Réchauffement climatique : quels enjeux pour la forêt ?

Toutes les essences forestières sont aujourd'hui touchées par le changement climatique. Comment les forestiers peuvent-ils agir ? Mélanges et choix des essences, migration assistée, scénarios climatiques... Découvrez cette interview d'expert de l'ONF à l'occasion du salon international de l'agriculture 2020.
Entretien avec Manuel Nicolas, responsable du réseau national de suivi à long terme des écosystèmes forestiers (Renecofor) à l'Office national des forêts (ONF).

Quel est le rôle de la forêt face au réchauffement climatique ?

En France comme ailleurs, les espaces forestiers  sont directement touchés par le réchauffement climatique. Cependant, ils sont aussi d’excellents alliés pour y faire face. Au-delà des services qu'elle rend en matière d'habitat pour une large diversité d'espèces, de protection des sols, de production de bois, d’accueil du public la forêt joue aussi un rôle essentiel dans la lutte contre la hausse des températures, par le piégeage du carbone de l'atmosphère.

Quelles sont les essences les plus concernées par le réchauffement climatique en forêt ?

Toutes les essences sont aujourd'hui concernées. Cependant, certaines sont plus touchées et subissent des crises sanitaires. Par exemple, les épicéas, sensibles à la sécheresse, sont les grandes victimes d'une épidémie de scolytes. Ces insectes se développent après des tempêtes ou, comme en 2019, après une sécheresse, quand les arbres sont fragilisés et plus vulnérables face aux attaques des ravageurs. Les scolytes en profitent et pullulent, jusqu'à former des populations suffisantes pour attaquer aussi des arbres sains. C’est une des raisons de ces épisodes de crise où des pans entiers de forêts sont ravagés.

Ces dernières années, de plus en plus de sécheresses exceptionnelles ont été observées. Peut-on prévoir l'ampleur de ces phénomènes à l'avenir ?

Les prévisions futures sont incertaines. Déjà, l’augmentation de la température moyenne annuelle d’ici la fin du siècle pourrait varier entre + 1,5°C à + 5°C selon les scénarios. Il est d’autant plus difficile de prédire l’ampleur que pourront prendre des phénomènes exceptionnels tels que des vagues de chaleur ou des sécheresses. On sait cependant qu’ils devraient devenir plus fréquents : c’est ce qu’on a vu déjà au cours des 30 dernières années.

Le réchauffement global des températures s’observe aussi en hiver. On le voit d'ailleurs en ce moment avec des températures très clémentes. Les hivers sont plus doux. Pour les arbres, les conséquences sont importantes car toute la biodiversité des écosystèmes forestiers est calée par rapport au rythme des saisons. Avec les bouleversements météorologiques, ce rythme change et entraine de nombreux impacts sur l'environnement.

Dépérissements d'arbres dans la région Grand Est à cause de la sécheresse durant l'été 2019. - ©ONF/C.Deart

Qu'est-ce que Renecofor ?

Le réseau national de suivi à long terme des écosystèmes forestiers (Renecofor) étudie les écosystèmes et leur évolution face aux différents stress qu’ils peuvent subir. Il relève de nombreux paramètres qui peuvent aider les forestiers à comprendre dans quelle mesure les arbres sont sensibles au climat, et à améliorer les modèles utilisés pour prédire les impacts du changement climatique. Renecofor suit notamment la phénologie des arbres (dates auxquelles ils produisent leurs feuilles au printemps et les perdent à l’inverse à l’automne). Ce paramètre clé dépend essentiellement du climat et risque de bouger fortement dans les années à venir, avec des conséquences potentielles sur l’ensemble de l’écosystème forestier.

Comment permettre aux forêts d'être plus résilientes ?

Par le choix des essences et de leur mélange. Il faut rechercher des provenances plus résistantes aux sécheresses, et, plus globalement, aux climats chauds. Il y a toujours eu des variations climatiques au cours du temps et les forêts se sont adaptées. Le problème du réchauffement actuel du climat est sa rapidité. La migration géographique naturelle des essences est trop lente pour suivre le mouvement.

Le forestier peut donc agir en faisant de la migration assistée : transporter des graines du sud pour les implanter plus au nord, dans des climats où l’on suppose que les essences seront plus adaptées dans 50 ou 100 ans. C'est notamment ce que fait l'ONF avec ses partenaires dans le cadre des projets Giono et MedforFutur.

Cela veut donc dire que la forêt a besoin de l'Homme ?

Oui et non. Si on pouvait attendre quelques milliers d’années, je pense que la forêt retrouverait un équilibre. Mais les changements climatiques actuels font que l'on n'a pas le temps d'attendre quelques milliers d'années. C'est aujourd'hui qu'il faut agir.

©ONF

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