Dépérissement des forêts : 3 essences menacées
La forêt française en état de dépérissement
S’étendant sur une surface totale de 17,3 millions d’hectares, la forêt française a encore gagné en 2023 quelques 85 000 hectares. Ces données sont encourageantes mais malgré tout, les forestiers sont inquiets. D’autres statistiques établissent en effet qu’en 10 ans, le taux de mortalité des arbres a augmenté de 80%. Une réalité qu’ils observent chaque jour sur le terrain.
Le Département santé des forêts (DSF au ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire) estime que 670 000 hectares sont actuellement dépérissants, ce qui équivaut à 5% de la forêt française. En précisant néanmoins « qu’une forêt dépérissante n’est pas une forêt morte. C’est une forêt dans laquelle une proportion significative d’arbres présente un faciès dégradé. Cette notion recouvre en réalité différents stades de dégradation », explique Milène Gentils, cheffe du Département santé des forêts.
Le Memento de l’IGN, paru en fin d’année 2023, rappelle que la surface de ces 670 000 hectares dépérissants « équivaut à celle incendiée au cours des trente-cinq dernières années ». C’est aussi soixante-six fois la superficie de la ville de Paris. En forêt publique, c’est plus de 300 000 hectares qui sont dépérissants.
Le bulletin sanitaire produit par l’ONF au mois d’octobre 2023 atteste, dans toute la France, une hausse du taux de produits accidentels soit, dans le langage forestier, le taux de bois récoltés de façon imprévue en raison d’une crise sanitaire. Cette augmentation est due notamment au très mauvais état sanitaire des résineux.
3 essences désignées comme fortement menacées
Pour l’année 2023, trois essences d’arbres ont été identifiées comme présentant le plus de mortalité : l’épicéa, le châtaignier et le frêne.
90 000 hectares de forêts composées d’épicéas ont subi les attaques du scolyte, provoquant une crise sanitaire de très grande ampleur aux conséquences économiques très lourdes. Cette crise, principalement concentrée au cours des dernières années dans le Grand Est et en Bourgogne-Franche-Comté, frappe encore aujourd’hui et de plein fouet la région Auvergne-Rhône-Alpes et le département du Jura.
Cet automne, les forestiers s’alarmaient dans plusieurs de ces zones de températures beaucoup trop hautes pour la saison, ce qui crée des conditions parfaitement favorables au développement des scolytes.
Le département de Haute-Savoie envoie actuellement des signaux d’alerte très forts quant à cette épidémie qui semble désormais concerner aussi les épicéas d’altitude. Les projections annonçaient que le scolyte en resterait peut-être aux pessières de plaine, mais il a visiblement pris de la hauteur.
Bulletin sanitaire de l’ONF d’octobre 2023 :
"Le taux de produits accidentels chez l’épicéa est très élevé en Bourgogne-Franche-Comté ainsi qu’en Auvergne-Rhône-Alpes où il n’a jamais été aussi important et continue de croître."
Dans son rapport annuel, l’IGN indique que le châtaignier, qui représente 1% de la surface forestière publique, possède un triste taux de mortalité avec 1.5 millions de mètres cubes par an.
Le frêne, qui représente 4% de la surface forestière publique, est également très touché par cette hausse de sa mortalité puisqu’il atteint les 1,2 millions de mètres cubes par an. Son dépérissement en raison de la maladie de la chalarose concerne désormais tout le territoire hexagonal.
Bulletin sanitaire de l’ONF d’octobre 2023 :
«Ces dépérissements sont aujourd’hui généralisés sur tout le territoire où l’on récolte une quantité significative de frêne.»
Les autres essences forestières touchées par les dépérissements
Les résineux vont mal également : les sapins sont désormais ravagés par des insectes colonisateurs qui bloquent leurs systèmes vasculaires, empêchant la sève de circuler et l’arbre de se défendre. Jusqu’à maintenant, le scolyte du sapin a semblé moins agressif que celui de l’épicéa, mais il est un facteur d’inquiétude chez les forestiers qui ont récemment déclaré officiellement une situation de crise sanitaire pour cette espèce dans le Grand Est, en Bourgogne-Franche-Comté ainsi qu’en Auvergne-Rhône-Alpes.
Le Département santé des forêts indique que lorsque le sapin affiche ce rougissement, son dépérissement est alors irréversible.
A ces attaques s’ajoutent les sécheresses successives qui éprouvent très fortement cette essence.
Les forestiers, étudiant la trajectoire de mortalité du sapin, indiquent une grande préoccupation concernant le pic à venir.
Le risque aujourd’hui, c’est que la régénération naturelle ne puisse se faire dans les sapinières touchées, à cause de fructifications manquées.
Bulletin Sanitaire de l’ONF du mois d’octobre 2023 :
«Les produits accidentels en sapin pectiné continuent d’augmenter, le phénomène s’accélère, et ce sur l’ensemble du bassin de production.»
Les feuillus rencontrent les mêmes problèmes. Majoritaires dans les forêts publiques puisqu’ils représentent 58% des essences (42% pour les résineux), ils n’échappent pas à la crise.
Les hêtres, qui représentent 18% des essences présentes en forêt publique (soit 1,4 millions d’hectares) supportent très difficilement les sécheresses successives. Le pic le plus fort de mortalité s’est observé en 2021 et en début d’année 2022 en Auvergne-Rhône-Alpes et dans le Grand Est. Dans cette région où il est l’une des deux essences feuillues principales avec le chêne, les forestiers sont pessimistes quant à son avenir.
Dans les Hauts-de-France, il y a aussi eu de lourds dépérissements sur cette espèce qui font craindre qu’on ne pourra plus compter sur elle comme essence principale, jusqu’à ce qu’elle ne se soit adaptée génétiquement aux grands changements climatiques actuels.
Précisons néanmoins qu’on trouvera toujours le hêtre en montagne, dans les collines ainsi que dans tous les endroits capables de lui fournir suffisamment d’eau.
Bulletin Sanitaire de l’ONF d’octobre 2023 :
"Suite aux sécheresses de 2018 à 2021, le pourcentage de produits accidentels en hêtre a dépassé 25% sur l’année 2021."
Les chênaies, qui couvrent 3,8 millions d’hectares de la surface forestière française, sont elles aussi fortement éprouvées par les températures extrêmes. Elles connaissent une forte diminution de leur masse foliaire, ce qui impacte directement leur capacité d’effectuer la photosynthèse, de mener à bien leur fructification ainsi que leur captation de carbone.
De plus, des températures aussi hautes favorisent les invasions biologiques (champignons et insectes). Aujourd’hui, trois insectes menacent tout particulièrement le chêne en s’attaquant à leurs feuilles, leurs rameaux et leurs racines, accélérant son dépérissement : le bombyx disparate, l’orcheste et les agriles.
Au niveau du chêne, on connaissait aussi la chenille processionnaire, à l’origine de grands dégâts ; aujourd’hui, parmi d’autres bio-agresseurs, c’est Corythucha arcuata qu’il va falloir surveiller de très près. Cet insecte est arrivé en Europe en 2017 via des grumes importées des Etats-Unis. Il ne mesure que quelques millimètres, mais il a déjà commencé à infester les chênaies du sud-ouest de la France et monte actuellement vers le nord de la France. Les forestiers ont aussi signalé sa présence en forêt d’Orléans ainsi qu’en Auvergne-Rhône-Alpes.
Le tigre du chêne ne tue pas directement les arbres, mais en s’attaquant chaque année un peu plus à leurs feuillages, il freine la photosynthèse et empêche les glands de mener à bien leur fructification. En tombant au sol, ils ne sont donc pas suffisamment matures, ne pourront jamais germer ni assurer la régénération naturelle des chênes.
Deux champignons fragilisent également les chênaies : l’oïdium et la collybie à pied en fuseau. Le premier provoque une chute prématurée des feuilles du chêne, entravant sa photosynthèse. Le second s’attaque plus particulièrement aux racines de l’arbre, ce qui rend sa recherche en eau, déjà difficile en raison des sécheresses, encore plus compliquée.
Bulletin Sanitaire de l’ONF d’octobre 2023 :
"Le volume de produits accidentels de chênes sessile et pédonculé reste faible par rapport à d’autres espèces, mais il augmente progressivement. Cette progression est diffuse à l’échelle de tout le territoire mais s’intensifie néanmoins dans certaines zones comme les Vosges, le Berry-Bourbonnais, la Haute-Marne et la Picardie. C’est dans le Grand Est que le taux de produits accidentels est le plus élevé : il atteint 25% en fin d’année 2023."
Répartition des dépérissements
Le Grand Est, la Bourgogne-Franche-Comté et l’Auvergne-Rhône-Alpes sont les régions les plus touchées par les dépérissements.
A l’échelle départementale, les zones en état de très grande crise sanitaire sont le Jura et l’Ain où cela concerne le sapin et l’épicéa. En Haute-Savoie, les dépérissements commencent également à inquiéter fortement les forestiers sur le terrain.
Le sud de la France souffre depuis longtemps de la sécheresse et le Sud-Ouest, on le sait, est en situation sanitaire de post-incendie après les méga-feux de l’été 2022. Les pins maritimes qui n’ont pas péri dans les flammes ont été très fortement affaiblis et sont désormais attaqués par le scolyte.
Cette dynamique de dépérissement inquiète le département Recherche, développement et innovation à l’ONF. La généticienne Brigitte Musch constate que « d’année en année, c’est de pire en pire ». Mais le pire serait de ne rien faire et les chercheurs œuvrent au quotidien pour préparer une forêt plus résistante au climat de demain. Ils étudient notamment les patrimoines génétiques de certaines essences comme celui du chêne sessile qui serait déjà en train d’évoluer et d’apprendre à se défendre aux conditions climatiques actuelles.
Quels sont les signes qui montrent ces dépérissements ?
Plusieurs indices permettent d’attester qu’un arbre est dépérissant comme le déficit foliaire (la perte de feuilles), les arbres morts sur pied ou la mortalité des branches dans les houppiers (ensemble branches, feuilles, rameaux). Pour le Département santé des forêts, il est admis qu’un peuplement est dépérissant lorsque 20% des arbres portent plus de 50% de branches mortes dans la partie haute du houppier.
Une forêt dépérissante capte moins de carbone
Les forêts françaises riches de leur multifonctionnalité remplissent un rôle primordial à la survie de l’homme et à l’équilibre planétaire. Grâce à la réalisation de la photosynthèse, elles captent le carbone qu’elles capturent tant dans leur tronc que dans le sol.
On considère aujourd’hui que la forêt française séquestre 9% des émissions nationales de gaz à effet de serre : la lutte contre le réchauffement climatique ne saurait donc se concevoir sans la forêt.
Mais une forêt en mauvaise santé voit nécessairement sa fonctionnalité de photosynthèse entravée et son rôle de puits de carbone mis à mal. Albert Maillet, directeur forêts et risques naturels à l’ONF, parle des dépérissements en forêt française comme « d’un problème d’ampleur qui dure ». Il indique qu’en dix ans, la capacité de la forêt française à absorber du carbone a été divisée par deux. Sans oublier que les impacts du réchauffement climatique affectent aussi directement la biodiversité forestière.
Prendre conscience que la forêt va mal et que le travail des forestiers est plus que jamais indispensable face à l'urgence écologique et au défi climatique est nécessaire. Les forestiers ne travaillent pas seuls. Acteurs de la forêt publique et la forêt privée, chercheurs, élus, acteurs économiques, citoyens… Tous sont concernés et de cette alliance dépend l'avenir des forêts françaises.
Partout dans les territoires, grâce au soutien de l'Etat qui a débloqué des moyens financiers inédits dans le cadre du plan France relance et France 2030, des actions sont menées pour adapter les forêts et favoriser leur résilience. Les leviers sont nombreux ; parmi eux : la « Forêt mosaïque ». Ce nouveau concept a notamment pour objectif de renforcer la diversification des essences par des expérimentations menées sur l’ensemble du territoire et de varier les modes de sylviculture. Une promesse d’espoir pour la forêt de demain.