Changement climatique : une stratégie de résilience pour les forêts publiques
670 000 hectares de forêts touchées par des dépérissements dans l’Hexagone, dont plus de 300 000 en forêt publique, une augmentation de 80 % du taux de mortalité en dix ans, une capacité de séquestration de carbone divisée par deux en 10 ans… La tempête qualifiée de « silencieuse » par les forestiers entre 2018 et 2022 n’a plus rien d’invisible. Personne ne peut affirmer avec certitude ce que seront les conséquences du réchauffement climatique sur les écosystèmes à long terme, mais une chose est sûre : un bouleversement rapide est en cours dans cette ère qualifiée d’anthropocène. D’ici à 50 ans, 50 % des forêts basculeraient en inconfort climatique si l’on suit la prévision des +4 degrés au niveau national indiquée par le gouvernement dans sa trajectoire d’adaptation au changement climatique.
Observer et diagnostiquer
Face à ce constat, quelle posture adopter ? « Malgré l’incertitude, le pire serait de ne rien faire », assure Albert Maillet, directeur forêt et risques naturels à l'ONF. Les forestiers sont unanimes : il faut agir vite pour que la forêt continue à offrir ses nombreux services à la société : un réservoir de carbone et de biodiversité, un matériau renouvelable et biosourcé, une économie locale source d’emplois non délocalisables, un rempart contre les risques naturels, un espace de loisirs et de ressourcement.
Au quotidien, cet impératif se décline au travers de nombreux partenariats développés avec le monde de la recherche pour disposer d’outils de connaissance, de suivi et d’adaptation indispensables à l’élaboration de réponses concrètes et ciblées.
« Observer, c’est s’assurer que notre diagnostic, et les décisions qui en découlent, s’appuient sur les bonnes variables et prennent en compte les différentes projections relatives à la vulnérabilité des forêts », poursuit Albert Maillet. Pour cela, les forestiers s'appuient sur plusieurs outils et dispositifs : le protocole DEPERIS pour mener, à intervalles réguliers, un échantillonnage («roadsampling ») sur les essences et les surfaces forestières menacées ; le réseau RENECOFOR pour suivre à la loupe, sur 102 zones forestières placées sous monitoring, la réaction physiologique des arbres et des forêts face aux bouleversements environnementaux; la télédétection LiDAR HD (haute densité) ou le satellite pour analyser l’état des peuplements, des sols et de la biodiversité.
Une régénération naturelle dynamique et ciblée
Une fois l’observation effectuée et le diagnostic posé, que faire dans un contexte qui évolue rapidement ? « Ce n’est pas parce que le climat est incertain que l’action est aléatoire », répond Albert Maillet. Autrement dit, la stratégie peut être très structurée et organisée, à condition qu’elle s’appuie sur une prise en compte permanente des avancements constatés, et que les forestiers puissent si besoin procéder à des réajustements ciblés. « C’est un peu comme un médecin. Il n’a jamais la certitude de la façon dont la maladie va progresser, ni à quelle vitesse, ou si le traitement donné sera efficace. C’est en fonction de ses contrôles médicaux réguliers qu’il réoriente les soins ».
« Ce n’est pas parce que le climat est incertain que l’action est aléatoire »
Dans son plan de renouvellement des forêts, l’ONF déploie une stratégie de réponses graduelles et proportionnées aux risques encourus, selon quatre scénarios.
- La forêt en place est jugée apte à résister à l’évolution climatique (50 % de la forêt française serait dans ce cas). Un scénario de reconduction de l’existant par régénération naturelle reste possible.
- La forêt en place est jugée vulnérable pour les essences-objectifs actuelles, mais pas pour certaines essences d’accompagnement présentes. La régénération naturelle visera à modifier progressivement le dosage du cocktail d’essences vers un mélange plus résilient.
- La forêt en place est jugée vulnérable pour l’ensemble des essences qui la compose. Il est alors impossible de se limiter à la seule régénération naturelle. Les forestiers devront intervenir sous forme d'enrichissements par des provenances ou essences plus résistantes, à tempérament plus méridional.
- La forêt est située dans un secteur évoluant vers des situations climatiques connues uniquement à l’étranger ; les essences de « secours » seront donc à identifier elles aussi hors France en vue, dans ce cas extrême et minoritaire en surface, de l’introduction raisonnée d'essences exotiques. Les démarches d’Îlots d’avenir et de dispositifs expérimentaux de diversification en gestion visent à conserver un caractère expérimental maîtrisé à ces approches.
Diversité et forêt mosaïque
Dans toutes ces réponses, un maître-mot guide les équipes de l’ONF : la diversité, dans le choix des essences, dans les peuplements forestiers, dans les modes de gestion ou dans la richesse écologique recherchée et développée. C’est ce que les forestiers appellent la « forêt mosaïque. « La forêt est un écosystème qu’il faut savoir appréhender dans toute sa complexité, dans toutes ses interrelations », rappelle Erwin Ulrich, pilote national de l'adaptation des forêts au changement climatique à l'ONF. Un équilibre subtil et nécessaire dont dépendra l’avenir et la résilience des forêts.