En forêt, la crise des scolytes s’accélère partout en France
Initialement déclenchée en région Grand Est, l'épidémie de scolytes s'étend désormais sur la quasi-totalité des forêts d'épicéas, de la moitié nord de la France (Bourgogne-Franche-Comté, Hauts-de-France, Normandie) à l’Auvergne Rhône-Alpes. Ces insectes, dont la taille varie entre deux et sept millimètres, sont naturellement présents dans notre écosystème. Le typographe est le scolyte commettant les plus gros dégâts dans les forêts d’épicéas, notamment dans le Grand Est. En creusant des galeries dans le cambium (une fine couche sous l’écorce) pour y déposer leurs œufs, les femelles condamnent des arbres par milliers.
Partout où l'épidémie frappe, une modification de l'aspect paysager est à prévoir. Au-delà des coupes exceptionnelles, le dépérissement des épicéas modifie l'aspect de la forêt. En effet, les arbres attaqués par les scolytes sont facilement identifiables par le changement de la couleur de leurs aiguilles, virant du vert au brun, puis par leur disparition totale.
En images, les ravages des scolytes...
Le saviez-vous ?
Les scolytes constituent une large famille d’insectes. Beaucoup de scolytes sont spécifiques d’une essence en particulier. Pour l’épicéa, on parle du typographe et du chalcographe, pour le pin sylvestre du sténographe, pour le sapin du curvidenté…
Une situation préoccupante...
En 2020, en région Grand Est, on estime à 3,3 millions de m3 de bois déclassés (ndlr, bois qui ont perdu de leur valeur, attaqués par un insecte ou pour une autre raison de dépérissement) dont 1,8 million de m3 d’épicéas. "A elle seule, cette essence représente à peu près deux tiers des volumes récoltés en bois dépérissant", témoigne Edouard Jacomet, adjoint au directeur territorial Grand Est à l’ONF.
Cette épidémie, préoccupante pour la santé des forêts et des écosystèmes concernés, inquiète les professionnels de la filière bois. Habituellement valorisés comme bois de charpente et de menuiserie, les épicéas altérés par le scolyte sont déclassés par les scieurs, notamment en raison du développement d’un champignon qui accompagne les scolytes et qui vient bleuir le bois. Cet afflux inhabituel de bois dépérissant en France comme en Europe a entraîné une chute des prix lors des ventes de bois et une saturation du marché.
Comment une telle crise a pu voir le jour dans les forêts françaises ?
Les conditions climatiques extrêmes de ces dernières années en France ont engendré de multiples crises sanitaires en forêt. Ces dernières prennent la forme d'une importante prolifération de parasites, insectes et champignons, qui provoquent de sérieux dépérissements dans les peuplements. Ainsi, les effets conjugués des printemps et des étés depuis 2018, exceptionnellement chauds et secs, ont entraîné une prolifération de scolytes dans les pessières (forêts d'épicéa).
Les 4 leviers d’action des forestiers...
1/ L'Etat des lieux
En coordination avec le ministère de l'Agriculture et de l'alimentation, l'ONF, les collectivités locales et les acteurs du monde forestier sont aujourd'hui plus que jamais mobilisés. L'objectif est d'établir un état des lieux précis des populations de scolytes sur le territoire. Ce travail, mené en collaboration avec le département de la Santé des forêts, l'ONF et les partenaires de la forêt privée (CNPF), comprend notamment la réalisation de cartographies utilisant l'imagerie satellite.
À l'ONF aussi, des méthodes exploitant les images de satellites (satellite européen Sentinel-2, satellite Spot6-7) sont développées pour mieux répondre aux spécificités locales, en apportant notamment des informations aux territoires non couverts par la démarche initiée par le ministère de l'Agriculture. Ces méthodes, fondées sur un système de télédétection, nécessitent l'acquisition de données de référence sur des secteurs dont la situation au sol est connue.
Pour ce faire, l'Office s'appuie sur un large réseau de techniciens de terrain mobilisés pour fournir ces renseignements. Par ailleurs, la richesse du système d'information géographique de l'ONF (technologie ESRI) permettra de guider les diagnostics de terrain, d'optimiser l'exploitation des parcelles ainsi que leur reconstitution future.
En complément, une plateforme permettant de décrire et de localiser des signalements de dégâts de scolytes de manière homogène et simple a été mise en place en 2019 par l’IGN. "L’objectif est de disposer du plus grand nombre possible de zones de dégâts (ou saines) connues et décrites dans les différentes forêts", explique Anne Jolly, responsable du pôle Recherche, développement, innovation à l’ONF. Une fois recueillies de manière collaborative, ces informations alimentent ensuite la mise au point et l’évaluation des méthodes de cartographie des dégâts à partir des images satellites. Cette mise au point de méthodes a été confiée à une équipe spécialisée de l’INRAE.
2/ La détection précoce
On reconnaît un arbre infesté à des dépôts de sciure sur son tronc et à son pied. Sur le terrain, une des premières mesures à prendre pour enrayer une épidémie de scolytes est la détection précoce. Ce travail demande une minutie toute particulière. "Les trous font à peine quelques millimètres de diamètre. Un promeneur ne pourrait pas les voir", précise Hubert Schmuck, chef de projet complexe environnement et santé des forêts à l’ONF.
Une fois repéré, l’arbre infesté doit être coupé. "Il faut ensuite le débarder le plus vite possible, avant la fin du cycle larvaire pour éviter de contaminer les autres arbres", poursuit Hubert Schmuck. Le bois est ensuite amené en scierie, plongé sous l’eau ou encore écorcé de manière à ce que les larves ne puissent pas terminer leur cycle.
Des agents de terrain sont formés pour reconnaître tous les pathogènes et toutes les causes de dépérissement des arbres. Ils suivent des protocoles d’observation et des prises de mesures systématiques permettant de décrypter les différents phénomènes.
3/ Le piégeage aux phéromones
Au printemps 2019, le département de la Santé des forêts a mis en place un autre stratagème : les pièges à phéromones. Cette technique a été réitérée à la fin du mois de mars 2020. Quand les températures sont plus favorables, ces pièges à phéromones de mâles sont installés pour attirer les scolytes femelles. Ainsi, il est possible d’étudier les courbes de vol en fonction des températures. "Cela permet de suivre la dynamique des insectes mois par mois. Pour 2020, on a observé une activité plus forte que l’an dernier", atteste Eric Dubois.
4/ Des coupes sanitaires nécessaires et exceptionnelles
La seule alternative pour limiter l'expansion d’une épidémie étant l'enlèvement rapide des bois, des opérations exceptionnelles de coupes et travaux sont réalisées et encadrées par l'ONF dans les forêts publiques. Pour les peuplements les plus impactés, des coupes rases peuvent être envisagées, tout en veillant à la préservation des sols, des vestiges, des sites mémoriels et des espaces naturels. Ces opérations inédites engendrent temporairement des désagréments pour les promeneurs et autres usagers de la forêt, dès lors que l'accès à certains secteurs de la forêt peuvent être interdits au public pour des raisons de sécurité.
Pour assurer la pérennité de la forêt, il sera nécessaire d’envisager le remplacement des épicéas par des peuplements plus mélangés qui auront une plus forte résistance aux maladies, aux parasites et donc au dérèglement climatique.
Si les futures conditions climatiques détermineront l'intensité des attaques, les experts sont unanimes quant aux risques de pullulation des scolytes dans les années à venir. "Au mois de mai 2020, on observait déjà des niveaux assez élevés et égaux à une année dite normale", déplore Eric Dubois. En conséquence, tout l'enjeu pour les forestiers est de procéder au remplacement des peuplements d'épicéas par des essences locales et nouvelles capables de s'adapter à la spécificité des milieux et au changement climatique. "Avec ces crises, tôt ou tard l’épicéa va régresser, voire disparaître dans les parties de basse altitude."
Pour remplacer ces essences, des travaux sont en cours avec le département Recherche, développement et innovation de l'ONF dans le cadre du projet Renessence. La direction territoriale ONF du Grand-Est travaille aussi sur un projet conséquent financé par la Région et par l’Europe sur le test de nouvelles essences qu’elles soient feuillues ou résineuses : FuturForEst : "Bien que ce projet ne se déroule pas dans le cadre de la lutte contre les scolytes, mais dans celui de l'adaptation aux changements climatiques, les deux se rejoignent et se nourrissent réciproquement", déclare Hubert Schmuck.
Le saviez-vous ?
Environ 6,5 millions de m³ de bois déclassés ont été récoltés en 2019-2020 par l'ONF, contre moins de 1 million en moyenne sur une année normale. En 2020, les bois dépérissants (en raison de diverses maladies : scolyte, chalarose...) représentent 26% de la récolte en forêt publique. Plus d'informations sur notre page "forêt et changement climatique".