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Dans la vie d'une conservatrice en réserve nationale naturelle

Depuis la Guadeloupe, suivez le quotidien de Sophie Le Loc’h, conservatrice de la réserve naturelle à Petite Terre et Désirade à l'Office national des forêts (ONF). Récit à la première personne.

Originaire de la campagne, entre l’Auvergne et la Bretagne, j’ai toujours été très proche de la nature et des animaux. J’avais même pour ambition de devenir vétérinaire lorsque j’étais enfant. Aujourd’hui, la nature et les animaux sont bel et bien mon quotidien puisque je suis conservatrice au sein de deux réserves naturelles nationales (RNN), l’une à Petite Terre et l’autre sur l’île de la Désirade.

J’y suis d’abord arrivée en tant que volontaire service civique au sein de l’association Titè ("Petite Terre" en créole), gestionnaire principale de ces réserves guadeloupéennes, puis j’ai rejoint l’Office national des forêts pour animer le plan national d’action des tortues marines et de l’Iguane des Petites Antilles, avant de revenir travailler au service de la conservation des réserves.

Petite Terre et Désirade sont deux véritables bijoux de biodiversité sur un espace très restreint ; elles ont notamment permis la protection d’une espèce particulière : l’Iguane des Petites Antilles. En effet, ce sont les derniers îlets où l’on peut retrouver cette espèce sans concurrence avec d’autres espèces invasives. A elle seule, Petite Terre concentre un tiers de la population mondiale de ces iguanes !

Quant à Désirade, sa particularité réside notamment dans la géologie. C’est le seul endroit des Petites Antilles où l’on peut observer les prémices de la formation de la plaque caraïbe, avec des roches vieilles de 150 millions d’années. Elle comporte également des plages de ponte pour les tortues marines, et d’autres espèces diverses comme des oiseaux migrateurs.

Participer à la conservation de la biodiversité, c’est l’assurance de me lever chaque matin en sachant que mon investissement peut changer les choses, avoir un impact positif.

Sophie Le L'och, conservatrice en réserves nationales naturelles de Petite Terre et Désirade à l'ONF

Mon rôle est d’assurer la coordination des nombreuses tâches nécessaires à la protection de ces réserves (et les imprévus qui vont avec). J’assure la bonne mise en œuvre des plans de gestion, qui comprennent plusieurs volets :

  • connaissance et suivi du patrimoine naturel ;
  • surveillance et police ;
  • intervention sur le patrimoine naturel ;
  • gestion des infrastructures d’accueil et des équipements (quand je parle d’équipements, je fais référence aux maisons* que nous utilisons pour assurer la surveillance, ou bien aux moyens nautiques comme les scaphandres, les bateaux, ainsi que les équipements permettant l’accueil du public, notamment les mouillages...).

Il y a également des missions transversales, comme la partie recherche de financement, ou encore la communication. Bien entendu, nous assurons un volet institutionnel très important, notamment avec la préfecture, les services de l’Etat, les collectivités dont la municipalité de Désirade. La gouvernance des réserves est pilotée par un comité consultatif, présidé par le Préfet, qui nous appuie sur toute la partie prise de position stratégique. C’est une aide précieuse pour la mise en place de nos actions.

Avec ces nombreux aspects, aussi variés les uns que les autres, nous devons être de véritables "couteaux suisses". Mais c’est ce que j’aime dans mon métier ! Cette diversité des tâches, tout en étant si proche de la nature… Je m’y sens à ma place. Toutes mes missions me passionnent et plus particulièrement la concertation avec les nombreux acteurs présents autour de ces deux réserves naturelles. Sur le terrain, j’ai un penchant particulier pour l’aspect marin et géologique.

Au quotidien, le sujet le plus sensible reste la gestion de la fréquentation du public, surtout à Petite Terre. Par sa beauté, l'île attire par la même occasion de nombreux acteurs socio-économiques. Chacun aimerait y organiser son excursion touristique, ou y construire son établissement… Mais les écosystèmes sont très fragiles et ne peuvent pas accueillir trop de monde.

C’est sur ce type de problématique que nous entrons en jeu. Nous réglementons ces zones d’accueil, par exemple en réduisant les zones d’accostage, en interdisant l’ancrage des bateaux près de la côte... Au-delà de l’aspect réglementaire, nous accompagnons les prestataires dans leur montée en compétence pour le développement de produits éco-touristiques.

Il faut savoir que plus de 90% du public présent sur la réserve de Petite Terre sont des touristes. Ce qui conduit, selon moi, à l’objectif le plus important de mon travail : la pédagogie et l’éducation à l’environnement. C’est une partie essentielle du statut de réserve naturelle ; protéger, c’est bien, mais aider le public à comprendre pourquoi nous le faisons, c’est encore mieux !

Petite Terre et Désirade en images...

Cela dit, comme la majorité des visiteurs des réserves viennent de l’Hexagone, cette transmission d’informations ne profite pas aux locaux. C’est pourquoi nous avons pour projet de développer davantage cette éducation à l’environnement auprès des Guadeloupéens, afin que le bénéfice de cette sensibilisation profite de façon plus globale à la protection des écosystèmes de Guadeloupe.

Je suis heureuse de pouvoir réaliser tout ce travail grâce à l’ONF. C’est un établissement auquel je suis attachée, où j’ai passé la majorité de ma courte carrière. Pour moi c’est une fierté de travailler pour un établissement qui me permet d’exprimer mes valeurs et de m’épanouir pleinement dans mon métier.

Ce qui me nourrit aussi, c’est de constater de façon concrète l’impact positif de nos actions sur le terrain. De nombreux projets ont été menés avec succès, notamment la protection de l’avifaune* sur Petite Terre. Par exemple, nous avons mis en place des plateformes au milieu des salines* pour permettre aux petites sternes de se reproduire sans avoir la pression de la prédation des rats sur leurs œufs. Depuis cette mise en place, nous avons vu de nombreux poussins à l’envol, contre zéro auparavant. C’est une belle réussite dont nous sommes fiers. 

Le saviez-vous ?

Pour la petite histoire, l’île de Petite Terre a été mise en protection à la demande des habitants de la Désirade en raison de l’augmentation de la fréquentation touristique et du constat de la diminution des ressources du lagon. Un projet de privatisation des îlets pour la construction d’un hôtel de luxe était également en cours de négociation. Mais Petite Terre a été classée réserve naturelle nationale par arrêté ministériel en 1998, ce qui a stoppé ce projet. Le préfet a désigné l’Office comme gestionnaire puis l’association désiradienne Titè en 2002. Depuis, l’association et l’ONF travaillent main dans la main pour assurer sa protection. Les deux organismes ont fêté leurs 20 ans de collaboration en 2023.

Tout cela est aussi possible grâce à cette coopération entre l’association Titè et l’ONF. C’est ce qui fait la particularité de ce poste en Guadeloupe. Peu de réserves ont un personnel dédié si important (10 personnes : 8 Titè et 2 ONF). Cette cogestion fait notre force et elle est nécessaire car contrairement au travail dans l’Hexagone, ici nous faisons face à une triple insularité : l’île de la Guadeloupe, l’île de Petite Terre et l’île de la Désirade.

Cela rend le management d’équipe et l’aspect logistique plus complexes, et l’ancrage territorial des réserves est un élément fondamental. De plus, la biodiversité en Guadeloupe est aussi riche que fragile, notamment face à l’érosion côtière. A cet effet, nous travaillons d’ailleurs avec la direction Forêts et risques naturels (direction générale ONF) sur l’élaboration d’un module de formation sur l’adaptation des forêts au changement climatique (AFCC) spécifique pour l’Outre-mer. Donc cet investissement de l’association et des équipes de l’ONF est plus que nécessaire pour la réalisation de nos missions.

Avec cette concentration autour des enjeux de biodiversité, on pourrait penser que la filière bois n’a pas sa place en Outre-mer. Ce n’est pas le cas ! En Guadeloupe, elle se structure. Cela s’est marqué par la naissance du programme régional de la forêt et du bois (PRFB), effectif depuis cette année. Il vise à faire émerger la filière forêt/bois avec des chantiers tests, à identifier les essences valorisables au-delà des deux essences déjà utilisées pour la production de bois d’œuvre (le Mahogany et le Laurier rose) ainsi qu’à valoriser le bois et ses déchets sous forme d’énergie.

Nous sommes aux prémices de la production de bois, mais l’évolution est là. De plus, avec un cordon côtier qui s’affine toujours plus d’année en année, il n’est pas impossible que nous mettions en place un projet de re-végétalisation dans un futur plus ou moins proche.

Chaque action, chaque mobilisation est importante pour assurer la survie des espèces, de faune et de flore. Tout ceci entre dans une stratégie plus globale d’accompagnement des forêts au changement climatique, qui se fait ressentir un peu plus chaque année. Mais nous, en tant que conservateurs en réserves naturelles nationales, nous sommes à l’image du colibri qui apporte sa contribution, goutte d’eau par goutte d’eau, pour préserver l’avenir des forêts. Si l’on agit seul, notre action est trop faible, mais ensemble, nous faisons avancer les choses.

Les mots à connaître :

  • * maisons : anciennes maisons des gardiens de phare de Petite Terre, réhabilitées pour les gardes.
  • * salines : ou lagunes. Unité écologique constituée par une dépression d’eau généralement plus salée que la mer en arrière du cordon littoral. De petites lames de sel cristallisé peuvent flotter à la surface. Chaque saline possède son propre mode de fonctionnement plus ou moins rythmé par les saisons et les marées.
  • * avifaune : groupe d'oiseaux, de la même espèce ou d'espèces diverses, qui partagent le même écosystème.
  • * statut de réserve naturelle : les réserves naturelles ont pour vocation de préserver des milieux naturels fonctionnels, écologiquement représentatifs et à forte valeur patrimoniale. Leur statut complété par la loi du 27 février 2002, prévoit des réserves nationales et des réserves régionales.

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