La chasse, un prérequis pour planter les forêts de demain
Scolytes, manque d'eau, chenilles processionnaires… La hausse des températures menace les forêts. Planter devient nécessaire pour les sauver. Grâce au plan France Relance du ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, les forestiers publics et privés plantent près de 50 millions d'arbres, mieux adaptés au climat futur.
Malheureusement, sans chasse, ces jeunes plants risquent d'être la proie des dents des cerfs, des chevreuils et d'autres sangliers en surabondance dans les forêts. Car, oui ! Ces animaux sauvages sont trop nombreux en France : 50% des surfaces des forêts domaniales présentent même un déséquilibre forêt-ongulés (cerfs, chevreuils, biches et sangliers), selon les dernières statistiques de l'Office national des forêts (ONF), contre 34% en 2015. Cela représente près de 850 000 hectares sur 1,7 million que comptent les forêts propriétés de l’Etat.
Ce dossier est devenu national et environnemental. Même des régions jusque-là épargnées, comme l'Occitanie et la Provence-Alpes-Côte d'Azur, ont été rattrapées par le phénomène. Parmi les régions les plus touchées : le Grand Est. La situation s'est également dégradée en Île-de-France et dans les Hauts-de-France. Le littoral landais n'est pas en reste. La Bretagne demeure l’une des régions les moins touchées.
Près de Sarrebourg, une illustration du déséquilibre entre forêts et ongulés...
©ONFClôturer : une gêne pour les promeneurs, un lourd surcoût pour les forestiers
Face à l’urgence climatique contrée par des plantations d’espèces adaptées, les forestiers doivent très souvent protéger les jeunes arbres en installant des clôtures autour des parcelles ou des protections individuelles. Installés pour une quinzaine d’années, ces équipements nécessitent un suivi couteux et constituent une gêne paysagère importante pour les citoyens nombreux à se promener dans les espaces naturels.
En situation de déséquilibre forêt-ongulés, chaque plant nécessite la pose d’une protection individuelle, seule technique capable de protéger efficacement les jeunes arbres qui constitueront la forêt de demain. C’est une question de survie pour l’avenir des forêts.
Dégâts des ongulés et protections des plants...
Ces clôtures installées au préalable ne sauraient pourtant être une solution pérenne. En effet, engrillager ou protéger individuellement les plants entraîne un surcoût et produit des déchets. "Le tarif varie selon le type de plantation, de terrain et la région. On peut dire qu’en moyenne la protection augmente de 50 à 60 % le coût de la plantation", estime Hélène Chevalier, chargée de travaux forestiers à la direction des forêts et des risques naturels (DFRN) à l'ONF.
La chasse, seule solution envisageable pour les plantations
A ce jour, la présence de grands prédateurs demeure insuffisante pour réguler les populations de grands ongulés et protéger les plantations qui aideront les forêts contre le changement climatique. La France comptait 620 loups sur son territoire à la sortie de l'hiver 2020-2021, selon les derniers relevés de l'Office français de la biodiversité (OFB).
Seule la diminution des populations d’ongulés par la chasse permettra de résorber les situations de déséquilibre sylvo-cynégétique. Cette activité, parfois incomprise du grand public, est un acte de gestion forestière strictement réglementé de deux façons en forêt publique :
- Le bail de chasse d’une part, qui lie le chasseur et l’ONF par un contrat d’objectifs sylvicoles et d’orientations cynégétiques. Ce bail définit les droits et devoirs de chacun des contractants, notamment les modalités pour atteindre l’équilibre forêt-ongulés. Cela passe forcément par le contrôle de la réalisation du minimum des plans de chasse. Le non-respect des ces consignes peut entrainer des sanctions allant jusqu’à la résiliation du bail de chasse.
- La licence de chasse d’autre part, répond elle aussi à des critères très précis. D’une durée d’un jour à un an maximum, elle est techniquement exigeante notamment quant à l’atteinte des minimums des plans de chasse pour le titulaire de la licence
En chiffres, la saison 2020-2021 des chasseurs en forêt domaniale métropolitaine
des attributions des plans de chasse réalisés pour le cerf.
des attributions des plans de chasse réalisés pour le chevreuil.
2 taux assez stables d’une saison à l’autre, avec de grandes disparités selon les régions, notamment pour le cerf.
Une biodiversité forestière compromise
Les dégâts des cerfs, chevreuils, biches et autres sangliers ne concernent pas que les plantations, les arbres, les arbustes et la végétation. La biodiversité est également touchée par ce déséquilibre : baisse du nombre d'insectes, d'oiseaux et du cortège floristique associé à la végétation… "Nous avons observé une forte diminution des oiseaux qui dépendent du sous-bois lorsque la présence du cerf dépasse 50 ans", explique Jean-Louis Martin, directeur de recherche au CNRS Montpellier Centre d’écologie fonctionnelle évolutive.
Plus d'explications dans ce rendez-vous technique 41-42 de l'ONF !
Vers un encadrement direct de la chasse par l'ONF
Le contrat 2021-2025 que l’Etat signe avec l’ONF fixe pour objectif de réduire de 50% les surfaces forestières domaniales en déséquilibre forêt-ongulés. Comment faire ? Partager les constats avec nos partenaires (titulaires de baux de chasse, titulaires de licences, Fédérations des chasseurs…) et augmenter les plans de chasse dans les territoires en déséquilibre.
Aussi, parmi ses quelques 3300 lots de chasse, l’Office propose de chasser sur environ 70 lots encadrés par un directeur de chasse ONF. Ces territoires de plaine, de colline ou encore de montagne accueillent des chasseurs par voie de licences, d’un jour à une saison complète. C’est l’équivalent d’une "action de chasse" en quelque sorte, sous encadrement direct de l'ONF.
Focus : l'importance de l'équilibre forêt-ongulés en 3 points
- En avril 2020, la Cour des comptes a publié un rapport intitulé "La structuration de la filière forêt-bois, ses performances économiques et environnementales". Ce dernier évoque notamment "qu'il est temps de prendre au sérieux la régulation du grand gibier en forêt. La régénération de la forêt constitue en effet un intérêt général supérieur aux intérêts particuliers, (…) justifiant l’intervention de l’État pour réduire l’excès de grand gibier. La réglementation des plans de chasse, conçue après-guerre pour protéger et développer des populations de grands gibiers, n’est plus adaptée à une situation où ces espèces ne sont plus menacées, mais au contraire menacent la biodiversité."
- Dans son rapport "La forêt et la filière bois à la croisée des chemins : l'arbre des possibles" (juillet 2020), Anne-Laure Cattelot, députée du Nord, analyse les prérequis nécessaires pour adapter les espaces naturels au changement climatique. Parmi eux : le retour à l'équilibre forêt-ongulés.
- En Allemagne, dans le Bayern, le principe législatif de "Wald vor Wild" ("la forêt avant le gibier") souligne la prééminence de la régénération forestière depuis 2005. L'objectif n'y est pas une forêt sans gibier, mais une forêt sans clôtures grâce à un niveau de chasse adapté.