Forêt de Suzac : prêts pour une balade entre dunes et falaises ?
Côté terre, les pins ondulent sur les reliefs escarpés des dunes. Côté mer, ils finissent leur course tantôt sur des lagons turquoise, tantôt sur les prairies sèches des falaises de calcaires. Le paysage de la forêt de Suzac est au mariage de l’estuaire de la Gironde et de l’océan Atlantique.
Plantée au XIXe siècle pour boiser les dunes, cette petite forêt de Charente-Maritime de 130 hectares est aujourd’hui essentiellement composée de pins maritimes et de chênes verts dans son sous-bois. Dans cet article, venez découvrir cet espace naturel !
Appelée "Côte de Beauté", cette portion du littoral n’a pas volé son nom ! L’engouement touristique en est la preuve : chaque été, la population y est multipliée par 10. Les vacanciers allant même jusqu’à investir le cœur de la forêt pour habiter des cabanons, mobil-homes ou maisons qui posent des problèmes de sécurité.
"Il existe un risque d’incendie très fort", explique Valéry Bernard, forestier à l’Office national des forêts (ONF). Ces habitations, reliées de manière artisanale aux réseaux routiers, électriques et d’eau sont "un cauchemar pour les pompiers" qui ne peuvent constituer une ligne de combat du feu efficace.
Alors, depuis les années 80, le Conservatoire du littoral, avec l’aval des collectivités territoriales et de l’ONF rachète ces terrains. Plus de 100 bâtis ont déjà été déconstruits. L’enjeu ? Reconstituer une forêt homogène entre Meschers-sur-Gironde et Saint-Georges-de-Didonne.
Une forêt en reconquête
Boîtes aux lettres isolées, câbles électriques aériens, anciennes clôtures : dans les profondeurs du massif, au nord-est de la forêt, entre les lieux-dits Serres et du Compin, les vestiges de ces habitations sont parfois encore visibles. Au milieu des chênes, un pêcher ou un érable, plantations exotiques d’anciens jardins donnent à la forêt des airs de jungle urbaine.
Mais très vite, la forêt reprend ses droits sur les territoires reconquis. "Avant, des voitures circulaient, aujourd’hui nous retrouvons des sangliers !" s’enthousiasme Valéry Bernard. Les routes en béton sont en effet devenues des chemins de terre. Seul un œil aiguisé pourra repérer des graminées et herbacées, bien plus champêtres que forestières.
Quand on pense à la forêt de Suzac, on pense forcément à la reconquête. Quand je suis arrivé en 2013, je devais gérer 80 hectares de forêt. Nous sommes maintenant à 130 hectares et 20 hectares supplémentaires sont encore en instance de bénéficier du régime forestier.
À l’écoute de l’évolution de la forêt
En direction du Phare aux Lapins, sur les terres boisées depuis plusieurs centaines d’années par le chêne vert, le sol est plus riche et évolué. La présence d’essences comme le chêne pédonculé ou le fragon petit houx en attestent.
Après avoir creusé le sol, le forestier commente : "le sable dunaire blanc est plus difficile à atteindre ici. L’accumulation des litières a déjà bien entamé l’acidification des sols. Il y a 200 ans, ce sable était chargé en fragments de coquilles de crustacés et trop basique pour accueillir ces espèces."
Bien que peu exploitée pour son bois, la forêt a besoin d’un accompagnement forestier pour sécuriser l’accueil du public et maintenir une variété d’essences. Dans une parcelle éclaircie récemment, de jeunes pins maritimes poussent, baignés par le soleil dont ils ont besoin.
Là où la lumière pénètre à nouveau, un ciste à feuille de sauge apparait. "Avant la coupe d'éclaircie, il n’y en avait plus sur cette parcelle", note Valéry Bernard. Parfaitement adaptée aux climats secs grâce à sa cuticule poilue et épaisse, cette plante est typique de la forêt de Suzac. "Sans vouloir être chauvin, vous ne la trouverez pas plus bas sur la côte Atlantique car il pleut plus qu’ici !", s’amuse le forestier.
Reste à veiller à ce que les pins aient l’espace pour se développer : "ici la méfiance, ce sont les arbres 'spaghettis' : quand une futaie de pins est trop serrée, les pins poussent vers le haut sans prendre d’épaisseur et perdent en stabilité. Si le peuplement n’est pas éclairci, ils risquent de s’arracher, surtout avec les vents forts de la côte."
Sur le chemin de crête, le coin préféré du forestier
Pour prendre la mesure des reliefs façonnés par les dunes sous la forêt, direction le chemin qui monte au carrefour de l’allée des Paons et du chemin menant au Parc de l’Estuaire. À flanc des coteaux sur ce sentier de crête bordé par des pins, le promeneur guette et espère une trouée…
Quand enfin le paysage se débouche, un panorama magique sur la forêt apparaît. Assis sur la racine du chêne liège qui forme un banc, le forestier contemple le paysage : "c’est une fenêtre ouverte sur la pointe de Suzac. À l’automne, on y voit passer les pigeons ramiers en migration, qui vont vers le sud : ils profitent des courants chauds des vents de sud-ouest pour passer de l’autre côté de l’estuaire de la Gironde. C’est aussi un paysage éphémère : le sous-bois de chêne vert se fait chaque année plus touffu, ce point de vue va bientôt se refermer…"
Infos pratiques
Pour suivre l’itinéraire de promenade "Entre plages et forêts", rendez-vous au parking du Parc de l’Estuaire et suivez le balisage jaune (double sens) du sentier PR®.
Téléchargez le guide de promenade
Un partenariat pour la biodiversité avec… des brebis
En redescendant vers le littoral, la forêt disparait au profit de grandes prairies qui font la richesse de la forêt : les pelouses des falaises calcaires de la pointe de Suzac. Dans cet écosystème foisonnant, peuplé d’herbes sèches, on rencontre :
- les orchidées – stars des pelouses, des chardons – emblème du Conservatoire du Littoral,
- des dorycnies à 5 feuilles – aussi appelées "badasse" et excellente indicatrice de la santé des pelouses calcaires,
- ou encore de l’anis qui donne à la fin de cette promenade une odeur de bonbon.
Ces milieux fragiles et menacés sont reconnus pour leur biodiversité et classés zone Natura 2000.
Plus loin, une vingtaine de brebis couchées à l’ombre profitent de la vue. Elle sont l’objet d’un partenariat avec une ferme. Leur travail ? Brouter ces prairies d’octobre à mars afin de maintenir ce milieu à son stade pionnier : "si le sol argileux s’enrichit, cet équilibre dépendant de l’affleurement calcaire disparaîtra et la biodiversité avec".
Pour terminer cette balade en beauté, le sentier des Douaniers invite à longer le littoral où l’on retrouve de l’arbousier mais aussi de l’osyris blanc, une plante protégée au niveau régional. Des trouées dans le boisement permettent d’apercevoir des carrelets, ces installations de pêche typiques de Charente-Maritime.
Lorsque la plage de Suzac est en vue, la récompense est proche. En arrière du lagon bleu formé par les découpes de falaises blanches, le promeneur pourra se reposer et peut-être apercevoir sur la dune grise l’œillet des dunes, une espèce protégée au niveau national…
Parlez-vous le poitevin-saintongeais ?
Pour se repérer en forêt de Suzac sans passer pour un baignassout*, il faut parfois s’équiper d’un lexique !
- Cagouille : escargot petit gris, présent dans les prairies calcicoles de la pointe de Suzac au rôle écologique très important.
- Carrelets : installations de pêche sur pilotis inscrites au patrimoine départemental.
- Conche : plage de sable fin au fond d'une baie située entre deux pointes formées de falaises (conche de Suzac).
- Rouches : prairies denses de hautes plantes vivaces situées sur des sols frais, non loin des saules et des roseaux.
- Yeuse : de l’occitant "euse", désigne le chêne vert.
* touriste qui ne fréquente que la côte.