L’Estérel, une forêt comme au cinéma
Depuis le village d’Agay dans le Var, il suffit de suivre la RD559 pour que soudain, les palmiers de la Côte d’Azur percutent le Far West américain. Il y a 250 millions d’années, naissait ici le massif montagneux de l’Estérel. De l’embrasement volcanique originel, le lieu garde d’étonnants pitons couleur d’incendie, en surplomb sur la Méditerranée.
Rouge feu, bleu azur, mais surtout vert forêt, tel est l’Estérel, dont la roche déchiquetée porte les quelques 6 000 hectares d’une forêt domaniale haute en couleurs. Au XIXe siècle, les peintres impressionnistes, Claude Monnet en tête, s’éprennent de sa surprenante palette contrastée.
Un siècle plus tard, c’est au tour des cinéastes comme l’américain Otto Preminger de s’amouracher de ce morceau de côte boisée, en commençant par l’iconique RD559, qui apparaît dans de nombreux longs métrages. Pour faire connaissance avec le massif, Christophe Pint-Girardot, de l’Office national des forêts (ONF), conseille d’ailleurs de les imiter, en empruntant cette route que les locaux ont poétiquement rebaptisée route de la Corniche d’or.
Un ancien sentier muletier, devenu légendaire pour ses à-pics vertigineux sur la Grande Bleue : du Clan des siciliens à l’Arnacoeur, ses lacets entre rocher et rivage ont excité l’imagination de plus d’un réalisateur, "comme toute la forêt de l’Estérel en réalité, qui représente un immense espace de tournage de films," s’exclame Christophe Pint-Girardot.
Et le forestier d’égrener les anecdotes, l’humoriste Bourvil sur une plage de galets, l’acteur Guillaume Canet en hydroglisseur sur le lac du Grenouillet… jusqu’au réalisateur américain Woody Allen, qui, en 2015, pour son idylle rocambolesque Magic in the moonlight, filme les stars Emma Stone et Colin Firth filant en cabriolet sur les virages d’une route forestière.
Des accès au massif ouverts à tous
Le cabriolet a disparu, mais la magie hollywoodienne se retrouve aisément sur l’une des routes désertes qui serpentent sur les flancs de l’Estérel. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’occupant les avait construites pour pouvoir accéder facilement à l’arrière-pays. Ainsi approche-t-on aujourd’hui aisément le cœur du massif et ses étonnantes formations rocheuses – une escapade dans un western provençal qui n’a rien à envier au wilderness américain.
"Ces routes sont aujourd’hui en partie fermées à la circulation ce qui nous a permis de créer plusieurs sentiers, explique Christophe Pint-Girardot. Trois sont accessibles à tous, y compris aux personnes à mobilité réduite, et permettent d’arriver facilement à trois points d’intérêt du massif : le Mont-Vinaigre, la Barre du Roussiveau et le rocher Saint-Barthélemy" détaille Christophe Pint-Girardot.
Si par son dénivelé, l’Esterel s’adresse plutôt à de bons marcheurs ou à des vététistes confirmés, ces parcours se caractérisent a contrario par leur piste confortable. "Dans le cas du rocher Saint-Barthélemy par exemple, on accède depuis le parking d’Anthéor au point de vue en une demi-heure à peine."
Découvrez l'interview de Christophe Pint-Girardot, forestier à l'UT Grand Esterel, pour Sud Radio
Cap sur la Corse, petite sœur de l’Estérel
Facilement accessible également depuis Agay, à l’ouest du massif, par la route du bord de mer, "le Cap Dramont, un vrai condensé de l’Estérel sur à peine cinquante hectares, que son classement en forêt domaniale a permis de sauver de l’urbanisation."
Au programme, baignade et grimpe sur les falaises rouge orangé qui donnent sur le port du Poussaï et la plage de galets bleus où en 1944, une partie des forces alliées ont débarqué. En arrière-plan, l’île d’Or, dont les récifs flanqués d’une tour ont servi de modèle au décor de l’une des aventures du reporter Tintin – le dessinateur Hergé s’en serait en effet inspiré pour dessiner son Ile noire…
Les amateurs de randonnée ne sont pas en reste, puisque c’est en montant le sentier balisé jusqu’au sémaphore du Dramont, que se dévoilent les plus beaux panoramas : mer turquoise jusqu’à la Corse, que l’on peut parfois apercevoir sous forme de mirage les matins d’hiver. Une coïncidence amusante, puisque l’Ile de beauté a la même histoire géologique que l’Estérel, rappelle Christophe Pint-Girardot. "Elle s’est détachée du continent lors de la formation des Alpes, d’où la présence là-bas, dans les calanques de Piana, de cette roche rouge typique de la région, la rhyolithe."
Dans les profondeurs du massif
Il ne faudrait pas, néanmoins, que l’Estérel littoral et rocheux, si emblématique du massif, en fasse oublier l’Estérel verdoyant plus discret, presque secret, de l’intérieur des terres.
Direction d’abord, à partir de la station balnéaire de Saint-Raphaël, la maison forestière du Roussiveau, à partir de laquelle un sentier accessible aux personnes à mobilité réduite donne accès à un paysage typique du sud de la France. Le sentier serpente en effet à travers un boisement de myrtes, de pistachiers lentisques et surtout une "suberaie", forêt de chêne-liège (du latin Quercus suber), que les agriculteurs, autrefois, écorçaient délicatement pour en récolter le liège.
Un panorama bucolique mais surtout très sec, et donc particulièrement surveillé de juin à octobre, afin d’éviter que des incendies ne s’y propagent. "Ce n’est pas le cas de tout le massif, qui avec ses pierriers, possède une telle charge minérale, que par ruissellement et condensation, l’eau y reste abondante malgré les fortes chaleurs." Inhospitaliers seulement en apparence, ces pierriers se distinguent dans la végétation des collines par leurs trouées grises : au milieu des buissons de barbe de Jupiter et d’euphorbe arborescente, c’est au creux de leur chaos rocheux que trouvent refuge des espèces rares, telles que l’amarinthe trifide ou l’ail de Sicile.
On imagine mal que l’arrière–pays puisse être aussi sauvage, mais une fois que l’on s’écarte du bord de mer, l’on découvre très vite une nature préservée.
Une terre d’ermites
Quant au marcheur, il lui est facile d’échapper à la chaleur en s’enfonçant dans l’un des nombreuses gorges et ravines encaissées qui creusent le massif. Certaines se remontent facilement, à l’image du ravin du Perthus, à partir du parking du col Belle-Barbe, toujours depuis la commune de Saint-Raphaël. Le randonneur, en suivant le lit que la rivière a creusé dans la pierre, découvre un paysage hérissé de "dykes", des aiguilles rocheuses, et aux belles falaises verticales. Ce vallon, l’un des plus chauds de la région, bénéficie d’un microclimat particulier : "On trouve dans son lit des lauriers roses et des palmiers nains qui ressemblent à s’y méprendre à ceux des oueds marocains," s’enthousiasme le forestier. Une véritable invitation au voyage vers des contrées lointaines, cette fois-ci les oasis luxuriantes de l’Orient.
Loin de l’agitation de la côte, ce havre de verdure d’une extrême tranquillité veut peut-être que la région ait jadis attiré de nombreux ermites. Au Ve siècle, le célèbre Saint-Honorat s’y retire ainsi dans une grotte perchée à flanc de falaise. "C’est mon lieu préféré dans l’Estérel, conclut Christophe Pint-Girardot, car le simple fait d’y d’accéder procède d’un vrai cheminement spirituel." A condition toutefois, ne pas se laisser intimider par la montée vertigineuse.
A partir du parking de la Sainte-Baume (le terme de baume signifiant grotte), le sentier grimpe en effet à pic dans la bruyère et de marche en escarpement, amène à une arche fortifiée suspendue à la falaise. L’ancienne retraite du saint se trouve à l’intérieur d’une grotte, aujourd’hui remplie d’ex-voto qui perpétuent son souvenir.
La légende veut que l’ermite, dont la tranquillité fut perturbée par les habitants, ait aperçu dans le lointain les îles de Lérins, image même de la tranquillité. Il quitta alors son refuge montagnard pour fonder un monastère sur l’île de Saint-Honorat, en face l’île de Sainte-Marguerite également gérée par l’ONF. Une autre forêt, une autre histoire…