Ciarán et Domingos : tempête sur les forêts
« Tout est tombé en une nuit » : le 2 novembre 2023, Paul Sansot, responsable d’unité territoriale en Bretagne, constate avec stupeur les dégâts survenus à la suite du passage de la tempête Ciarán, touchant l’ouest de la région et plus particulièrement le Finistère. Trois jours après, la tempête Domingos, moins intense, fait tomber les arbres déjà déstabilisés les uns après les autres. Dans les forêts de l’ouest du département, jusqu’à 80 % des arbres sont tombés. Des arbres couchés au sol, certains déracinés.
« Le vent, allant jusqu’à 170 kilomètres heure, s’est déchaîné alors que certains arbres étaient encore en feuilles, ce qui a augmenté fortement la prise au vent. Avec des sols également détrempés par la pluie, les arbres n'avaient aucune chance », raconte le forestier. Au vu des dégâts, les équipes de l’Office national des forêts interdisent dès le lendemain l’accès des promeneurs aux forêts pour garantir leur sécurité et se mobilisent dès les premiers jours au sein d’une cellule de crise réunie par la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt et le Conseil régional de Bretagne. Parmi les premiers objectifs fixés : dégager et sécuriser les routes et les sentiers, inventorier les zones touchées et diagnostiquer l’ampleur des dégâts.
Valoriser les bois
La commercialisation des bois joue un rôle essentiel, car sans évacuation des arbres abattus, la phase de reconstitution ne peut être enclenchée. Très vite, un partenariat est mis en place avec les entreprises de travaux forestiers pour procéder aux travaux de dégagement et permettre la vente des arbres mis à terre ou fragilisés. « Les bois cassés par la tempête ont perdu leurs qualités mécaniques, engendrant une perte de matière à l’exploitation et une perte financière importante. Ils seront néanmoins valorisés en bois de sciage* et en bois énergie grâce aux contrats d’approvisionnement passés avec les scieries de ces territoires », explique Marie Dubois, directrice de l'Agence Bretagne.
La première vente des bois de tempête a été organisée le 16 février 2024 et a accueilli des professionnels bretons et du Grand Ouest. À cette occasion, 25 000 premiers m3 de bois (chablis) ont été mis en vente, dont 56% provenant des forêts de collectivités et 44 % des forêts domaniales. Les deux tiers de ces bois ont été vendus. Les articles invendus, principalement en feuillus, sont disponibles sur le catalogue permanent de l'ONF et peuvent bénéficier d’offres.
« De manière préférentielle, l’ONF essaie de vendre les bois sous forme de bois façonnés (exploités bord de route) vers des contrats d’approvisionnement pour la filière. Dans le cadre de notre mission d’expertise, nous assurerons, aux côtés des bûcherons et des entreprises de travaux forestiers, le tri des bois (taille, essence…) et la mise à disposition des acheteurs. Toutefois, en raison du niveau de dégâts et de l’avancée en saison, les lots sont aussi vendus sur pied pour éviter la dépréciation du bois » explique Bruno Cochet, chef du service bois pour l’ONF en Bretagne.
Bois de sciage
* Le bois de sciage ou « bois d’œuvre » est une qualité de bois qui regroupe différents emplois. Les résineux sont utilisés pour la construction, la menuiserie et l’emballage (palette) ; les feuillus pour les merrains, le déroulage, la construction… Ce sont des bois de qualité moyenne à supérieure qui « peuvent être sciés » (bois droit et conforme). À différencier du bois d’industrie et bois énergie (bûche, trituration, panneaux, papeterie…).
Surveiller la forêt
Fin 2023, 101 000 m3 de chablis ont déjà été recensés dans l'Ouest breton, soit l’équivalent d’une fois et demie la récolte habituelle dans les forêts publiques bretonnes. Les premières estimations des peuplements les plus touchés concernent pour 75 % des résineux (dont 35 % de pins) et pour 35 % des feuillus (chêne et châtaignier). Des estimations réalisées sur le terrain et enrichies de données fournies par les drones et les satellites grâce à l'appui du département recherche, développement et innovation de l’ONF.
Une fois les étapes de diagnostic et de sécurisation achevées, les forestiers continueront tout au long de l’année 2024 à surveiller la situation car certains arbres encore en place ont été très largement affaiblis par la tempête. Les conséquences sur la biodiversité seront également analysées. Quant au paysage, il faudra attendre 30 à 50 ans pour qu’une jeune forêt renaisse, et quasiment un siècle pour retrouver l’ambiance forestière précédant la tempête. Cette réalité implique de la part des équipes de l’ONF un important travail de sensibilisation sur les actions sylvicoles à conduire pour accompagner le renouvellement des peuplements.
Plan tempête et plan d’urgence
Au niveau régional, un plan tempête a été activé par la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt Bretagne. Le Conseil départemental du Finistère et la Région Bretagne ont voté fin 2023 un plan spécifique d'urgence qui comporte des mesures pour les massifs forestiers impactés.
Nous avons franchi l'étape de l'urgence : nous nous attelons désormais à préparer la phase de reconstitution. Tout le planning d'activité a dû être réajusté en fonction de cette nouvelle priorité.
Combien de temps met une forêt pour se cicatriser après le passage d’une tempête ?
Des dégâts observés dans d’autres régions
Le département des Yvelines, la Normandie et les Hauts-de-France ont aussi subi les effets de la tempête, conduisant à la fermeture temporaire de quelques forêts domaniales.
Dans la Manche, des rafales particulièrement violentes surtout sur le littoral ont fait d’importants dégâts dans quelques forêts communales de la zone côtière, où 900 hectares ont été détruits pour un volume de bois touché estimé entre 20 000 et 40 000 m3.