pics, des milans ou encore des chouettes de Tengmalm. De nombreuses autres espèces sont protégées ici : des salamandres, des tritons crêtés ou encore le crapaud sonneur à ventre jaune. Comme Bombina variegata, le sonneur à ventre jaune, les amphibiens sont particulièrement surveillés par les forestiers de l’ONF et leurs partenaires associatifs. Dans le but de préserver leur reproduction, il arrive fréquemment que les forestiers ferment certaines routes à la circulation afin que coasseuses et coasseurs convolent en paix.
La biodiversité en images
La visite se poursuit au pied du pin remarquable de Haguenau labellisé Arbre Remarquable de France. Remarquable : il porte son qualificatif à merveille. Il est là massif, culminant à 35 mètres de haut, avec un diamètre de 1m15 ! Comme c’est typique des pins sylvestres, ses écailles tombent sur sa hauteur laissant apparaître sur son tronc un rose légèrement saumoné. Ses branches charpentières magnifiques sont lourdes, puissantes, presque entrelacées les unes aux autres : ici, la nature a créé un chef-d’œuvre.
La visite guidée s’achève par une vue d’ensemble de cette forêt indivise, labellisée Forêt d’Exception en 2020. Que signifie "indivise" ? Tout simplement une copropriété établie de la forêt entre la ville de Haguenau et l’Etat français, et ce depuis le XVe siècle ! Ce statut n’a pas changé depuis, les haguenoviens ont toujours voulu garder un droit d'usage de leur forêt. C'est même Louis XIV en son temps qui leur a cédé : "Le Roy en son Conseil ayant égards à la requeste a maintenu et gardé les supplians en la possession et jouissance de la moitié de ladite forest d’Haguenau par Indivis avec sa Majesté et en conséquence ordonné qu’il leur sera annuellement délivré moitié du prix des bois qui y seront vendus".
Depuis des siècles donc, les haguenoviens et les habitants des villages environnants ont à cœur l’intendance de leur forêt. Quid de cette gestion six siècles après la création du statut d’indivision ? A Haguenau, comme dans toutes les forêts domaniales, c’est la gestion durable qui est privilégiée, et plus particulièrement la régénération naturelle. Lors des opérations de martelage, les forestiers de l’ONF s’assurent qu’aux pieds des grands arbres se trouvent des semis et qu’ainsi la descendance est assurée. Pour éviter d’avoir à planter, les forestiers travaillent à valoriser la présence du chêne en le laissant pousser, de lui-même. De la même façon, le bouleau, espèce pionnière, a repointé le bout de ses branches après la tempête Lothar de 1999, et pousse désormais librement à Haguenau.
Lothar a laissé des cicatrices encore visibles, mais qu’en sera-t-il demain avec l’accélération du réchauffement climatique ? Ici, il a déjà provoqué l’assèchement estival du Brumbach et le dépérissement du hêtre. On le sait désormais, la sécheresse est également un accélérateur de feux de forêts. Les incendies de 2022, qui ont ravagé de nombreux hectares de forêts métropolitaines, n’ont pas eu la même intensité à Haguenau. Néanmoins, malgré les nombreuses alertes et la grande vigilance des forestiers, des centaines de mégots ont été jetés en bordure de forêt à proximité des grands axes de circulation et le massif forestier haguenovien déplore quand même cinq à six hectares partis dans les flammes.
Comment assurer alors la survie d’un tel trésor forestier ? Comment être sûr que dans plusieurs siècles, nos enfants viendront flâner eux aussi sous les arbres, dormir à leurs pieds et faire craquer les feuilles sous leurs pas à l’automne ? A ces questions, une réponse s’impose à l’ONF : l’importance de la transmission. Et la transmission de ce patrimoine est justement ce qui anime les forestiers depuis des siècles, tout comme les partenaires locaux du label Forêt d’Exception unis autour d’une vision et dynamique commune.
Avant de vous laisser là, choisir le chemin que vous emprunterez, sachez que quelques joyeux farfadets, grands connaisseurs de la forêt de Haguenau, nous ont soufflé à l’oreille que seize de ses plus beaux chênes allaient partir consolider la nouvelle charpente de Notre-Dame de Paris… alors exceptionnel ou pas ?