Baba Yaga, la maîtresse de la forêt
La Grande Oreille a choisi de nous faire découvrir la mystérieuse baba Yaga, figure emblématique du conte slave et maîtresse des forêts. À la fois bénéfique et maléfique, la baba Yaga effraie, intrigue et fascine. À quelles épreuves soumet-elle le héros qui croise sa route ? Quelle qu’en soit l’issue, la baba Yaga change à jamais le destin de celui qui la rencontre sur son chemin.
Au cœur d’une forêt sombre et impénétrable, elle vit dans une étrange hutte perchée sur des pattes de poulet, et ne possède qu’une seule jambe dépourvue de chair : la connaissez-vous ?
Cette créature mystérieuse n’est autre que la baba Yaga, sorcière redoutée des hommes, esprit tout puissant de la forêt et maîtresse des bêtes sauvages, du jour et de la nuit. À bord de son mortier bondissant, qu’elle propulse à l’aide d’un pilon tout en effaçant ses traces avec son balai, la vieille femme poursuit sa proie à toute allure dans les sous-bois, talonnée par les bruits terrifiants qui s’élèvent sur son passage. Chasseresse et cannibale, magicienne, prophétesse, gardienne du royaume des morts… les facettes de cette figure emblématique du conte russe sont nombreuses. Comme la plupart des génies de la nature, il s’agit d’un être à la fois bénéfique et maléfique, capable de ravir des enfants, de les faire rôtir et de les dévorer, mais aussi d’aider ses visiteurs à accomplir leur quête.
Ogresse cannibale ou guide bienveillante ?
"Petite isba, petite isba ! Tourne le dos à la forêt, le devant de mon côté", voilà la formule que le voyageur doit connaître afin que lui soit accordé le passage de l’autre côté de la curieuse maisonnette, dont l’entrée est tournée vers l’au-delà. Le séjour dans la petite isba constitue une étape obligée à la frontière entre deux mondes, et rappelle les rites initiatiques des sociétés primitives, dans lesquels celui qui se détourne de l’enfance pour devenir adulte fait l’expérience d’une mort symbolique.
Qu’elle prenne les traits d’une ogresse cannibale ou d’une guide bienveillante, la baba Yaga est toujours à l’origine d’une transformation profonde chez le héros qui croise son chemin. Elle le met à l’épreuve et conclut avec lui un marché : s’il parvient à honorer la tâche qui lui est confiée, sa vie sera sauve et l’objet magique qui lui permettra de poursuivre sa route lui sera remis. S’il échoue, ou s’il se montre trop curieux, il sera mangé. Car la baba Yaga répond aux questions et dit la vérité, mais déteste que l’on se mêle de ses affaires.
Tout en menaçant son visiteur de le dévorer, la sorcière à la jambe d’os, profondément ambivalente et énigmatique, agit donc comme une figure réparatrice, qui rend possibles le développement du héros et son épanouissement dans le monde qui l’attend.
"Tout à coup, dans la forêt, un bruit terrifiant s'éleva, les arbres se mirent à craquer, les feuilles mortes à crisser. La baba Yaga surgit du sous-bois, filant à toute allure dans son mortier, ramant de son pilon, effaçant les traces de son balai. Au portail, elle s'arrête, renifle alentour, crie 'Pouah, pouah, cela sent la chair russe ! Qui est là ?' [1]"
[1] Extrait de Afanassiev, Vassilissa la belle
La baba Yaga dans le cinéma
De nombreux peintres, dessinateurs, photographes et cinéastes ont intégré ce personnage complexe et ses attributs à leur imaginaire. Hayao Miyazaki, dans son film d’animation Le Voyage de Chihiro (2001), s’en est inspiré pour créer le personnage de Yubaba, redoutable sorcière qui impose aux humains de servir son établissement thermal et de renoncer à leur identité au profit du consumérisme et du culte de l’argent, sous peine d’être transformés en animaux. Réinventée au sein d’une critique de la société contemporaine, la figure du conte russe conserve toutefois sa dualité d’origine. Si Yubaba et sa sœur jumelle Zeniba semblent incarner les deux facettes de la baba Yaga, à la fois maléfique et bienfaitrice, chacune des deux femmes possède sa part d’ombre et de lumière.
Gardons-nous d’oublier les contes, les mythes et les légendes que l’histoire nous a légués, car, nous le dit Miyazaki, les sorcières veillent, et "les peuples qui ont oublié leur passé […] seront changés en poules pour pondre des œufs, en attendant d'être mangés" !
Plus récemment, baba Yaga inspirait le personnage de Voleth Meir, une des créatures maléfiques de l’œuvre The Witcher. Sous les traits d’une vieille femme, cette sorcière vit dans une hutte au fond des bois, hutte juchée sur des pattes dans laquelle on ne peut pénétrer qu’après avoir proféré une incantation. Rien d’étonnant à cette inspiration, quand on sait que l’auteur de The Witcher est le romancier Andrzej Sapkowski, qui mêle dans sa série de romans des éléments classiques du genre de l’héroïque-fantaisie et d’autres issus des contes slaves. The Witcher a été récemment adapté à la télévision par Netflix.