La forêt de Sillé cultive son originalité

Pour les Manceaux venus en voisins, Sillé-le-Guillaume, c'est avant tout une plage, ou plutôt un vaste étang aux berges de sable blanc, où l'on peut se restaurer, pêcher, faire de la tyrolienne et tirer des bordées au club de voile. Une institution locale. Gabriel Richefeu, dit Coco, eut dès 1925 l’idée d’installer une buvette autour de ce plan d’eau.

Chaque été, nombreux sont les vacanciers qui viennent se détendre sur les berges de ce lac artificiel créé au Moyen-Age pour alimenter en eau les moulins voisins. Non loin du restaurant qui borde la plage, s'élèvent les vestiges classés d’un château-fort du XII^e siècle envahi de végétation et entouré d’eau. Mais on aurait tort de se contenter d’un farniente ensoleillé sur le sable de Sillé-Plage, car il suffit d’emprunter le chemin qui ceinture le lac pour pénétrer dans la forêt et y faire quelques jolies découvertes.

Dans une région dominée par la chênaie-hêtraie, Sillé cultive sa singularité. Dans cette forêt de 3 400 hectares ce sont les résineux qui dominent. Exploitée pour ses mines de fer dès l'Antiquité, puis pour son bois qui alimentait les forges, cette forêt privée a été rachetée par l'État en 1925. "Il y avait eu tellement de coupes sombres que les habitants s’en étaient émus, alors que la sensibilité à ces sujets était moindre qu'aujourd’hui", explique Lucas Aubert, technicien forestier territorial de l'Office national des forêts (ONF).

Cette histoire singulière détermine encore aujourd’hui le travail des forestiers dans cette forêt étroite qui s’étire sur une longue butte de 15 kilomètres nord-est/sud-ouest. Destinés à l'industrie du bois d'œuvre, des épicéas, sapins, pins sylvestres et maritimes ont été plantés après la nationalisation de la forêt. Ces résineux représentent 53 % du boisement. Le reste est un enchevêtrement d’essences différentes, parfois sur une même parcelle : chênes, hêtres, châtaigniers, aulnes glutineux... Cette diversité qui fait le charme de Sillé complique néanmoins la gestion forestière. D’autant que la forêt mancéenne, comme sa voisine Perseigne, présente des reliefs très vallonnés de part et d’autre des ruisseaux de Roullée, du Jouteau et des Desfays.

Grâce à sa diversité et à son humidité, Sillé semble moins touchée par le changement climatique que d'autres forêts. Cependant elle n'est pas épargnée. Les épicéas en ont été les premières victimes. Plusieurs sécheresses ont fragilisé les arbres, devenus plus vulnérables aux attaques de scolytes, ces insectes ravageurs. Les épicéas coupés ont cédé la place à des pins maritimes, plus résistants. Des chênes pubescents et des cèdres vont également être plantés, pour améliorer la biodiversité et la résilience de la forêt. "Cette résilience est devenue un enjeu majeur pour nous, explique Lucas Aubert, technicien forestier territorial de l'Office national des forêts (ONF). Cela passe par le choix des essences mais aussi par des pratiques forestières adaptées, comme par exemple éviter la création de grandes ouvertures, où le fort ensoleillement nuirait aux jeunes pousses."

Sombre forêt et plaines ouvertes, ruisseaux, collines pentues. En parcourant les sentiers, des paysages très différents se succèdent. Ainsi, on accède au rocher de Roche Brune, promontoire de grès surplombant la forêt, par un plateau évoquant un paysage provençal. Les tons rouges de la petite oseille explosent dans un paysage ouvert de callunes et bruyères qui se développent au pied de quelques pins. C’est une lande sèche, un site estampillé Natura 2000. Ces lieux identifiés comme représentatifs de la biodiversité européenne bénéficient d’une gestion adaptée.

Les landes humides et tourbières de Sillé sont aussi classées en Natura 2000. Ces milieux menacés permettent de réguler les eaux, de stocker le carbone et abritent des espèces rares, comme la drosera à feuilles rondes (plante insectivore). Depuis 2008 les techniciens de l'Office national des forêts (ONF) s'attachent à restaurer ces zones humides.

Outre Sillé-Plage, la forêt compte quatre autres étangs, où la pêche est autorisée. Ces eaux sont le domaine des cordulies à corps fin, espèce rare de libellule, de l’écrevisse à pattes blanches, du triton marbré et de la littorelle des étangs. "Depuis quelques années nous veillons à rétablir la continuité écologique des cours d’eau pour permettre la bonne circulation de la faune aquatique, explique Gabriel Raymond, également technicien forestier territorial. Nous veillons aussi à ce que l’exploitation du bois n’ait pas d’impact sur les cours d’eau."

Sillé offre 180 kilomètres de sentiers aux randonneurs et 9 parcours VTT, du niveau vert au noir. Au nord-est, dans le secteur du ruisseau du Roulez, on monte jusqu’au Saut du serf, un gros rocher de grès surplombant la forêt. D’après la légende, un serf (paysan) se serait jeté dans le vide pour échapper aux soldats du duché. À moins que ce ne soit un cerf... Le site accueille les férus d’escalade, de même que le rocher de Roche Brune, dans le même secteur. Le long des ruisseaux, repérez les monticules de terre très noire : ce sont les vestiges d'anciennes charbonnières, ces lieux où l'on entassait et cuisait le bois pour le transformer en charbon.

L'ouest de la forêt abrite son patrimoine religieux : la Croix Maigret, un calvaire qui aurait miraculeusement échappé à un incendie, ainsi que la chapelle de la Croix Lamarre. Bâtie au milieu d'une clairière, décorée d'ex-voto, elle a été érigée par un citoyen soucieux d'expier ses péchés.

Au départ de la commune de Sillé-le-Guillaume plusieurs circuits, de niveau très facile et modéré, de 5 à 23 kilomètres, permettent de découvrir ces principaux points d’intérêt. Ces parcours sont téléchargeables sur le site de l'office de tourisme Destination Coco.