Réserve biologique intégrale du Chapitre - Petit Buëch
La réserve biologique intégrale du Chapitre - Petit Buëch se trouve dans le cirque montagneux de Chaudun, dans un contrefort sud-est du massif du Dévoluy, à une dizaine de kilomètres au nord-ouest de Gap.
La réserve inclut en totalité la ZICO "Bois du Chapitre", sur laquelle a été créée une ZPS. Elle fait partiellement partie des ZNIEFF de type 1 "Forêt domaniale de Gap-Chaudun - Bois du Chapitre" et "Bois des Donnes et de Loubet", incluses dans la vaste ZNIEFF de type 2 "Dévoluy méridional : massif de Bure - Gleize - vallée de Chaudun - Charance". L'ensemble est situé dans la ZSC "Dévoluy Durbon - Charance - Champsaur".
Créée en 1990 en tant que RBD (sur 196 ha) et convertie en RBI en 2014, la réserve est constituée de trois tènements séparés par des secteurs pâturés et de petits bois communaux : une partie principale (351 ha) constituée par le bois du Chapitre en ubac et le bois de Brouas en adret, de part et d'autre du torrent du Petit Buëch ; à 2 km à l'ouest et en aval, le bois des Donnes (164 ha) ; à moins d'un demi kilomètre à l'est, le bois de Vière (40 ha).
En 2021, la RBI du Chapitre - Petit Buëch a été distinguée par son intégration au Patrimoine mondial de l'UNESCO en tant que composante d'un réseau européen de hêtraies (et hêtraies-sapinières en montagne) remarquables par leur niveau élevé de naturalité. Elle contribue à ce réseau en tant que site représentatif des Alpes du Sud.
Histoire
Les forêts de Chaudun ont été propriété ecclésiale depuis le XIIe siècle jusqu'à la Révolution. Acquises par les communes de situation, elles ont été rachetées par l'Etat à partir de 1888 dans le cadre de la politique de restauration des terrains en montagne (RTM). Particularité historique unique et significative de l'âpreté des conditions de vie dans ces montagnes au XIXe siècle, ce sont les habitants de Chaudun qui ont décidé de la vente des terrains de la commune et de l'abandon du hameau.
Les difficultés d'exploitation et de desserte ont conféré au fil du temps un caractère subnaturel marqué aux hêtraies et sapinières du bois du Chapitre, où la dernière exploitation a été faite en 1953. Au début du XXe siècle, faute de chemins, on était allé jusqu'à pratiquer le flottage des bois sur le Petit Buëch en ayant créé un barrage qui était vidé pour que le flot emporte les bois.
A ces parties de forêt préservées s'ajoutent des formations plus jeunes et encore en pleine évolution, après avoir subi jusqu'à la fin du XIXe siècle surexploitation et surpâturage.
Le patrimoine naturel ainsi développé et préservé a conduit en 1990 à la création d'une RBD sur le bois du Chapitre, qui reste le plus remarquable des sites de la réserve étendue en 2014 pour constituer la RBI du Chapitre - Petit Buëch.
Géologie - Pédologie
Le substrat de la réserve est constitué pour l'essentiel de calcaires durs du Crétacé (Sénonien) avec des affleurements locaux de marnes. Le relief est mouvementé, avec de fortes pentes et une forte représentation des milieux rocheux (falaises, rochers, éboulis).
En fonction de la géomorphologie et des contrastes entre adret et ubac, les sols sont très diversifiés, allant de sols squelettiques sur éboulis jusqu'à de profonds sols forestiers. Les différences sont accentuées par les disparités dans les utilisations passées ayant favorisé la protection des sols (forêt) ou bien leur érosion (surpâturage).
Milieux naturels
Du fond des gorges à 1150 m d'altitude jusqu'au sommet du Pic Melette à 2062 m, la réserve s'étend sur tout l'étage montagnard. L'étage supraméditerranéen est présent de façon marginale en adret, et le subalpin au niveau de pelouses sommitales.
L'habitat dominant est la hêtraie-sapinière neutrophile des Alpes du Sud à Trochischantes nodiflorus (CB 41.17), particulièrement développée sur l'ubac du bois du Chapitre. La hêtraie calcicole sèche (CB : 41.16 - N2000 : 9150) lui fait face sur l'adret. Dans ces forêts des Alpes du Sud, le Sapin avait souvent été chassé par les effets passés du traitement en taillis et de la surexploitation forestière et pastorale, et la dominance de cette espèces au bois du Chapitre est déjà en soi un indice de naturalité préservée. S'y ajoute une maturité des peuplements (vieux arbres, abondance de bois mort) qui en fait un des sites les plus remarquables de forêts subnaturelles des Alpes françaises, reconnu dès les années 1990.
D'autres habitats forestiers ont une superficie restreinte mais un intérêt écologique également fort : érablaie de ravin (41.4 - 9180), pineraie de Pin à crochets (42.42 - 9430*), ripisylve à Aulne blanc (44.3 - 91E0*). Plus commune est la chênaie pubescente (41.71).
Les milieux ouverts sont constitués d'une mosaïque de pelouses méditerranéo-montagnardes (34.71), de pelouses méridionales à Seslérie et Avoine toujours verte (36.432), de prairies à Molinie (37.311 - 6410), de dalles calcaires à annuelles et orpins (36.2 - 8240), de landes à Genévrier nain (31.43 - 5130) ou à Genêt cendré (31.84). Les milieux rocheux sont représentés principalement par des falaises et rochers calcaires (62.15 - 8210) et par des éboulis (61.2 - 8120 et 61.3 - 8130).
Flore et fonge
La réserve abrite une flore vasculaire très diversifiée, à la mesure de la variété des milieux. Sur un total de 450 espèces relevées, 93 présentent un intérêt patrimonial par leur rareté voire leur endémisme. Neuf d’entre elles bénéficient d'une protection au niveau national ou européen : Sabot de Vénus (DH2 et 4), Aspérule de Turin, Panicaut blanche-épine, Ancolie de Bertoloni (DH2 et 4), Gagée jaune, Pulsatille de Haller, Sainfoin de Boutigny, Epipogon sans feuille, Bérardie laineuse.
Si la plupart de ces espèces sont typiques de milieux ouverts (pelouse, éboulis...) ou de boisements clairs, la Buxbaumie verte (DH2 et 4), une mousse minuscule, est caractéristique des bois pourrissants qu'on trouve dans les vieilles sapinières. L'Epipogon, très rare orchidée saprophyte, est pour sa part typique des hêtraies denses. Moins rares, le Trochiscante, l'Aspérule de Turin et l'Androsace de Chaix sont en revanche très typiques des hêtraies-sapinières des Alpes du Sud.
Les champignons lignicoles ont été étudiés par le réseau Mycologie de l'ONF de 2015 à 2017. 202 espèces ont été identifiées dont 19 espèces remarquables et 11 particulièrement indicatrices de naturalité forestière. Ces résultats sont comparables à ceux de plusieurs autres RBI des Alpes du Sud.
Faune
Les peuplements forestiers subnaturels de la réserve accueillent un important cortège d’insectes, en particulier des coléoptères saproxyliques. Ce groupe a été étudié par le réseau Entomologie de l'ONF de 2017 à 2019, puis de 2020 à 2022 à la suite d'un incendie ayant touché le bois des Donnes. 146 espèces ont été trouvées dont 15 à forte valeur patrimoniale, richesse due à la fois à la maturité de la forêt et à sa localisation à un carrefour d'influences méditerranéennes, atlantiques et continentales. Dans les pelouses et landes se trouve notamment le Damier de la Succise (DH2, PN).
L'avifaune est riche d'au moins 17 espèces de l'annexe 1 de la directive Oiseaux : Alouette lulu, Bruant ortolan, Gélinotte, Bécasse des bois, Chouette chevêchette, Chouette de Tengmalm, Grand Duc d’Europe, Tétras-lyre, Pic noir, Pie-Grièche écorcheur, Crave à bec rouge, Bondrée apivore, Circaète Jean-le-Blanc, Faucon pèlerin, Aigle royal, Busard Saint-Martin et Milan noir.
La réserve présente un fort intérêt pour les chiroptères. 16 espèces ont été détectées par le réseau Mammifères de l'ONF en 2011, dont trois inscrites à l'annexe 2 de la directive Habitats : la Barbastelle d'Europe, le Grand Murin et le Murin à oreilles échancrées.
Cinq espèces d'ongulés sont présentes sur le site : Chamois, Chevreuil, Cerf, Sanglier, Mouflon de Corse (espèce introduite).
Le Chabot, petit poisson d’intérêt communautaire (DH2), vit dans le Petit Buëch dont il témoigne de la qualité des eaux.
Gestion
Les objectifs principaux de la gestion de la RBI du Chapitre - Petit Buëch sont la préservation et l'étude de la dynamique naturelle du complexe d'habitats forestiers et associés. De nombreuses études ont été réalisées par l'ONF et par divers organismes, concernant notamment l’avifaune, l'entomofaune, les champignons... Un suivi de l'évolution des peuplements forestiers a été mis en place ainsi qu'un suivi de la dynamique de colonisation de certains milieux ouverts par la forêt. Dès la fin des années 90, le site avait été concerné par le programme scientifique ECOFOR "Biodiversité et Gestion forestière" et par un projet LIFE sur le patrimoine bioculturel des forêts. De nombreuses connaissances naturalistes et historiques avaient été acquises à ces occasions.
Aucune intervention n'a lieu sur les habitats naturels de la réserve, hormis pour la sécurisation des sentiers de randonnée balisés qui sont les seules traversées ouvertes au public et qui permettent une belle découverte du site : le GR®93 qui emprunte le fond de la vallée du Petit Buëch entre Rabou et Chaudun, et le GRP® du Tour du Dévoluy qui traverse le bois des Donnes.
Le pâturage, présent alentour et autorisé y compris dans certains secteurs de la forêt domaniale, est interdit dans la RBI. Les ongulés sauvages sont régulés par chasse guidée pour contribuer à la préservation des équilibres naturels.