Il est crucial d'anticiper dès maintenant et de se mobiliser collectivement

Aurons-nous suffisamment de graines pour reboiser les forêts à la hauteur des défis d'aujourd'hui et de demain ?
entretien avec Brigitte Musch, responsable du conservatoire des ressources génétiques à l’ONF.

Aujourd’hui, quel est l’état des lieux des ressources en graines ? Y a-t-il des risques de pénuries ?

On observe déjà des tensions et ce phénomène est récurrent. Il faut avoir en tête que nous avons affaire à des espèces sauvages : des arbres peuvent geler, des graines immatures tomber, et le réchauffement climatique amplifie ces risques. On observe des alternances de fructifications qui font que, naturellement, les pénuries existent. Et elles seront aggravées en raison de deux éléments : le climat et le fait qu’il y a des demandes plus diversifiées.

On pense que les tensions les plus importantes porteront sur des espèces que l’on a peu ou pas en France, parce qu’on n’a pas identifié et sanctuarisé les lieux où les récolter, et que nous ne sommes pas seuls à vouloir les récolter. On se met tous à rechercher ensemble les mêmes choses.

Comment procéder face à cette réalité ?

Il est crucial d’anticiper dès maintenant, tous ensemble. Collectivement, et chacun à son échelle, cela implique que toutes les forêts domaniales et communales puissent porter la dynamique, faire remonter leurs besoins, leurs connaissances et leurs observations. Forestiers, référents « graines et plants », élus, chercheurs… C’est sur le terrain et grâce au terrain que de nouveaux peuplements classés, répondant aux enjeux d’adaptation au changement climatique, seront identifiés et proposés et que l'on pourra ainsi espérer répondre à la demande de graines qui concerne toutes les forêts françaises.

Ainsi les essences introduites seront en phase avec les réalités et spécificités de chaque milieu. Cette mobilisation est essentielle et la dynamique doit être renforcée pour réussir à disposer de graines de qualité et en quantité suffisante...

C’est sur le terrain et grâce au terrain que l’on peut espérer répondre à la demande de graines qui concerne toutes les forêts françaises.

Des graines sont-elles aussi à aller chercher dans d’autres pays dont le climat est proche de celui que connaîtra la France bientôt ?

Cette ouverture à l’international a démarré fin 2021 et se poursuit chaque année, à raison de 2 à 3 nouveaux pays. Sont concernés aujourd’hui : la Belgique, la Hongrie, l’Espagne, l’Allemagne, la Suède et, ponctuellement, la Turquie. D’autres relations approfondies sont également prévues avec les forestiers italiens, algériens et géorgiens. Parmi les enjeux phares de cette démarche : nourrir notre stratégie nationale « Adaptation des forêts au changement climatique », l’enrichir d’actions nouvelles et, effectivement, renforcer la filière graines et plants française.

Les essences et provenances forestières situées dans l’Est (Hongrie, Géorgie, Turquie) et le Sud (Espagne, Italie, Grèce, Algérie, Maroc) nous intéressent particulièrement. Elles pourraient se révéler plus résilientes avec le climat projeté en France que celles actuellement situées dans la majeure partie de notre pays. Mais enrichir ce « cocktail » d’essences ne sera pas une tâche aisée pour nos forestiers français. Nouer des contacts durables avec les gestionnaires de ces filières est indispensable pour développer, à moyen terme, des échanges commerciaux. Mais le préalable indispensable est la conformité des règles strictes européennes et françaises en la matière.

Quelles sont ces règles ?

La démarche d’importation des graines est très encadrée. Il nous faut disposer des passeports phytosanitaires pour savoir d’où viennent ces graines, comment elles ont été récoltées, quelle est l’essence forestière concernée, d’où elle provient exactement... Cela afin de pouvoir réagir si on observe un problème lors de son introduction et acclimatation dans les forêts françaises. Avec les États-Unis, ce circuit est assez fluide grâce à la présence chez eux de laboratoires certifiés. Mais une fois le certificat obtenu, nous sommes confrontés à un autre enjeu : celui de l’acheminement des lots de graines. Où et comment trouver les bons intermédiaires pour effectuer le voyage jusqu’en France ? Pour l’instant, nous expérimentons. Sur des petits lots, l’idée est de faire appel à un transitaire capable d’assurer, d’une traite, le circuit de transport du lieu d’origine jusqu’au lieu d’arrivée des graines. La traçabilité est essentielle : il est hors de question d’importer des maladies !