A la conquête des insectes avec Fabien Soldati, animateur de réseau naturaliste
Eté 2021 à Gevrey, petite commune bourguignonne proche de Dijon. Il est midi, Fabien Soldati arrive à notre point de rendez-vous situé devant la mairie, dans son véhicule floqué au nom du laboratoire dans lequel il travaille : le laboratoire national d’entomologie forestière, qui allie Office pour les insectes et leur environnement (Opie), association nationale spécialisée et l'Office national des forêts (ONF).
Déjà présent depuis 24h sur la réserve naturelle de Combe Lavaux - Jean Roland, l’animateur du réseau naturaliste Entomologie de l'Office national des forêts (ONF) raconte sa journée de la veille tout en roulant en direction de la réserve. "Hier et ce matin, je suis allé dans des milieux secs où j’ai inventorié une vingtaine d’espèces d'insectes à peu près. Sur cette vingtaine, trois espèces ont été prélevées pour identification ultérieure en laboratoire, parce que ce sont des espèces qu’on ne peut pas déterminer sur le terrain. Il nous faut les analyser davantage pour en savoir plus".
En photos, la séance d'inventaire de Fabien :
Résidant au pied des Pyrénées, au Pôle national d'entomologie forestière de Quillan (Aude), Fabien est amené à se déplacer dans toute la France pour ses missions : réserves naturelles, réserves biologiques en forêts domaniales, parcs naturels nationaux ou régionaux, parcs urbains, ou zones forestières en tout genre. Il y réalise des inventaires. L'objectif : se rendre sur place pour y détecter le maximum d’espèces de Coléoptères présentes.
Ces espèces, souvent utiles à la biodiversité, peuvent parfois se révéler de potentiels nouveaux ravageurs. Celles-ci sont amenées à se développer en raison du réchauffement climatique. Pour exemple, le scolyte, un insecte ravageur, inquiète particulièrement les forestiers européens en raison de son attaque sur les épicéas de plaine, entraînant le desséchement de l’arbre et de considérables dégâts d'ordre économique.
Le saviez-vous ?
En France métropolitaine, il existe environ 12 000 espèces différentes de Coléoptères. C’est plus que le nombre d’espèces d’oiseaux dans le monde entier (environ 10 000) ! Et aussi : l'ONF compte une trentaine de spécialistes des insectes dans son réseau entomologie.
L'insecte, un révélateur du changement climatique
Une fois à l’entrée de la réserve naturelle, une cigale se fait aussitôt entendre. "La Cigale rouge", chuchote le forestier, l’oreille tendue. "C’est curieux d’en entendre aussi souvent dans cette région. Normalement, c’est le bruit de fond que l’on connaît dans les pays chauds ou les zones chaudes. Ici, ce sont des remontées méridionales, car la zone est très sèche, avec du calcaire et c’est ce qu’elles recherchent. On est presque dans un habitat méditerranéen, avec ces corniches et ces chênes rabougris". Un indicateur qui témoigne de la modification importante des environnements naturels en raison du réchauffement climatique.
La réserve de la Combe Lavaux regorge d'espèces exceptionnelles et très étonnantes. Plusieurs d'entre elles sont normalement présentes dans les régions méditerranéennes ou en haute altitude dans le Jura. Mais le climat curieux qui y est présent, ainsi que sa configuration, attire ces espèces.
Quelques instants plus tard, le forestier est rejoint par Jean-Christophe Weidmann, directeur biodiversité et développement durable de la communauté de communes de Gevrey-Chambertin et conservateur de la réserve naturelle nationale. Il nous parle de la réserve, de son rôle et de ses particularités. "La topographie du lieu amène des espèces exceptionnelles ou rares qu’on ne retrouve quasiment pas ailleurs. Scorsonère d’Autriche, Riccia crustata… Des espèces de faune ou de flore très rares en France. […] Il y a aussi des cigalettes, comme la Cicadetta cantilatrix, une petite cigale qui fait très peu de bruit et qu’on a du mal à entendre, passé un certain âge, car son chant est à la limite de l’audible."
Ici, aucune coupe de bois n’est réalisée pour pouvoir protéger au maximum le maintien et le développement de ces espèces. "Cela ne veut pas dire que ces espèces sont en danger dans les zones de production de bois. Mais l’absence de production de bois permet à davantage d’espèces rares de loger dans ces forêts-là", poursuit-il. Pour autant, chaque forêt, dont celles exploitées pour le bois, abrite une biodiversité différente et tout aussi importante.
La deuxième journée d’inventaire en compagnie de Fabien Soldati est consacrée à l’observation des Coléoptères saproxyliques. Il s’agit d’espèces d'insectes qui, au moins à un stade de leur vie (larve ou adulte), dépendent du bois mort ou de champignons lignicoles associés.
Pour la plupart nocturnes, ou cachées dans les profondeurs du bois, ces espèces sont difficiles à observer par les naturalistes. Mais Fabien a l’habitude de cet exercice, grâce à des méthodes bien rôdées. Il définit une zone à explorer, puis analyse finement les écorces et leur face inférieure, l’entrée des cavités, les branches, les polypores, les fleurs en lisière ainsi que les feuillages. Un travail réalisé au peigne fin !
Le saviez-vous ? Deux manières de réaliser un inventaire d'insectes...
Les inventaires effectués par les entomologistes peuvent être réalisés de plusieurs manières : soit avec des méthodes de recherche active (observations, etc.) ; soit avec des protocoles utilisant différents types de pièges. Un exemple : la technique la plus utilisée pour les coléoptères saproxylophages est l’emploi de pièges à interception. Ce sont de grandes structures en plexiglas transparent disposées à des endroits stratégiques de la forêt afin d’intercepter la faune circulante 24h/24. En France, le réseau entomologie déploie environ 150 de ces pièges en forêt domaniale chaque année pour répertorier les coléoptères présents dans ces forêts. Des centaines sont disposées par l’ensemble des structures en France. Le rayonnement des pièges est cependant faible : quelques dizaines de mètres. Du coup, un inventaire n’est jamais exhaustif. On ne peut pas tout intercepter. Cela dit, on sait que cette technique permet d’avoir un bon aperçu des cortèges en place et détecte suffisamment d’éléments informatifs sur la fonctionnalité des boisements étudiés. Des méthodes d’analyse permettent ensuite de comparer les forêts de même type entre elles, le protocole étant standardisé au niveau national.
En route pour l'aventure... entomologique !
L’animateur se dirige vers son véhicule afin de se préparer à l’inventaire. "Prête pour l’aventure ?" s’amuse-t-il, vêtu d’un gilet multipoches, d’un chapeau et de sa hachette (la "saproxylibur") qui rappellerait presque le célèbre explorateur Indiana Jones. Mais pour autant, ici, pas de course poursuite dans la forêt. Fabien se prépare à explorer tranquillement la réserve à la recherche de nouvelles espèces à inventorier.
Avis à tous ceux qui souhaitent se promener un jour en compagnie d’un entomologiste : soyez patients, très patients. A chaque pas, Fabien s’arrête et analyse le bois, les rochers, les feuilles… tout ! Il passe au crible le paysage qui déroule sous nos yeux, à la recherche d’espèces intéressantes. Peu importe la raideur du terrain, Fabien l’arpente, monte et descend, à la recherche d’espèces à répertorier, même si pour cela il doit s’aider d’une branche d’arbre transformée pour l’occasion en bâton de marche.
Nos analyses d'espèces remarquables permettent d'aiguiller les gestionnaires forestiers afin de préparer un plan de gestion adéquat et favoriser ces espèces.
Lorsqu’il repère des Coléoptères intéressants, mais hors de portée car perchés trop haut dans les arbres, Fabien sort alors l’arme absolue : une toile pliable qu’il jette en l’air pour lui permettre de s’ouvrir. Cette nappe, de fabrication uniquement allemande, localement appelée Klopfschirm Federstahl, est appelée brustelette. Une fois l’opération accomplie, il secoue alors les branches des arbres pour faire tomber les insectes sur cette toile et pouvoir les observer de plus près. Après quoi, les insectes sont souvent relâchés dans leur habitat.
Sur un gros hêtre mort sur pied, une découverte attire son attention. C’est la deuxième fois qu’il repère cet insecte dans la zone : il s’agit d’un très gros longicorne noir et robuste, le Morime rugueux, ou Morimus asper de son nom d’origine. Perché sur son tronc, cet insecte ne laisse pas indifférent. Avec ses longues antennes et sa couleur mate profonde, il est d’une beauté toute particulière. Bien camouflé dans son arbre, il aurait été difficile de le repérer sans l’aide de Fabien. Déjà connu du naturaliste, l’insecte n’a pas besoin d’aller en laboratoire, inconfondable avec une autre espèce. "Une bonne surprise", explique Fabien, étant donné la rareté de cette espèce en Côte-d'Or. Il est rapidement relâché dans son habitat et retourne à ses occupations.
D’autres insectes, méconnus de Fabien, sont en revanche récoltés grâce à de petits tubes d’échantillon, pour une analyse complète réalisée par ses collègues en laboratoire. "C’est ainsi que, chaque année, des centaines d’espèces sont envoyées au laboratoire pour identification. Plus de 60 000 individus y sont identifiés chaque année, presque pour moitié des scolytes. Par cette diversité étudiée, on détecte en moyenne chaque année entre deux et trois nouvelles espèces invasives en France. Je crains qu’on ne soit qu’au début de ce phénomène."
En parallèle, lors de ses découvertes, Fabien remplit son carnet de bord virtuel afin les répertorier et crée un point GPS pour chaque station inventoriée. Une base de données précieuses pour les entomologistes. A l’issue des inventaires, chaque site possède une valeur patrimoniale et est replacé dans un contexte régional, national, voire international. Ceci permettant de mieux cerner localement les enjeux et de pouvoir favoriser les espèces remarquables présentes.
Car, si ce travail d’inventaire est réalisé par les forestiers naturalistes, c’est bien dans l’objectif de venir en aide dans la gestion forestière. Grâce aux découvertes et aux informations récoltées sur les différentes espèces présentes, les forestiers présents sur le terrain ont alors toutes les clés en main pour gérer chaque forêt et ses particularités, dans le respect de la biodiversité.
Les réseaux naturalistes, forts de plus de 220 membres, constituent une force de frappe en matière d’observations unique au sein d’une seule structure. "Je ne connais pas d’équivalent, au moins en France. Autant de personnes qui œuvrent dans ce domaine et qui connaissent en plus parfaitement, par leur profession de forestier, les forêts qu’ils inventorient". Ce métier d’entomologiste, qui anime Fabien Soldati depuis déjà depuis bien longtemps, le guidera sûrement pendant encore bien des années.