L’évolution du métier de forestier analysée par des chercheurs

Comment les techniciens forestiers de montagne s’adaptent aux évolutions climatiques et sociétales ? Des chercheurs de l’Université Grenoble Alpes se sont posé la question. Ils tentent d'y répondre en menant un projet de recherche en partenariat avec l'ONF Savoie Mont Blanc.

Le changement climatique n’affecte pas seulement la biodiversité, il touche également les professionnels qui travaillent au contact de la nature. Le technicien forestier est particulièrement concerné ; il a vu sa profession évoluer ces dernières années. Raphaël Lachello et Mikaël Chambru, chercheurs à l’Université Grenoble Alpes (UGA), se sont penchés sur ces changements et sur leurs conséquences, en menant une enquête auprès des techniciens forestiers de l’unité territoriale de Modane en Savoie.

L’unité territoriale de Modane, un choix réfléchi

Les scientifiques connaissent bien les territoires de Savoie. Ils ont par ailleurs déjà collaboré avec Pierre Paccard, responsable de l’unité de Modane, ce qui facilite ce nouveau projet de recherche. Enfin, la présence de forêts hautes en altitude rend le territoire de Modane intéressant à étudier. En effet, la productivité en bois est faible. Le climat est rude, ce qui ralentit la pousse des arbres, et les conditions d'exploitation sont particulièrement difficiles, du fait des fortes pentes et de l'enneigement tout au long de la saison hivernale. Certaines parcelles sont inaccessibles et le débardage doit parfois s’effectuer par hélicoptère.  

La forêt est aussi très touristique. « Les techniciens forestiers ne sont donc pas que des sylviculteurs, ils travaillent davantage qu'ailleurs sur des missions d’aménagement touristiques et de préservation de la biodiversité. Ils doivent aussi s’adapter aux stations de ski très présentes dans la vallée. », explique Raphaël Lachello, chercheur en histoire de l’environnement. Cette particularité de la forêt de Modane restreint aussi la production de bois puisque les coupes ne peuvent pas être réalisées pendant les périodes de vacances scolaires.

Carte du territoire étudié

L’enquête, commencée en 2023, s’est déroulée en plusieurs étapes :

  • Etape 1 : Un travail d'enquête historique est réalisé pour étudier le rôle du technicien forestier dans le passé et se documenter sur les études similaires qui avaient déjà été menées en France.

  • Etape 2 : Un travail d'enquête sociologique est mené auprès des onze techniciens forestiers de l'unité de Modane, tous volontaires. 
  • Etape 3 : Les données récoltées sont anonymisées, croisées et traitées pour permettre d'en produire une analyse scientifique.
  • Etape 4 : Les premiers résultats obtenus sont présentés à l'équipe de Modane.
  • Etape 5 : Les conclusions définitives seront publiées dans une revue scientifique en 2025. 

Du garde au technicien forestier : un métier en évolution

Les techniciens forestiers de l'unité territoriale de Modane expliquent leur travail aux chercheurs. - ©Matteo Challe / ONF

« Au XIXe siècle, le garde forestier exécutait majoritairement de la surveillance. Progressivement, ses missions de police ont laissé place à la sylviculture. Depuis les années 1970, le technicien forestier est devenu un véritable agent dédié à l’aménagement et à la vie des forêts », explique Raphaël. Son rôle est aujourd’hui la production de bois, la protection de la biodiversité et l’accueil du public, ainsi que la gestion des risques naturels en montagne.

En Haute-Maurienne, les chercheurs ont constaté que la faible production de bois et l’importance du tourisme rendaient le métier de technicien forestier particulier par rapport au reste de la France. « Ici, ils se positionnent davantage qu'ailleurs comme médiateur forestier, innovateur sylvicole et aménageur touristique », détaille Mikaël Chambru, sociologue de l'environnement.

Des tensions avec le public assez limitées

©Matteo Challe / ONF

Les chercheurs ne pouvaient pas étudier l’évolution du métier de technicien forestier sans s’attarder sur la place des conflits. Avec le réchauffement climatique, la société est davantage préoccupée par la nature. Qu'il s'agisse de coupes sanitaires, de chantiers de débardage, de la présence d'engins motorisés en forêt...les actions de l'ONF ne sont pas toujours comprises. « Il existe une méconnaissance de certains publics, notamment touristiques, sur ce qu’est une forêt de montagne. Elle est trop souvent perçue comme naturelle alors qu'elle est le résultat d'une gestion pluri-centenaire ce qui conduit à une incompréhension de la gestion forestière actuelle », continue Raphaël.

Les chercheurs se sont ainsi penchés sur la question de la conflictualité. Leurs résultats vont à l'encontre des idées reçues. « Les tensions sont plus faibles dans les hautes vallées qu'ailleurs mais elles impactent tout de même le quotidien des agents de terrain de l'ONF et la perception que les publics ont de ces derniers », précise Mikaël.

Une sensibilisation du public essentielle

L'équipe ONF de Modane, avec le soutien de Mikaël Chambru, a profité de la Journée internationale des forêts le 21 mars 2024 pour mener une opération de sensibilisation. « C’est important d’informer le public sur nos activités, essentielles à la préservation de la nature, qui sont méconnues et sous-valorisées. C’est primordial pour éviter que le fossé qui nous sépare du public se creuse et pour que l’on puisse continuer à réaliser notre travail dans des conditions sereines », explique Pierre.

Atelier de sensibilisation mené par Pierre Paccard et Mikaël Chambru. - ©Labex ITTEM

Le 26 mars, Mikaël et Pierre ont donc animé pendant deux heures une médiation scientifique. Ils ont parcouru à ski le domaine de Valfréjus avec une dizaine de volontaires qui ont bravé la neige. « Ce type d'action est important car il permet de montrer à quoi sert la recherche en sciences sociales, comment elle peut être utile au territoire, à leurs habitants et à ceux qui y travaillent. Elle permet de mieux comprendre les sociétés et leurs interactions avec l'environnement. Ici, il s'agit de montrer comment cohabitent les forêts, l'ONF et le ski alpin. », précise le chercheur.

Après cette première enquête en Haute-Maurienne, les scientifiques vont étendre leurs recherches à l'ensemble des Alpes françaises dans les années à venir. Celles-ci s'inscrivent dans le cadre du programme de recherche "Forêts alpines en transition" porté par la Fondation UGA et le laboratoire d'excellence Innovations et transitions territoriales en montagne (Labex ITTEM).