«La vitesse de dégradation des peuplements forestiers est inédite»
Quand on les interroge sur l’état actuel de santé des forêts, les forestiers parlent d’une « tempête silencieuse ». Qu’est-ce que cela signifie exactement ?
Erwin Ulrich : Cette tempête n’est plus vraiment silencieuse. Elle se traduit aujourd’hui par des événements climatiques de plus en plus forts et de plus en plus fréquents qui font réagir les essences forestières. Leur physiologie n’étant plus adaptée à ces données climatiques nouvelles, les arbres sont parfois littéralement dépassés. Certains sont capables de s’adapter, d’autres non, le tri est en train de se faire. On estime actuellement que 670 000 hectares de la forêt française sont dépérissants. Heureusement, ces surfaces sont connues de l’ONF et depuis environ quatre ans, les forestiers travaillent pour les renouveler et les rendre plus résilientes au climat de demain.
Grâce à l’expertise de nos chercheurs et aux connaissances éco-physiologiques dont nous disposons, nous essayons d’avancer et même de devancer ce qu’il pourrait se passer dans les forêts qui sont actuellement en bonne santé, grâce à plusieurs outils de suivi et différents schémas de décision. C'est un immense espoir.
Aléas climatiques, crises sanitaires… à quel niveau de gravité sommes-nous aujourd’hui ? Les forêts entrent-elles dans une nouvelle ère ?
E.U : Ce qui est nouveau et inédit, c’est la vitesse du réchauffement climatique et de ses effets, ainsi que la vitesse de dégradation de nos peuplements forestiers. Il y a un vrai changement qui se joue en ce moment, et les arbres eux aussi sont en train de changer, de s’adapter. C’est précisément là-dessus que résident tous nos espoirs : la capacité d’adaptation génétique des essences forestières.
Les essences aujourd’hui fragilisées sont en train de récupérer des informations climatiques et se refabriquent à partir de cela un patrimoine génétique plus fort, plus adapté, plus résilient. Nous ne connaîtrons vraiment les résultats de ce qu’il se passe actuellement que dans une cinquantaine d’années, mais beaucoup de généticiens apportent déjà des réponses très encourageantes. Antoine Kremer, illustre chercheur à INRAE qui travaille particulièrement sur le chêne, a prouvé que de grands bouleversements génétiques s’observent déjà d’une génération à l’autre en étudiant des peuplements et leurs descendants dans différentes forêts françaises. Ce qu’il a révélé atteste d’une réelle capacité d’adaptation.
Si le chêne, fleuron de la forêt française, est menacé et qu’il vient à se raréfier, les conséquences pour la filière forêt-bois seront particulièrement préoccupantes ?
E.U : Si le chêne venait à disparaître, cela déséquilibrerait grandement le secteur bois d’une part, et l’ONF de l’autre. Sur les volumes prélevés, le chêne représente 17 à 18% des volumes vendus. Ce qui équivaut à 50% des revenus de l’ONF. Nous avons la chance d’avoir de nombreuses chênaies dans les forêts publiques donc même si elles sont aujourd’hui affaiblies, nous disposons encore de temps pour les étudier et anticiper les menaces grâce au travail de terrain et aux recherches menées en parallèle. Il faut néanmoins se faire à l’idée que le modèle économique pourrait être bouleversé et qu’à ce niveau-là aussi, nous serions forcés de nous adapter.
Fort heureusement, les chercheurs et les forestiers de l’ONF sont déjà en train d’anticiper un tel phénomène en étudiant l’ensemble du cortège de chênes. Ils s’intéressent particulièrement au chêne pubescent et d’autres espèces de chênes des pays situés au sud de l’Europe afin de découvrir s’il est en mesure d’offrir des peuplements aussi beaux que les chênes sessile et pédonculé.
En s’appuyant sur cet état des lieux actuel, quels sont les scénarios de l’ONF ?
E.U : Actuellement, les techniciens forestiers, les chercheurs de l’ONF ainsi que tous nos partenaires scientifiques mettent tout en œuvre afin de préparer l’avenir de la forêt. Leur approche est diversifiée et permettra peut-être que 20% à 50% de ce qu’ils expérimentent aujourd’hui réussisse. Car il faut le dire, tout ne réussira pas. Mais ne rien faire serait pire. D’autant plus que nos sociétés ont besoin de bois et que le réchauffement climatique s’accélère, alors aujourd’hui l’ONF se fait une discipline d’explorer toutes les options et de soutenir humblement la forêt afin qu’elle puisse continuer à remplir toutes ses missions.
Il ne faut absolument pas entretenir le pessimisme, mais lutter de toutes nos forces contre ces dépérissements en adaptant les forêts et en favorisant leur résilience. Notre énergie doit être placée dans l’action et dans l’optimisme. Si nous poursuivons notre travail, alors nous y arriverons. Rappelons d’ores et déjà que chaque année, la forêt s’étend. Depuis 1985, la forêt métropolitaine s’agrandit chaque année en moyenne de 85 000 hectares … Et ce chiffre aussi est porteur d’espoir !