70 ans de relations entre la Société des amis de la forêt de Tronçais et les forestiers

Les 6 et 7 septembre, la Société des amis de la forêt de Tronçais (SAFT) et l’Office national des forêts (ONF) célèbrent 70 ans de collaboration autour de la forêt de Tronçais. Cette relation se révèle riche de souvenirs marquants, de projets et de souhaits pour l’avenir. C’est aussi une histoire de relations humaines qui s’est peu à peu construite sur la confiance et la transparence. Propos recueillis par Sylvie Arcoutel, responsable communication pour l’ONF Centre-Ouest-Aquitaine lors d’un entretien entre Michel Adrien, président de la SAFT, Samuel Autissier, directeur de l’ONF Berry-Bourbonnais, Loïc Nicolas, ancien responsable de l’UT Tronçais et désormais chef du service forêt pour l’ONF Berry-Bourbonnais.

Chapitre 1 : une vision commune de la forêt de Tronçais

La forêt de Tronçais, avec son histoire profondément liée à celle des hommes, a connu des périodes de prospérité et de difficultés. Elle a connu le meilleur avec la mise en place de la première futaie régulière de chêne au XIXe siècle ; mais aussi le pire lorsque les forges entraînaient la surexploitation de Tronçais et ruinaient les efforts de reconstitution de la forêt voulu par Colbert. "Tout le monde s’accorde sur un point : ce que l’homme a voulu construire à Tronçais, la nature a permis de le dépasser" souligne Michel Adrien. Les forestiers ont mis en place la sylviculture mais la nature a donné beaucoup plus que ce l’homme attendait. "Certes, Tronçais est connue pour la qualité de son bois, mais elle n’a pas à rougir quand on aborde la dimension biodiversité. Elle accueille 21 espèces de chauves-souris : Murin de Beschtein, Murin de Natterer ou Oreillard roux, neuf espèces d’oiseaux liées aux vieux arbres : Pic noir, Cigogne noire, Gobemouche noir et Pouillot siffleur. Elle abrite un écosystème riche de plus de 600 insectes. Tronçais est la bonne élève de la gestion durable à la française" précise Loïc Nicolas.

Quel mystère cache Tronçais, pour que beaucoup tombent amoureux de ce lieu ?

L’humilité face aux grands arbres, revient évidemment dans la discussion quand on pose la question de la relation de chacun à cette forêt. Tronçais c’est une histoire de passation et de passion. Une œuvre collective qui n’engage pas que les forestiers mais qui vit aussi puissamment chez les habitants. Michel Adrien rappelle ce vers de Jacques Chevalier "Ses arbres s’élancent de la terre au ciel". Pour Loïc Nicolas, c’est aussi une histoire de famille "Ma belle-famille est très attachée à la forêt de Tronçais. Lors de recherche généalogique on a retrouvé des aïeux merrandiers, bûcherons, sabotiers et même un sergent des Eaux et des Forêts qui a agi non loin de Tronçais".

L’aventure de Tronçais Forêt d’Exception® a permis à chacun de pouvoir exprimer cette passion : "Le comité de pilotage rassemble bien au-delà de la SAFT, tous les acteurs locaux s’y retrouvent pour échanger et construire ensemble. Collectivement nous participons à la bonne gestion de la forêt, à sa pérennité. C’est ça Tronçais, cette forêt motive à se dépasser, à voir plus loin que soi" développe Samuel Autissier.

"Ces arbres s'élancent de la terre au ciel" - ©Giada Connestari

Chapitre 2 : mieux connaître et se connaître, pour protéger ensemble ce patrimoine exceptionnel

Chaque année plusieurs sorties sur le terrain ou des conférences sont programmées avec pour objectif d'échanger entre les membres de la SAFT et l'ONF

Quand on l’interroge sur ce qui a motivé la création de la SAFT, Michel Adrien est prudent "C’est une question difficile car on a toujours tendance à réécrire l’histoire lorsqu’on se penche sur le passé. Mais je ne crois pas trahir leur volonté initiale en affirmant que les fondateurs de la SAFT, Jacques Chevalier et Camille Gagnon étaient deux intellectuels qui souhaitaient travailler à une meilleure connaissance de la forêt. Les premiers échanges autour de cette idée datent de 1920 mais la SAFT sera finalement créée en 1954. Cette soif de savoir est encore bien vivante aujourd’hui, la SAFT réunit des amoureux de la forêt qui souhaitent mettre leur intelligence au service de Tronçais".

Cette volonté de pédagogie, Loïc Nicolas l’a retrouvée dans la lecture des écrits d’Elie Bertrand : "J’ai beaucoup appris de ses articles, mieux compris cette relation au terroir. Je ne l'ai malheureusement pas rencontré, mais nous nous sommes tous deux investis pour faire comprendre cette forêt. J’ai consulté des documents et vu qu’il n’avait pas hésité à soutenir et expliquer l’action des forestiers après la tempête de 1982. Les habitants déjà traumatisés par la tempête avaient du mal à accepter les mises en régénération des parcelles où restaient encore que quelques semenciers. Ce soutien est important, on a besoin de relais auprès des habitants. C’est aussi réconfortant pour les équipes de forestiers qui doivent agir en situation de crise. Voir la forêt détruite est un crève-cœur pour tous : professionnels et habitants, mais le forestier se projettera plus vite dans l’avenir car c’est son métier, alors que le public, lui, s’attache plus au présent."

Cette volonté de mieux connaître la forêt est aussi utile pour les forestiers, pour Samuel Autissier la diversité des points de vue est importante pour l’ONF, pour des prises de décisions éclairées. "Les avis peuvent diverger. Le débat n’est jamais inutile, il permet de mettre au jour ce qui nous rassemble. Passer du « je » au « nous ». Cette posture est essentielle pour une gestion multifonctionnelle."

Chapitre 3 : souvenirs, souvenirs…

Quand évoque le partage d’un souvenir qui a marqué, Loïc Nicolas en a plein sa besace. Il évoque les réflexions autour de l’équilibre entre forêt et grands ongulés. "Quand on a travaillé ce sujet avec les chasseurs, photographes… on a beaucoup appris ensemble. Chacun devait s’exprimer, puis trouver une solution, un compromis et accepter d’évoluer. C’est comme ça que la zone de quiétude lors du brame du cerf a vu le jour par exemple." Autre exemple la nomination d’un arbre remarquable "Bien que les premiers arbres remarquables de Tronçais aient été nommés par les forestiers au XIXe siècle, cette tradition s’est peu à peu perdue. Quand la demande d’un arbre remarquable à choisir pour honorer la mémoire de François Péron est arrivée, l’ONF a apporté son expertise à l’association d’Alain Pétiniot mais le choix a été commun. Pour moi, ces exemples marquent une vraie évolution de nos rapports avec les associations locales."

Michel Adrien rebondit : "Cette évolution est beaucoup plus nette aujourd’hui. En schématisant : du temps de l’Administration des Eaux et forêts on était plutôt dans le « Moi, je » et la SAFT exprimait son inquiétude face à l’autorité qui gérait la forêt sans expliquer ses actions. Puis peu à peu on s’est rapproché au gré des personnes et des personnalités. Le travail pour la labellisation de Tronçais Forêt d’Exception® a été un des catalyseurs de cette transformation. Cette forêt génère beaucoup de possessif. Le dialogue nous oblige à dépasser nos certitudes. Gestionnaires et usagers ont des impératifs différents, sans écoute l’un de l’autre, personne ne peut avancer. Échanger permet de ne plus être dans le dogme et de rentrer ensemble dans la complexité". Et Samuel Autissier de compléter :"C’est un changement d’état d’esprit, une transformation collective, c’est important pour relever les défis à venir."

L’ONF, les associations des amis de la forêt de Tronçais, François Péron, Mémoire de Cérilly et Charles Louis Philippe et la communauté de communes du Pays de Tronçais ont choisi un superbe chêne de 42 mètres de hauteur et 3,20 mètres de circonférence pour honorer la mémoire d’un enfant de Cérilly : François Péron, aventurier zoologiste du XIXe siècle. - ©loïc Nicolas / ONF

Chapitre 4 : se tourner vers l’avenir

Samuel Autissier à gauche, Michel Adrien à droite : "Rendre plus résiliente la forêt de Tronçais, un nouveau défi pour la SAFT et l'ONF"

En 70 ans, un destin commun s’est tissé entre adhérents de la SAFT, gestionnaires forestiers et la forêt. "70 ans d’histoire c’est intéressant si on se projette vers l’avenir" témoigne Michel Adrien. "Le changement climatique s’est invité à Tronçais et dans les forêts de l’Allier de manière brutale" poursuit-il. Comment concilier l’image d’une grande chênaie avec des vieux arbres que tous les adhérents de la SAFT veulent préserver et imaginer la forêt de demain, qui forcément évoluera face aux effets du changement climatique ? "Ce sera notre nouveau défi" réenchérit Samuel Autissier. "Aujourd’hui nous sommes face à plus de questions que de réponses. Mais bientôt viendra le temps de la projection. Ce temps-là ne se construira pas sans le dialogue et la SAFT sera un interlocuteur indispensable. La nature n’a pas encore tout dit." Julien Patzourenkoff, actuel responsable de la gestion de la forêt de Tronçais pour l’ONF, faisait le bilan des dépérissements à Tronçais et leur impact sur le paysage avec des mises en régénération sur plusieurs centaines d’hectares dans le bulletin n° 68 de la SAFT. "Aujourd’hui, nous devons agir en réaction aux dépérissements et en même temps réfléchir à la forêt de demain, la révision du plan de gestion de la forêt de Tronçais qui sera lancée prochainement sera l’occasion de peser tous les enjeux et de réfléchir ensemble" conclut Loïc Nicolas.

L’histoire entre la SAFT et l’ONF n’est donc pas prête de s’arrêter !