Rencontre nocturne avec les naturalistes du réseau mammifères... sur les traces des chauves-souris
Les couleurs estivales se dessinent sur les alpages du Beaufortin en ce début du mois de juillet. L’équipe du réseau mammifères de l’ONF, composée d’une dizaine de personnes ce jour-là et animée par Laurent Tillon, se prépare pour la capture de spécimens en vue d’un suivi scientifique particulier : le radiotracking.
Pendant douze nuits consécutives, les chiroptérologues (appelation des 45 membres du réseau qui étudient les chauves-souris ou "chiroptères") vont pister et étudier, à l'aide d'une petite radio embarquée, les déplacements d’Oreillards roux (Plecotus auritus), un petit mammifère volant de 25 à 30 centimètres d’envergure et pesant à peine 10 grammes, au sein des forêts du plateau des Saisies, perché à 1 500 mètres d’altitude, en Savoie.
L’oreillard roux est une chauve-souris de taille moyenne. Elle est reconnaissable par ses grandes oreilles reliées à la base. Inféodée aux forêts de plaine et d’altitude, elle se nourrit principalement de papillons nocturnes. On considère qu’elles rendent un service écosystémique important en s’alimentant de nombreux d’insectes défoliateurs en forêt.
Comprendre leur présence, mieux gérer la forêt
"Notre objectif est de comprendre comment les chauves-souris utilisent la forêt : trouver leurs arbres gîtes et quelles sont leurs zones de chasse", commente Laurent Tillon, chargé de mission biodiversité à l’ONF. Les connaissances acquises lors de cet inventaire permettront :
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de compléter la connaissance de l’espèce ;
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de mieux la prendre en compte et de la préserver tout en produisant du bois ;
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d’alimenter des programmes de recherche aidant la gestion forestière ;
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d’aider les forestiers locaux en vue de la création prochaine d'une réserve biologique.
Ce projet est mené en partenariat avec la Réserve naturelle régionale de la Tourbière des Saisies - Beaufortin – Val d’Arly et le Groupe Chiroptères Rhône-Alpes. Il s’inscrit dans le cadre du projet européen POIA "Comprendre pour préserver – Utilisation de la trame verte forestière par les chauves-souris dans les Alpes françaises".
La tourbière des Saisies et son environnement ont été choisis comme site d’étude pour ses différents atouts : forêt publique sur une surface conséquente (plusieurs milliers d’hectares), contexte montagnard des Alpes du nord, présence de chauves-souris liées aux arbres et aux peuplements forestiers, et enfin un secteur relativement accessible permettant de mener une étude de cette ampleur.
Une grande découverte à Tronçais !
Une jeune Grande noctule, espèce de chauve-souris très rare, a été capturée en juillet 2021 dans le cadre d’un inventaire sur l’évolution des populations de chauves-souris à Tronçais par les naturalistes de l'ONF. Une découverte exceptionnelle, car tous les chiroptérologues de France recherchent cette espèce depuis quelques années. Ce qui permet de prouver qu'il y a au moins une colonie de reproduction en forêt de Tronçais, repoussant ainsi l'aire de répartition de l'espèce 100 kilomètres vers le Nord. La Grande noctule se distingue de ses cousines notamment par sa taille : elle la plus grande chauve-souris d'Europe ! Elle est également la seule à se nourrir de petits oiseaux en plus d'insectes.
Préparer le terrain avant l’inventaire
Avant la tombée de la nuit, les équipes repèrent des zones propices et installent des filets pour capturer les chauves-souris. Rassurez-vous, cet équipement ne les blesse pas ! Les personnels qualifiés du réseau mammifères respectent scrupuleusement les consignes de manipulation données par le Museum National d’Histoire Naturelle.
L’équipe de naturalistes se répartit en quatre groupes. Les points de capture sont choisis en fonction de la présence de cours d’eau ou de mares qui sont utilisés par les chauves-souris pour s’abreuver mais aussi d’allées ou de trouées forestières correspondant à des zones de transit ou d’alimentation supposées.
Une fois prêts, les filets sont mis en berne pour éviter toute capture involontaire d’oiseaux ou de libellules avant la tombée de la nuit. Il est temps de regagner l'hébergement pour prendre des forces avant la longue nuit qui attend l’équipe.
Une mission nocturne exceptionnelle
20h30. Les naturalistes quittent leur hébergement et se rendent sur les différents points repérés plus tôt. Une fois les filets tendus et la table d’observation installée, il ne reste plus qu’à attendre que la nuit tombe et que les premiers individus sortent de leur cachette.
"Une fois que l’on en a un, on le mesure, pèse et on estime son âge. Ensuite, on l’équipe d’une puce externe. C’est un petit émetteur avec antenne radio. Ainsi, on pourra capter son signal pendant dix jours. Ensuite, la colle se détache de l’animal. Plus on a d’individus équipés, plus l’inventaire sera précis", explique Sylvain Ducruet.
Toutes les dix minutes, les naturalistes se relaient pour vérifier si des chauves-souris se sont accrochées dans les filets et les extraire avec précaution. Pour le moment, rien… Sur la table d’observation, Sylvain Ducruet remplit la fiche de capture en indiquant la météo, le lieu et le type de dispositif employé pour la mission.
Dans l’attente, les naturalistes tentent de percevoir des cris émis par les chauves-souris. "Ils sont de deux ordres : les cris sociaux (audibles par l’oreille humaine), leur permettant de communiquer entre eux et les cris d’écholocation, utilisés comme un sonar pour se repérer dans la nuit mais aussi détecter leurs proies en vol. Emis en haute fréquence (ultra-sons), ils sont imperceptibles par l’Homme et nécessitent l’utilisation de détecteurs acoustiques. Pour le moment je n’en ai capté qu’une qui ne doit pas être très loin de nous", témoigne Sylvain Ducruet.
22h30, le talkie-walkie retentit. L’équipe de Laurent Tillon a capturé une première chauve-souris. Déposé avec précaution dans un pochon avant d’être étudié, le petit mammifère attire la curiosité de tous. Des grandes oreilles sillonnées attirent l’œil. Très vite, on comprend d’où vient le nom "d’Oreillard roux". Déployées, ses ailes sont impressionnantes du fait de leur taille et de leur finesse.
Petite déception pour l’équipe, il s’agit d’un mâle. "On n’équipe que les femelles, elles vivent en colonies, dans les arbres gîtes, alors que les mâles sont indépendants et difficiles à suivre", informe Laurent Tillon. Avant de le relâcher, les naturalistes notent les informations biométriques de l’animal. C’est-à-dire, les mesures pour identifier l’espèce et décrire sa morphologie : l’âge, le caractère reproducteur et son état de santé.
23h30. Les captures s’enchaînent. Trois femelles ont été équipées et cinq mâles ont été identifiés. Dans les mains gantées du forestier, une femelle allaitante d’Oreillard. Sylvain Ducruet effectue le relevé biométrique avec minutie et rapidité pour ne pas traumatiser l’animal. Puis, il l’équipe de son émetteur. Une fois fait, la voilà repartie pour une partie de chasse jusqu’à l’aurore.
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Le radiotracking ou suivi par télémétrie
Il est minuit et Laurent Tillon annonce au talkie : "La capture a été bonne ce soir, nous allons pouvoir commencer la télémétrie". Le principe ? Déterminer la position de chaque individu équipé d’émetteur, par triangulation. Pour ce faire, chaque équipe, munie d’une antenne de réception, tente de capter la fréquence d’émission d’un individu donné. Régulièrement, au moment précis d’un "top" transmis par talkies-walkies, les équipes relèvent la direction de l’animal par rapport à leur propre position. Le croisement de ces différents azimuts (l’angle formé par rapport à une étoile et le point d’observation) permet de déterminer la position de la chauve-souris au moment du "top" !
Cette opération longue et fastidieuse pour les naturalistes est capitale pour comprendre les parcours de vols des Oreillards roux. Jusqu’à 6h30 du matin, les azimuts s’enchaînent. Le froid et l’humidité de la montagne rendent la mission compliquée mais ces passionnés se plient à la tâche avec attention.
06h45, le jour s’est levé, le matériel est plié et la mission se termine. Toute l’équipe se retrouve à l’hébergement pour saisir les données récoltées dans un logiciel de cartographie. Au fil des jours, les informations s’accumuleront et permettront d’établir la carte de localisation de chaque individu, d’en déduire la surface de leur territoire, mais aussi de trouver leur lieu de gîtes et d’élevage des jeunes. L’analyse des résultats doit permettre de comprendre quels sont les éléments du paysage et des peuplement forestiers nécessaires pour le maintien des populations d’Oreillard roux.
Le rapport d’étude et des propositions de gestion pourront ainsi permettre de mieux prendre en compte les exigences de l’Oreillard roux en montagne et d’adapter les pratiques sylvicoles afin d’allier conservation de cette espèce et gestion forestière.
En attendant, l'équipe du réseau mammifère s'offre au petit matin un repos de courte durée dans la forêt savoyarde, avant une nouvelle nuit d’inventaire aux côtés de ce petit mammifère surprenant et essentiel à notre environnement !