Le bois scolyté, une nouvelle ressource pour la construction : exemple avec une scierie dans la Drôme
Dans le grand quart Nord-Est de la France, le nombre d’épicéas victimes de la sécheresse et des scolytes, ces petits insectes qui creusent des galeries sous l’écorce des arbres, ne cesse de croître. On estime aujourd’hui que
110 000 hectares d’épicéas sont touchés sur les 520 000 hectares de peuplement dans les régions concernées, aussi bien en forêt publique que privée. La région Auvergne-Rhône-Alpes n’est pas épargnée, en particulier les départements de l’Ain, de la Savoie et de la Haute-Savoie.
Lorsqu’une forêt est touchée, il faut agir vite, en récoltant dans un délai court les bois atteints pour limiter la propagation des scolytes et valoriser le bois avant qu’il ne perde toute sa valeur.
L’enjeu aujourd’hui est de montrer aux acheteurs que le bois scolyté peut être valorisé autrement qu’en bois de palette ou de coffrage, qui constitue actuellement son utilisation principale. Il s’agit d’un axe du plan national d’actions « scolytes et bois de crise » présenté par Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, le 15 avril 2024.
Du bois scolyté demandé par la scierie Blanc
La scierie Blanc, située près de Marches dans la Drôme, souhaite prouver que l’utilisation de l’épicéa scolyté, principale essence touchée par les insectes, est possible en construction. « Notre objectif, c’est de montrer aux architectes, donneurs d'ordre et aux autres acteurs de la filière qu’on peut valoriser ce bois-là en charpente », explique Frédéric Blanc, gérant de la scierie.
Une étude réalisée par le FCBA, le centre technique industriel de la filière forêt-bois, en lien avec Fibois Bourgogne-Franche-Comté et un cluster d’entreprise, a conclu que le bois scolyté ne perdait aucune de ses qualités mécaniques ; il peut donc tout à fait être utilisé en construction. « La seule différence, c’est sa couleur un peu bleutée, provoquée par la présence d’un champignon transmis à l’arbre par le scolyte. C’est ce défaut qui déplaît le plus aux clients, même s’il reste évidemment possible de le peindre », explique Jonathan Dion, chef du service bois à l’agence Ain-Loire-Rhône de l’ONF. « Il ne perd en rien sa résistance mécanique » insiste Frédéric Blanc.
La scierie Blanc a donc fait une demande à l’ONF pour acheter du bois scolyté. Au total, 200 mètres cube d’épicéas dépérissants de la forêt communale de Mijoux dans l’Ain lui ont été vendus. La scierie est actuellement en train de l’utiliser pour construire un hangar pour abriter la ligne de tri et d'empilage. « La couleur bleutée, les piqûres noires et les trous… on a laissé toutes les « singularités » visuelles liées aux scolytes et notre construction est tout de même esthétique », plaisante Frédéric.
L’avantage pour les professionnels d’acheter du bois dépérissant : son prix. « Un épicéa vert en bonne santé coûte entre 90 et 100 euros du mètre cube alors que les bois scolytés vendus à la scierie en valent 40. L’intérêt pour l’acheteur, c’est d’obtenir du bois au prix de qualité palette, donc plus de 2 fois moins cher que ceux vendus en qualité charpente, et de les utiliser pour de la construction », continue Jonathan.
le mètre cube
le mètre cube
Valoriser le bois scolyté : un défi pour l'avenir de la filière
Le bois scolyté demande tout de même plus de travail pour les scieurs qui doivent enlever les parties abîmées par les scolytes. La perte au sciage est plus conséquente que sur du bois sain : « entre 10 et 15% par rapport à du bois non attaqué », selon Nathalie Mionetto, chargée de territoire Nord-Est au FCBA. « Mais cela concerne seulement les épicéas très secs. C’est une perte surmontable ». « Au final, on a un rendement matière et financier beaucoup plus faible et un coût de sciage plus élevés qu’avec du bois en bonne santé, mais il faut qu’on apprenne à travailler avec », explique le gérant de la scierie Blanc.
Aujourd’hui, le bois dépérissant représente une part très significative des ventes en Ain, Loire et Rhône. « Pour le moment, il y a encore suffisamment d’épicéas en bonne santé mais c’est une ressource qui va se rarifier très prochainement », précise Jonathan Dion. « L’enjeu pour l’ONF, c’est de faire prendre conscience aux scieurs qu’il est nécessaire de réussir à les valoriser autrement qu’en coffrage ou en palette. »
Un enjeu que partage la scierie Blanc et le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire qui souhaite aussi, grâce à son plan d’actions, développer les débouchés de ces bois scolytés sur le marché national ainsi qu’à l’export, lorsque le premier ne peut absorber l’afflux de matériau.