La forêt : un indispensable pour une planète décarbonée
La neutralité carbone : quand et comment ?
Retour sur l’histoire d’un objectif environnemental ambitieux pour la France
Le protocole de Kyoto, en 1997, marque sans aucun doute le début de l’histoire du suivi de notre empreinte carbone. À cette occasion, les Etats en présence prennent conscience de la nécessité de décarboner leurs industries, souvent très polluantes. En 2016, lors de la signature des Accords de Paris, presque vingt ans plus tard, le défi reste entier. Les Etats réitèrent leurs engagements à faire reculer le réchauffement climatique. La France, dans ce cadre-là, s’est fixée un objectif ambitieux : celui d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050.
Mais la neutralité carbone, c’est quoi ? Selon le Parlement européen, la neutralité carbone implique un équilibre entre les émissions de carbone et l'absorption du carbone de l'atmosphère par les puits de carbone.
Pour rappel : la plus forte concentration de gaz à effet de serre (dont le CO2) dans l’atmosphère provoque en cascade une élévation de la température à la surface de la Terre. En somme, il y a donc urgence à réduire dès à présent l’accumulation de ces gaz dans l’atmosphère, afin de limiter l’augmentation de la température planétaire. Pour répondre à cette ambition, la forêt est une alliée de taille : l’écosystème forestier est, après le plancton océanique, le principal puits de carbone naturel planétaire.
Aujourd’hui, la question du carbone occupe une place prépondérante dans notre société. La filière-bois est l’une des réponses à cette question. En effet, il y a un enjeu énorme autour de la forêt : elle sera l’un des outils incontournables pour atteindre la neutralité carbone que vise la France à l’horizon 2050. Néanmoins, elle rencontre des difficultés qui nous interrogent : les dépérissements, les incendies et à plus large échelle, les changements climatiques. Tous ces facteurs ont tendance à réduire la capacité de la forêt à absorber le CO2, ce gaz à effet de serre et donc à limiter ce puits de carbone naturel précieux qu’est la forêt.
Agir, malgré l’incertitude, pour réussir à protéger et adapter les forêts au changement climatique est au cœur de nos missions. De même, garantir un bois d’œuvre de qualité, qui lors de son utilisation continue de stocker du carbone, constitue un impératif. Adaptation et atténuation : tels sont les leviers pour réduire et éviter les émissions de tonnes de CO2 !
Un scénario carbone pour la filière forêt-bois
Préserver les forêts, c’est aussi garantir une nécessaire utilisation du bois dans notre quotidien. 90 % des Français plébiscitent ce matériau pour la construction, l’ameublement et la décoration. Esthétique, source de bien-être, c’est aussi un matériau d’avenir, résolument écologique. Une fois coupé et exploité, le bois continue, pendant 50 à 100 ans, de stocker le carbone préalablement capté par l’arbre.
Chaque année, ce sont environ un à deux millions de tonnes de CO2 qui sont capturés grâce à l’utilisation du bois d’œuvre dans les charpentes, les parquets, les meubles, etc. Dans l’ameublement ou dans la construction, ce matériau vertueux permet aussi de se substituer à d’autres plus énergivores, comme le béton ou l’acier. Redonner au bois la place éminente qu'il a historiquement connue jusqu'à la révolution industrielle est donc un véritable enjeu pour l’avenir.
C'est dans cette perspective que l’ensemble de la filière forêt-bois, réunie au sein de l’interprofession France Bois Forêt, s’est mobilisé d’une manière inédite en 2023 afin d’aboutir à un scénario « de convergence ». « L’idée est de réconcilier offre et demande en augmentant, à l’échelle de la filière, la part du matériau bois, notamment à longue durée de vie (construction et ameublement) et la part de recyclage, afin de maximiser l’apport de la filière dans la Stratégie nationale bas-carbone », explique Christine Deleuze, chercheuse et directrice de projet « Stratégie carbone » à l’ONF.
Rendre la forêt moins vulnérable au changement climatique, anticiper les dépérissements, favoriser le développement des essences feuillues, valoriser les récoltes de bois de crise (bois issu d’arbres dépérissants) pour contribuer à la décarbonation de la société : telles sont quelques-unes des pistes étudiées avec l’aide du cabinet Carbone 4.
Pour agir sur l’atténuation du changement climatique, il faudra également que la société joue pleinement son rôle en plébiscitant le matériau bois dans ses usages quotidiens. « Quelle place les Français veulent-ils donner au bois local, géré durablement dans le respect de la vie et de l’accroissement des forêts ? C’est une question majeure et un sujet d’avenir qui engage aujourd’hui chaque citoyen », rappelle Albert Maillet, directeur forêts et risques naturels à l’ONF.
sont capturées par les forêts chaque année en France
des émissions de gaz à effet de serre hexagonales sont aujourd’hui compensées par la forêt française
Un puits de carbone c'est quoi ?
Un puits de carbone est essentiel pour atteindre la neutralité carbone car il représente justement un système qui absorbe plus de carbone qu’il n’en émet.
Est-ce vrai que les jeunes arbres stockent plus de carbone que les vieux ?
Pour cette première question, on peut faire une vraie réponse de Normand ! Non, car plus un arbre est vieux (donc souvent gros), plus sa machine à capter du carbone est importante ; en tout cas plus importante qu’un jeune arbre. Oui, car pour une même surface, on a beaucoup plus de jeunes arbres que de vieux qui ont besoin de place.
Un vieux peuplement stocke plus de carbone puisque tout le bois des vieux arbres, c’est du carbone accumulé depuis des décennies. Mais un jeune peuplement a un flux de carbone plus élevé qu’un vieux : il capte plus de carbone à l’hectare, car il y a beaucoup de jeunes tiges en pleine croissance.
On estime que le pic d’absorption du carbone se situe à 30 ans environ pour les résineux et à 50 ans pour les feuillus. Ensuite, la courbe baisse.
Attention, cela ne signifie pas pour autant qu’un arbre de 200 ans ne continue pas à stocker du carbone. Tant qu’il continue à grandir et à faire de nouvelles feuilles, il capte du CO2. Le flux est moins soutenu, mais il ne s’arrête pas.
En dépérissant, un arbre relâche-t-il du carbone ?
Un arbre respire comme les animaux et les hommes et donc libère du CO2 ; et ce principalement la nuit car il n’y a pas de lumière pour la photosynthèse. Il libère aussi du CO2 en faisant tomber ses feuilles et jeunes branches. Ces débris de végétaux vont être transformés et cette action va libérer du CO2 et du méthane dans l’atmosphère, comme nous quand nous faisons plus d’efforts et respirons plus, mais l’avantage c’est que cela va aussi enrichir le sol en carbone ! Quand l’arbre dépérit et devient du bois mort, c’est le même phénomène mais en plus grand. Il libère du CO2 dans l’atmosphère et aussi dans le sol.
Une forêt peut-elle avoir un bilan carbone neutre ?
Une forêt à l’équilibre comme la forêt naturelle amazonienne est donc quasiment neutre en carbone car la croissance est équilibrée avec la mortalité. Mais aujourd’hui, lors d'années sèches, ces forêts deviennent des sources de carbone. Ce qui montre le risque que font peser les changements climatiques sur ce bilan de carbone.
Quelle est la situation des forêts françaises ?
Les forêts métropolitaines, à condition d’être gérées durablement, constituent aujourd’hui des puits de carbone. D’une part, car après une phase d’expansion de 50 % de leur surface au siècle dernier, nos forêts continuent de croître et donc de stocker du carbone. D’autre part, car la récolte de bois, majoritairement destinée aux produits-bois à longue durée de vie (charpentes, panneaux ou isolants à base de bois, produits pour l’ameublement…) permet de prolonger le stockage du carbone.
Ce puits s’est cependant affaibli ces dernières années, passant de 83 millions de tonnes de CO2/an en 2018 à 31,2 aujourd’hui, à la suite de nombreux dépérissements. Les incendies de 2022 accentuent ce déclin et montrent toute l’importance, pour l’atténuation, d’adapter nos forêts aux changements climatiques et aux risques accrus.
Le sol et la biomasse forestière, réservoirs de carbone
Le sol est un réservoir de carbone forestier très important puisqu’il contient 51 % du carbone stocké en forêt. Ses stocks se divisent en deux compartiments : l'humus, dont la litière (144 MtC), et la matière organique des sols mesurée entre 0 et 30 cm de profondeur (1301 MtC).
La biomasse forestière contient également du carbone. Une partie dans la biomasse vivante (aérienne, racinaire) et une autre dans biomasse morte : 987 MtC dans le tronc et les branches, 281 MtC dans les racines, 114 MtC dans les ligneux bas et le bois mort sur pied ou au sol. Source : Forêt et usages du bois dans l'atténuation du changement climatique, ADEME
A l’ONF, les forestiers œuvrent à la protection des sols dans le cadre de la gestion courante des forêts. Parmi les actions et les outils développés :
- mise en place de cloisonnements sylvicoles (chemins limitant le passage des machines à des zones dédiées) dans le cadre de l’exploitation forestière
- délivrance, pour les entreprises de travaux forestiers, de recommandations de protection des sols assortis d’une méthodologie décisionnelle et d’innovations technologiques permettant d’alléger la portance des machines (guide Pratic’sol édité par l’ONF et la FNEDT),
- création avec INRAE de l’application "For-Eval", pour aider les forestiers à caractériser les sols des forêts et à réaliser un diagnostic de sensibilité instantané pour mieux protéger ces réservoirs de carbone. L’application calcule également le réservoir en eau du sol et donc son pouvoir de "tampon" vis-à-vis des variations climatiques, paramètre clé du choix d’essence en climat futur.