Les forêts de la Montagne de Reims, au cœur du mystère des hêtres tortillards
Entre Reims et Epernay, la Montagne de Reims surplombe des coteaux viticoles aux couleurs changeantes - vert tendre au printemps, vert brillant en été, blond roux en automne, avant que l’hiver ne révèle le corps torturé des ceps de vigne. Un paysage superbe, berceau d’un vin pétillant renommé, aux bulles synonymes de fête éternelle : le champagne.
Faut-il dès lors s’étonner que tout vive ici au rythme des vendanges, y compris la forêt ? "En Champagne, forêts et vignobles sont inséparables", confirme Solène du Puy, cheffe de projet Montagne de Reims, Forêt d'Exception® à l’Office national des forêts (ONF), qui supervise le développement de trois forêts domaniales de Verzy, du Chêne à la Vierge et de Hautvillers.
Sur 3 500 hectares, leurs chênaies coiffent le plateau de la Montagne de Reims… avec une logique imparable : "Autrefois, explique Solène du Puy, la viticulture demandait beaucoup de bois, car chaque cep de vigne était maintenu par des tuteurs, les échalas. Lorsque la vigne progressait, la forêt reculait. Ce va-et-vient a modelé l’aspect de la Montagne de Reims, dont la forêt a été repoussée au fil du temps en haut des coteaux" analyse-t-elle.
En résulte un triptyque paysager typique de la Champagne : au sommet, la forêt, puis le village blotti au creux des vignes, et les vignes sur les coteaux. En 2015, ceux-ci ont été inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco, en même temps que les maisons et les caves champenoises.
Quant à la forêt, elle a été labellisée Forêt d’exception® en 2017 pour sa gestion multifonctionnelle : accueil du public, préservation de la biodiversité et production de bois en parallèle, salués par une certification d’excellence dont bénéficient quatorze boisements hexagonaux, telles que la forêt de Tronçais ou de Fontainebleau.
Dans le berceau du champagne
Le village d’Hautvillers offre une vue imprenable sur l’un de ses panoramas remarquables, caractéristiques de la Montagne de Reims, et pour cause : il se situe au cœur de la Champagne historique. C’est ici qu'un moine, le fameux Dom Pérignon, met au point au XVIIe siècle la méthode à l’origine du célèbre vin effervescent.
A partir du parking du Jard, depuis le centre du village, le sentier Bulles & Croquis part à la rencontre du terroir qui en a jailli, cheminant à travers les vignobles avant de s’enfoncer sous le couvert des arbres. Une mer de vigne ondulante, avec en arrière-plan les méandres de la Marne, invitation verdoyante à ne pas oublier son carton à dessin, ses feuilles et ses crayons dans son sac-à-dos.
Les dix arrêts de cette boucle sont autant de clins d’œil sur la relation qu’entretiennent la forêt et la vigne. C'est aussi l’occasion de s’essayer au dessin en extérieur, en découvrant à chaque station, une astuce, une règle de composition pour “croquer" le paysage champenois.
Mais la beauté de la forêt de la Montagne de Reims réside aussi dans l’imperceptible : ses frondaisons bruissent en effet d’histoires rêvées ou réelles. Y pénétrer, c’est s’enfoncer dans un univers de contes et de légendes, dont certains sont très anciens, à l’image du Chêne à la Vierge, qui a donné son nom à l’une de ces très vieilles forêts issues de propriétés royales ou ecclésiastiques. Un chêne y fait l’objet d’une grande vénération : au XIIIe siècle, un bûcheron aurait en effet trouvé au creux de son tronc une statuette de la sainte Vierge.
A l’appel du Sonneur à ventre jaune
Pour découvrir cet arbre mystérieux ainsi que cinq autres beaux feuillus, débute, sur la RD22 entre Sermiers et Courtagnon, à partir du parking de la Noëlle, un parcours destiné aux bons marcheurs. Vingt-deux kilomètres à travers le sous-bois de cette forêt "mouilleuse" - sec à la belle saison, celui-ci devient en effet boueux dès les premiers frimas en raison de son sous-sol argilo-calcaire, qui retient en surface les eaux de pluies. Le promeneur chemine donc à l’intérieur d’un boisement très diversifié : hêtre, châtaignier, chêne pédonculé et sessile, sapin pectiné, pin sylvestre ou épicéa, autant d’essences dont les forestiers cherchent à accentuer la diversité, "tant dans les classes d’âge que les hauteurs, pour rendre la forêt plus résiliente au changement climatique" explique Solène du Puy.
Parmi les amphibiens qui apprécient son humidité automnale, le très discret Sonneur à ventre jaune, ainsi surnommé pour son cri caractéristique. D’aspect étonnant, le batracien peut surprendre au détour d’un sentier en dévisageant le marcheur de son étonnante pupille en forme de cœur… Une étrangeté parmi d’autres dans les profondeurs du massif : parmi les croyances qui encore aujourd’hui perdurent, nombreuses entourent un groupement de hêtres "tortillards" de la forêt de Verzy : les Faux de Verzy, aux troncs et branches tordus.
Sous les “jupes" des Faux
Dès le Moyen-Age, les superstitions sont allées bon train pour expliquer ce que l’on appelle "le mystère des Faux". On raconte ainsi que l’abbaye bénédictine de Saint-Basle, dont les vestiges se cachent sous les frondaisons, aurait été construite pour contenir le diable dans leurs branchages torves. "Récemment, une étude archéologique du microrelief du sol a prouvé que leur emplacement se situerait pile sur les anciens jardins de l’abbaye", précise Solène du Puy. De là à dire que le mal se cache sous l’écorce des Faux (fau ou fayard, un des nombreux patronyme du hêtre), non ! Car si la silhouette torturée des tortillards suscite toujours de nombreuses conjectures farfelues, son origine a depuis été précisée par les scientifiques : "Les chercheurs savent aujourd’hui qu’il s’agit d’une mutation génétique, dont il reste certes à expliquer le fonctionnement précis."
Depuis 2005, à partir du parking des Faux, sur la RD34 entre Verzy et Louvois, une réserve biologique dirigée traversée par un parcours d’environ trois kilomètres, accessible à tous, permet d’approcher au plus près du phénomène. Chaque année 200 000 visiteurs viennent ainsi admirer ces arbres étranges. "Il ne faut pas hésiter à venir plusieurs fois, car leur apparence est très différente à chaque saison, s’exclame Solène du Puy. Au printemps et en été, ils portent un dôme de feuilles qui ressemble à une jupe. A l’automne, la forêt devient plus intimiste et les jupes se soulèvent, les arbres se dépouillent de leurs feuilles et dévoilent magnifiquement leurs formes tourmentées."
Des arbres bagués comme des oiseaux
Pour en apprendre davantage sur ces feuillus uniques, une application "En Forêt de Verzy" fournit des explications sur les spécimens les plus intéressants, à l’image du "Fau de l’Amour", étonnante réunion d’un hêtre tortillard et d’un chêne commun, ayant entremêlé leurs branches à tel point qu’il n’est plus possible de les distinguer…
Avec les scientifiques, les forestiers suivent de près l’évolution du peuplement : en 2018, un inventaire de l’ensemble des arbres de la réserve a permis d’arriver à un état des lieux précis de la population tortillarde, "en tout 707 individus que nous avons bagués, comme les oiseaux, afin de pouvoir les suivre sur le long terme" indique Solène du Puy. Une tâche compliquée, car les arbres tortillards possèdent le pouvoir de "s'anastomoser" - autrement dit, de souder leurs branches à partir de deux pieds séparés, "en une cascade de frondaisons reliées entre elles" – mais aussi de muter et rétro-muter : "Certains hêtres tortillards se mettent soudain à avoir des branches droites !"
Difficile dès lors de se retrouver dans ce boisement très hétérogène, qui comporte aussi bien des arbres nains, à 15 centimètres de hauteur, en nappe verte au ras du sol, que géants, jusqu’à 5 mètres de haut, à l’image du Fau de Saint-Basle ! "Nous avons une gestion bien particulière de leurs abords, car les faux ont besoin de lumière et créent des respirations dans la forêt, explique la forestière. Nous menons donc des interventions régulières pour éclaircir les ronces et les bruyères dans leur voisinage."
Un paysage datant de la “Der des Der"
Après avoir cheminé dans la forêt, pour profiter d’un dernier aperçu du paysage champenois avant de prendre la route du retour, direction le parking des Pins, situé à environ un kilomètre au-dessous du village de Verzy, sur la route de Louvois. Après quelques centaines de mètres sur un petit sentier, le promeneur atteint le point culminant de la Montagne de Reims, "286 mètres, une petite montagne, certes, mais on y voit bien des choses," sourit Solène du Puy.
Sur cette ancienne ligne de blockhaus, une table d’orientation permet en effet de comparer les paysages actuels à ceux de 1915. Après la première bataille de la Marne, les rebords du plateau offraient ici un point de vue stratégique aux armées françaises, qui y dominaient le front et les positions allemandes.
Subsistent sur cet belvédère historique, dénommé par les militaires le mont Sinaï, trois observatoires en béton ainsi que le blockhaus de commandement. "Un arrière-poste stratégique, et aujourd’hui l’un des plus beaux points de vue sur la plaine agricole et la Marne qui en creusant la couche de craie, a forgé ce paysage… ". La boucle est bouclée, pile au-dessus d’un méandre de la rivière.
Informations pratiques
- à partir du parking du Jard, depuis le centre du village de Hautvillers, le sentier Bulles & Croquis. Noubliez pas votre matériel de dessin !
- pour les bons marcheurs, sur la RD22 entre Sermiers et Courtagnon, à partir du parking de la Noëlle, le sentier des arbres remarquables de la Forêt du Chêne à la Vierge ;
- à partir des parkings des Faux et des Pins, sur la RD34 entre Verzy et Louvois, la balade des Faux traverse la réserve biologique des Faux de Verzy ;
- l’observatoire du mont Sinaï, à partir du parking du même nom, environ un kilomètre au-dessus du village de Verzy, sur la route de Louvois.
Les forêts domaniales en détail...
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chêne sessile, pédonculé, frêne, hêtre, épicéa