Pour une étude scientifique, un chêne de 200 ans devient une pirogue préhistorique
L’une des conditions de cette étude était que "l’arbre provienne d’une forêt gérée durablement, qui respecte et maintienne la biodiversité, les sols et les eaux, qu’elle soit renouvelée et qu’elle bénéficie à toute la société", explique Vincent Bernard, président de l’association Koruc. C’est donc vers l'Office national des forêts (ONF) que cette dernière s’est tournée pour obtenir l’arbre dont elle avait besoin.
Les forestiers de l’ONF, spécialistes bois et archéologie, se sont mobilisés et mis en quête de cet arbre aux qualités exceptionnelles. "Pour fabriquer la pirogue, il devait s’agir d’un chêne à feuillage caduc, d’un diamètre d’au moins 80 cm avec une longueur de fût utile d’au moins 9 m complètement dépourvue de branches", raconte Marylène Galodé, forestière à l'ONF et correspondante archéologie.
Sans la possibilité de faire appel aux techniques modernes d’abattage directionnel, le chêne devait également se situer de telle sorte qu’il puisse tomber sans dommage pour les autres arbres. C’est dans la parcelle 35 en forêt domaniale de Bourse, que Marylène gère au quotidien, que le chêne d’environ 200 ans a été trouvé.
Dans cette parcelle, tous les arbres arrivent à maturité et sont en cours de régénération. Autrement dit, la relève est assurée ! Les semis poussent, les forestiers de l'ONF y veillent, afin d'assurer la génération d'arbres suivants. On parle de régénération naturelle !
Le chêne a été coupé les 21 et 22 janvier 2022, manuellement, avec des haches de pierre reproduites telles qu’à l’époque du Néolithique. Elles sont à emmanchement direct ou indirect (pièce intermédiaire fabriquée avec des bois de cerf). La pierre utilisée est de la dolorite, typique de Bretagne, moins connue que le silex mais pourtant utilisée à cette époque.
4 personnes de l’association Koruc, en équipe de 2 se relayant, ont œuvré sur plus d’une journée. Le chantier démarré à 12h00 le vendredi s’est terminé le lendemain vers 17h00 ! 8 heures auront été nécessaires pour couper ce chêne comme aux temps préhistoriques. Dimanche 23 janvier, la découpe du fût sous le houppier (partie de l’arbre où il y a les branches) aura duré 4 heures de plus.
Marylène Galodé se chargera de faire débarder cet arbre jusqu’à la route pour ensuite être transporté à Tramain dans les Côtes-d’Armor, par l’association Koruc, où elle procèdera à la fabrication de la pirogue puis à sa mise à l’eau. Vous pourrez suivre cette aventure archéologique sur le site de Koruc.
Découvrez la coupe à la hâche de pierre du Néolithique
Mieux comprendre l’époque préhistorique
La construction de cette pirogue a un but scientifique. Que ce soit en mer ou dans les eaux intérieures, l’usage des moyens de transport nautiques par les populations préhistoriques n'est pas facile à comprendre et les chercheurs doivent composer avec la grande rareté des preuves archéologiques. Il est cependant possible de préciser certains aspects chronologiques et fonctionnels en analysant les rares épaves, équipements et représentations qui nous sont parvenus.
Une autre approche complémentaire consiste à reconstituer des embarcations – ici du Néolithique car les vestiges archéologiques y sont plus nombreux et il a été le théâtre d’importantes migrations au-delà des mers – à partir de répliques d’outils en pierre et de les tester sur les eaux. C'est le cas ici.
L’expérimentation scientifique de construction et de maniement d’embarcations conformes aux techniques néolithiques est la voie privilégiée par le CNRS, notamment l’unité de recherche CREAAH, et ses collaborateurs du MSHB et de l’association Koruc. La particularité de cette démarche est d’être conduite par des professionnels et bénévoles de l'archéologie, de la médiation et de l'expérimentation archéologique.
Cette expérience doit permettre de répondre à certaines questions primordiales telles que :
- la chaîne opératoire complète des embarcations préhistoriques,
- les gestes et rythmes d’entretien,
- leurs capacités nautiques, les charges transportées,
- les modes de propulsion,
- la vitesse moyenne de déplacement...
Le saviez-vous? Des archéologues à l'ONF...
A l’Office national des forêts (ONF), il existe un réseau national archéologie regroupant des techniciens forestiers spécialisés, sous la responsabilité de Cécile Dardignac, archéologue ONF. Il mène des inventaires en forêts sur les vestiges, allant de la préhistoire jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, afin de les préserver. Ces derniers font notamment l’objet d’une attention particulière lors des chantiers forestiers (travaux ou exploitation des bois) pour les conserver.