La futaie régulière de chêne, un savoir-faire séculaire inscrit au patrimoine culturel immatériel français

La futaie régulière de chêne est un mode de gestion pratiqué en France depuis des siècles, dont le savoir-faire a été inscrit en 2022 au patrimoine culturel immatériel français. Grâce à cette technique, plusieurs générations de forestiers ont su élever des arbres majestueux. Quand ils arrivent à maturité, ces arbres de grande qualité sont coupés pour valoriser la noblesse de leur bois et laisser place à un nouveau cycle forestier. Ce bois exceptionnel, vous le retrouvez dans vos parquets, vos meubles, vos charpentes et même dans les arômes des vins que vous buvez !
©ONF / 16 Prod

Longilignes et majestueux, les grands chênes français laissés en héritage par les générations antérieures de forestiers sont issus d’une tradition séculaire. Dans des forêts domaniales aussi emblématiques que Bercé, Tronçais, ou encore Orléans, les chênaies doivent leur qualité à une technique sylvicole bien particulière que l’on appelle la futaie régulière. Cette méthode, concerne 77% des peuplements forestiers en France et consiste à faire pousser au sein d’une même parcelle des arbres d’âges sensiblement identiques et de dimensions voisines.

Tout au long de la vie de ces futaies, les plus beaux arbres sont accompagnés par le forestier. Des coupes sont ainsi réalisées à intervalle régulier, tous les huit à douze ans, afin d’apporter de la lumière et de leur permettre de s’épanouir. C’est ce que l’on appelle, dans le jargon forestier, des coupes d’amélioration.

A Tronçais, les chênes issus de la futaie régulière règnent en maître. - ©Giada Connestrari / ONF

Nous faisons en sorte d’éviter la concurrence entre les chênes. Cela passe par des coupes de dépressage ou d’éclaircie qui ont lieu tout au long de la vie de la chênaie.

Loïc Nicolas, chef du service forêt à l'agence Berry-Bourbonnais

S’il est utilisé depuis des centaines d’années, ce mode de traitement peine parfois à convaincre. La coupe de tous les arbres au sein d’une même parcelle peut en effet choquer le promeneur habitué à de grandes futaies. Les détracteurs de ce mode de gestion dénoncent :

  • des coupes sur des surfaces importantes,
  • des intérêts trop économiques,
  • une dégradation du paysage,
  • et une altération de la biodiversité.

Dans cet article, l’ONF vous explique les raisons d’être de cette pratique à l’origine de nos futaies cathédrales et d’un bois de haute qualité. Un savoir-faire séculaire transmis de générations en générations de forestiers, inscrit depuis le 8 juin 2022 au patrimoine culturel immatériel français grâce à une démarche pilotée par le ministère de la Culture, avec le soutien de nombreux partenaires et personnalités.

 

En forêt de Bercé – ©Giada Connestari / Imagéo / ONF

Une question de cycle

Lors de vos balades dans ces forêts, peut-être vous êtes-vous déjà retrouvé face à une parcelle qui avait été entièrement coupée. Peut-être vous êtes-vous questionné sur la nature de ces coupes… Rassurez-vous, ceci n’est pas une scène de crime.

Dans une parcelle gérée en futaie régulière, les coupes définitives sont un passage obligé et témoignent du travail réussi de plusieurs générations de forestiers, qui ont accompagné la croissance des beaux arbres pendant des décennies. Les derniers arbres de même âge et de même diamètre sont exploités en même temps.

©Manon Genin / ONF

Par ailleurs, le renouvellement de ces futaies se fait toujours sur des surfaces raisonnées. A Tronçais par exemple, malgré la prépondérance des gros arbres, seuls 40 hectares sont renouvelés chaque année sur 10 500 hectares de forêt.

Autrement dit, un nouveau cycle commence ! Les arbres récoltés permettent de renouveler la forêt et faire en sorte que dans 200 ans, les populations puissent bénéficier des mêmes ressources. Les arbres descendants jouissent désormais de la lumière nécessaire à leur croissance. Ces jeunes pousses, hautes de seulement quelques centimètres, se développeront dans les décennies et les siècles à venir pour devenir des arbres aussi majestueux que leurs parents. En cette transmission réside tout le devoir du métier de forestier.

On appelle cette méthode de renouvellement la régénération naturelle. Elle prévaut dans 80% des peuplements à régénérer dans les forêts publiques gérées par l'ONF.

Loïc Nicolas, responsable du pôle Recherche et Développement de l'ONF à Boigny.

Avant cette étape définitive, les forestiers veillent au renouvellement des forêts en effectuant des coupes progressives. Celles-ci s’étalent, actuellement, sur une période pouvant aller de 10 à 15 ans pour des chênes sessiles ; de 15 à 30 ans pour des hêtres et de 30 à 50 ans pour des sapins ou des épicéas en montagne.

Leur objectif : permettre aux semis (jeunes tiges issues de la germination des graines) de se développer pour grandir et former une nouvelle forêt. Dans les années à venir, avec le réchauffement climatique, ces périodes pourraient s’allonger ou se raccourcir pour adapter au mieux le peuplement au climat de demain.

Différents stades de la futaie régulière en forêt domaniale de l'Esterel - ©John Bersi / ONF

Le saviez-vous ? 350 ans d’Histoire en futaie régulière

Chêne Boppe - ©DARDIGNAC Cecile / ONF

En forêt publique, l’ONF mène une gestion durable des massifs et de la ressource en bois. Les missions quotidiennes des forestiers consistent à offrir des forêts accueillantes pour le public, tout en fournissant du bois à la société et en protégeant la biodiversité. Pourtant, cette gestion forestière raisonnée n’a pas toujours existé.

L’Antiquité et le Moyen-Age sont des périodes sombres pour la forêt française, malgré la volonté des maîtres des Eaux et Forêts d’impulser une gestion durable en 1346 sous l’ordonnance de Brunoy. Plus tard, avec le développement de l’industrie et de la construction navale, les besoins en bois augmentent et la forêt est surexploitée. C’est en 1669, il y a 350 ans, que la gestion forestière retrouve un équilibre avec l’ordonnance de Colbert. Cette dernière protège les bois centenaires et garantit un approvisionnement constant en bois. Près de deux siècles plus tard, en 1835, Joseph Louis Buffévent, maître des Eaux et Forêts instaure le principe de futaie régulière à Tronçais puis dans toute la France. Témoin de cette époque, la futaie des Clos à Bercé. Une petite dizaine d’hectares exceptionnels où réside le célèbre chêne "Boppe".

Un atout pour la biodiversité

Depuis des centaines d’années, les forestiers dessinent la forêt de demain en perpétuant un modèle de gestion forestière bien précis. C’est ainsi que les massifs français que vous connaissez ont tous été façonnés par la main de l’Homme.

Malgré tout, ce mode de traitement fait débat. Il offre pourtant une diversité d’espaces : "la futaie régulière crée une mosaïque de paysages et de milieux qui permet l’expression de différents habitats pour différentes espèces", explique Brigitte Pilard-Landeau, du département Gestion durable et multifonctionnelle des forêts à l'ONF.

Végétation basse, haute, espaces ouverts, fermés… Dans les différents stades de la futaie régulière, on retrouve différents types de biodiversité et donc d’espèces. "Quand vous mettez l’un à côté de l’autre des jeunes semis et des vieilles futaies, vous avez à la fois des corridors écologiques, mais aussi des milieux, habitats, très différents. Par exemple, pour que la digitale jaune, une fleur emblématique et endémique de la forêt de Tronçais, se maintienne, il faut apporter de la lumière au sol. Donc, le renouvellement de la forêt est très favorable à cette espèce", indique Loïc Nicolas.

Coupe d'éclaircie dans une futaie de chênes en forêt domaniale de Russy (Loir-et-Cher) - ©Thierry Fischer / ONF

Cette variété de paysages est également un parfait terrain de jeu pour les oiseaux. Le rossignol et la fauvette grisette sont inféodés aux milieux ouverts (coupe secondaire), quand le grimpereau est adapté au vieux bois (coupe définitive). En d’autres termes, ils suivent le cycle de la futaie en passant de parcelles en parcelles. "A l’échelle de la forêt, il y a une grande diversité chez les oiseaux dans une futaie régulière qui est due à ces changements de milieux d’une parcelle à une autre", assure Brigitte Pilard-Landeau.

Par ailleurs, les forestiers ont à cœur, c’est d’ailleurs un devoir et une responsabilité, de laisser de belles forêts en héritage aux générations futures. L’étape de la coupe définitive est réfléchie et préparée. Les parcelles en futaie régulière ne sont pas utilisées pour fournir du bois à la société si la régénération n’est pas assurée. De plus, en France, comme ailleurs, de nombreuses espèces sont aujourd’hui menacées et font l’objet d’une surveillance accrue des organismes de protection, mais également de l’ONF. Grâce au travail des naturalistes, les espèces menacées notamment sont consciencieusement recensées et répertoriées. Si l’une d’elles est présente sur une parcelle où une coupe définitive est prévue, les forestiers mettent en place des modalités de gestion afin de la préserver.

Plusieurs options s’offrent alors à eux, comme une période d’exploitation adaptée au cycle de l’espèce, la création d’un milieu de proximité pour maintenir un habitat favorable à sa survie. Cependant, il arrive qu’aucune solution ne puisse être appliquée. Il n’est évidemment pas question de couper "coûte que coûte". L’abattage est donc annulé et la parcelle concernée est protégée le temps que l’espèce y vive.

©ONF

La promesse d'un bois d'excellence

Les arbres autour de nous sont le fruit de la sylviculture et de l’action du forestier. C’est un paysage magnifique, mais pas seulement. Le bois répond aux besoins de la société. Il est le compagnon du développement de l’homme depuis la nuit des temps et encore aujourd’hui : maison (planchers, parquets, charpentes), décoration, tonnellerie, bois pour l’énergie (bûches)… Le bois est partout dans notre quotidien.

Grâce à la futaie régulière, les forestiers obtiennent des arbres majestueux, avec des diamètres homogènes, des fûts verticaux et équilibrés. Pour récolter ce bois de qualité, ils procèdent aux coupes de régénération avant la phase de sénescence (quand l’arbre commence à se dégrader). C'est cette gestion d'exception qui a permis de contribuer, depuis 2021, à la restauration de la cathédrale de Notre-Dame de Paris. Ce sont ainsi près de 1700 grumes de chênes des forêts domaniales, produits de la sylviculture française, qui ont été livrées à l’Etablissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris : 491 grumes ont été utilisées pour la reconstitution de la flèche de Viollet le Duc et les charpentes des transepts, et 1200 grumes pour reconstruire les charpentes du 13ème siècle de la nef et du chœur.

Le chêne se prête particulièrement bien à la gestion en futaie régulière. "C’est une essence poussant en grande densité et ayant besoin de beaucoup de lumière pour se développer. Il est très compliqué de faire de la gestion irrégulière dans des peuplements de chêne dans nos régions, contrairement au hêtre, par exemple, qui est une essence de semi-ombre et peut pousser avec peu de lumière. Il sera donc plus facile à gérer en futaie irrégulière que le chêne sessile", assure Loïc Nicolas.

Quelle différence avec la futaie irrégulière ?

Dans les futaies irrégulières, des arbres d’âge, d’essence et de taille variés résident sur une même parcelle. Tous les huit à dix ans, des arbres sains, malades ou dangereux sont coupés progressivement en dosant subtilement le prélèvement, en quantité et en qualité. Ces éclaircies réparties dans le temps visent à maintenir des bois de bonne qualité tout en présentant un intérêt environnemental ou paysager. Elles permettent également d’apporter la lumière nécessaire aux peuplements et à l’implantation naturelle de semis, assurant ainsi la régénération naturelle de la forêt tout en sécurisant l’espace forestier. Grâce à ce traitement, le couvert forestier est maintenu.

Si le chêne élevé en futaie régulière est utilisé pour produire des parquets ou des charpentes, son utilisation la plus connue reste la fabrication de barriques et de tonneaux. En effet, aujourd’hui, le savoir-faire de la tonnellerie française est reconnu au niveau international, et ce, essentiellement pour son chêne sessile à grain fin.

Le chêne à grain fin est le fruit d’un travail séculaire que les forestiers se sont transmis de génération en génération depuis le XIXe siècle. Il correspond au bois de chêne ayant poussé lentement et régulièrement, avec une largeur de cerne ne dépassant pas 2,5 millimètres. Seule la sylviculture en futaie régulière de peuplements constitués d’arbres du même âge permet de le produire.

Chênes dans le massif de la Montagne de Reims - ©Felix Vigne IMAGEO / ONF

Le grain fin, secret d'un grand vin

©BENOIT Thomas / ONF

La tonnellerie française tire son épingle du jeu sur un marché en croissance, avec des cours en hausse de 20%. Héritière de traditions anciennes, elle a su se moderniser et cultiver les atouts du "made in France". Son secret ? La qualité du chêne utilisé dans la fabrication de ses tonneaux, influençant les qualités du vin. Les grands crus sont éduqués dans des barriques de chêne à grain fin. Lors de la croissance des peuplements, le forestier s’efforce de doser la compétition entre les arbres sur la parcelle forestière, en coupant progressivement les arbres les moins prometteurs. Ces interventions sylvicoles permettent de limiter la croissance en diamètre des arbres à moins de 5 mm chaque année, une condition indispensable à l’obtention de ce bois de qualité. Fournisseur des entreprises de tonnellerie à hauteur de 70 %, l’ONF apporte son savoir-faire à la fourniture de bois adaptés grâce à cette sylviculture en futaie régulière.

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