Etudier les forêts matures des gorges de la Loire pour mieux les préserver
Dans le massif central, les forêts matures sont caractérisées par la présence de peuplements âgés de 150 à 200 ans. En identifiant ces forêts, le département de la Haute-Loire souhaite informer et sensibiliser les propriétaires forestiers, majoritairement privés, afin de leur proposer la signature d’un contrat Natura 2000 par lequel ils s’engagent à préserver la zone pendant 30 ans contre rémunération. Les zones conservées sont ainsi appelées "îlots de sénescence".
Les îlots de sénescence sont de véritables réservoirs de biodiversité, ils regorgent de micro-habitats pour des espèces essentielles au fonctionnement des forêts telles que les chauves-souris, les coléoptères mangeurs de bois ou certaines espèces de champignons. Le pic noir, en particulier, est un oiseau qui participe activement à l’écologie en creusant des cavités dans les troncs, lesquelles sont ensuite utiles à d’autres animaux. Les îlots sont également pourvoyeurs de bois morts et sénescents, éléments indispensables au bon déroulement des cycles biologiques des écosystèmes forestiers.
Par l’identification des forêts matures, c’est la préservation de tout un écosystème que le département souhaite encourager. Selon Laurent Lathuillière, "la présence d’îlots de sénescence permet à la forêt d’être à la fois fonctionnelle, productive, résistante et résiliente, ce qui représente un atout pour le forestier sylviculteur (propriétaire ou gestionnaire)."
Les îlots de sénescence sont des zones forestières laissées en libre évolution, sur lesquelles il n’y a plus aucune intervention humaine. Nous laissons les arbres vieillir puis rentrer en sénescence biologique et finir par se décomposer. Ils constituent, tout au long de ce cycle écologique, une source de multiples micro-habitats essentiels pour la conservation de la faune, de la fonge et la flore locale.
Comment reconnaître une forêt mature ?
En 2019, le Département fait une première fois appel à l’ONF pour cartographier et repérer les zones abritant des forêts présumées matures. Le document de gestion du site Natura 2000 préconise alors l’utilisation d’une méthodologie développée par l’Inter-Parcs du Massif central, le Conservatoire botanique du Massif central et l’ONF, à partir de diverses ressources documentaires, notamment des photographies aériennes et des cartes, puis d’inventaires sur le terrain.
Il s’agit, pour cette première étape, de repérer par photo-interprétation les peuplements hébergeant des arbres de grande taille et avec un grand houppier (a priori les plus matures, voire anciens), de ne pas prendre en compte les zones récemment plantées, exploitées ou inaccessibles, ainsi que d’identifier des zones continuellement boisées depuis plus de 60 ans.
À noter que, au vu de l’enjeu écologique de la démarche, seuls les peuplements composés majoritairement d’essences autochtones (chêne, hêtre, sapin, pin sylvestre) sont pris en compte dans cet inventaire. Au total, 230 hectares de forêts sont jugés particulièrement intéressants pour intégrer la seconde phase de l’étude.
La deuxième phase, réalisée en 2020, consiste à valider ou non la maturité des zones pré-identifiées par des inventaires sur le terrain et à déterminer avec plus de précision les contours des potentiels îlots de sénescence. Pour ce faire, les experts de l’ONF sont chargés de repérer et de quantifier les attributs de maturité des peuplements :
- des troncs de dimension importante,
- la présence de bois mort sur le terrain,
- la forme des houppiers,
- certaines caractéristiques des arbres (les "dendro-micro-habitats") qui constituent des supports de vie comme les cavités de pic,
- les fentes dans l’écorce, les creux à la base des arbres etc.
Ces informations sont évidemment à mettre en relation avec le contexte stationnel (altitude, climat, typologie du sol et de la végétation…), les caractéristiques des différentes essences ou encore la topographie.
Les secteurs identifiés sont ensuite classés selon plusieurs niveaux de maturité, révélant ainsi les zones à préserver les plus favorables à la biodiversité. Grâce à l’analyse préliminaire des cartes et clichés aériens, le temps passé sur le terrain et les distances à couvrir sont considérablement réduits, et la prise de données est optimisée. Sur les 230 hectares sélectionnés, 110 ont pu être validés en tant que forêt mature, ce qui représente 47 îlots potentiels.
Le département de la Haute-Loire, animateur du site Natura 2000 des Gorges de la Loire dispose désormais d’une cartographie des secteurs forestiers anciens et matures du site. Il peut aborder avec des arguments explicites et des éléments dendrométriques (évaluer le volume et la croissance des arbres) et sylvicoles, la phase suivante d’animation auprès des propriétaires forestiers.
Cette démarche est nouvelle en Haute-Loire et va être partagée avec les autres animateurs de contrats Natura 2000 et avec les gestionnaires forestiers, notamment le Centre régional de la propriété forestière (CRPF). Elle nous permet d’affiner nos connaissances sur les caractéristiques des forêts matures des gorges de la Loire et de disposer d’arguments pour envisager avec les propriétaires forestiers les moyens de leur conservation.
Cette étude est financée par des crédits Natura 2000 à hauteur de 16 000 euros sur une période de 2 ans. L’ONF bénéficie d’une véritable expertise sur cette thématique qui jouit d’un intérêt grandissant de la part des propriétaires forestiers. En effet, l’interprétation de photographies aériennes nécessite souvent des années de pratiques pour être pertinente.