Petite histoire de la propriété forestière publique en Guadeloupe
La forêt de Guadeloupe a fait partie du domaine royal français dès le XVIe siècle. Les événements politiques – la Révolution française, la fin de l’ère coloniale, la naissance de l’Office national des forêts ou la loi "littoral" – ont construit un paysage juridique particulier. Les diverses parties de la forêt ont des statuts différents, que l’histoire a forgés. Partez à la découverte de plusieurs secteurs forestiers.
Du domaine colonial à la forêt départementalo-domaniale
Au XVIe siècle, la forêt de Guadeloupe faisait partie du "domaine royal" puis elle a appartenu au "domaine colonial public" à partir de 1825. La forêt publique, dont les limites ne sont pas à cette époque encore clairement et officiellement identifiées, est alors propriété de la colonie et gérée par l'Administration coloniale.
En 1946 la Guadeloupe devient Département français d’Outre-Mer. Un décret de novembre 1947 mit en œuvre la répartition de l’ancien domaine colonial (public et privé) entre l’État, le Département et les Communes. Une circulaire interministérielle précisait que les forêts étaient susceptibles d’être attribuées à l’État en considération du danger de déboisements incontrôlés et de la nécessité d'entreprendre des travaux onéreux pour gérer et développer le domaine forestier.
Mais le Conseil général de l'époque attaqua ce décret, en vertu d’un avis du Conseil d’État de 1948 stipulant que "l’ancien domaine privé de la colonie doit être regardé comme constituant le domaine privé du département”.
Finalement, un arrêté interministériel de 30 juin 1948 aboutit à un statut juridique inédit de la forêt : le département est propriétaire du foncier, et la gestion de la forêt est assurée par l'Administration d'État comme s'il s'agissait d'une forêt domaniale. Ce qui a pour conséquence l’application du régime forestier. L’Office national des forêts créé en 1964 a pris le relai de l’Administration des Eaux et Forêts dans cette gestion. Ainsi, cette forêt au statut particulier prit le nom de "forêt départementalo-domaniale".
La délimitation générale de cette forêt, d’une surface de 27.776 hectares, a été théoriquement arrêtée par le Gouverneur de la Colonie en 1903 mais n’a été réellement mise en œuvre qu’à partir de 1930, jusqu’au milieu des années 50.
Le cas des anciennes concessions agricoles
Historiquement des concessions de lotissements agricoles sur le domaine forestier colonial ont été accordées de 1898 à 1946.
Dans un premier temps il était possible aux concessionnaires de devenir à terme propriétaire du terrain si un certain nombre de conditions étaient remplies, en vertu des règlements des concessions forestières votés par le Conseil général de la Colonie et appliqué par l'Administration coloniale.
Dans les faits, cette volonté du Conseil général de la Colonie de faire accéder les "petits agriculteurs" à la propriété de leur terre, n'a pas été bien mise en œuvre pour de multiples raisons : manque de moyens pour procéder aux délimitations des lots, contestations en justice des limites basses des lots par les propriétaires riverains, non-respect de la réglementation pour la distribution des lots et des conditions permettant d'accéder à la propriété, contrôles et régularisations par l'Administration erratiques, non enregistrement au bureau des hypothèques de la propriété par le nouveau propriétaire… Toutes ces embûches ont abouti au fil du temps à une situation foncière extraordinairement complexe et confuse.
A partir de 1940, la situation devient plus claire : les nouvelles concessions agricoles ne sont plus accordées qu' "à titre de simple tolérance, toujours révocable, pour une durée qui ne peut être inférieure à 4 ans ni supérieure à 10 ans." aux termes du nouveau règlement des concessions forestières adopté par le Conseil de la Colonie le 14 juin 1940.
Le principe d'inaliénabilité du foncier et de retour à l'état boisé au terme de toute concession accordée en forêt départementalo-domaniale prévaut depuis que l’ONF exerce la gestion. Cela n'a pas empêché certaines régularisations foncières de se faire au cas par cas par instruction des dossiers de contestation de propriété par une commission départementale ad hoc.
Quelques photos d'archives départementales de la forêt de Guadeloupe
Le domaine public lacustre maritime
Dans les deux départements des Antilles, Guadeloupe et Martinique, "les bois et forêts qui font partie du domaine public maritime et lacustre de l'État et ceux qui font partie du domaine départemental relèvent du régime forestier" (article L.271.2 du code forestier). La mise en œuvre du régime forestier est ici une mesure originale qui s’applique à des biens du domaine public, alors que l'on a traditionnellement exclu cette possibilité dans l’hexagone. Cela répond à une particularité de l'Outre-Mer, où le domaine public maritime et lacustre présente un état boisé naturel qui n'existe pas en métropole et qu’il y a lieu de protéger grâce au régime forestier.
Le domaine public lacustre maritime de Guadeloupe couvre 5.049 hectares. Il est rarement matérialisé sur le terrain ce qui peut favoriser les empiétements illégaux.
Domaine public, domaine privé ?
En droit français, le domaine public est l'ensemble des biens (immeubles ou meubles) appartenant à l'Etat, à des collectivités locales et à des établissements publics, qui sont affectés à une utilité publique.
Le domaine public maritime a été quant à lui, été défini par l’ordonnance de Colbert sur la Marine en 1681.
Les personnes publiques possèdent, à côté de leur domaine public un domaine privé, (historiquement, appartenant au Roi) qui relève approximativement des mêmes règles juridiques (celles du Code civil) qu'un bien appartenant à une personne privée. Par ailleurs, la loi peut classer dans le domaine privé des biens affectés à un service public ou utilisés par le public. C'est le cas notamment des bois et forêts des personnes publiques relevant du régime forestier.
La forêt départementale
La forêt départementale provient de l’achat de différents terrains privés qui ont ensuite bénéficié du régime forestier au fur et à mesure de leur acquisition. Elle couvre 1.663 hectares. La nouvelle réserve biologique dirigée du nord-Grande-Terre d’une surface de 248 hectares y est incluse.
À titre d’exemple, la zone de Folle Anse fait partie d’un ancien domaine acquis par la Société de développement de la Guadeloupe pour le compte du Conseil général. Cet ensemble immobilier représentait la réserve foncière du département sur la commune de Grand Bourg.
Les “cinquante pas géométriques"
Pour des raisons économiques, sociales et surtout stratégiques, le roi de France décidait en 1674 de rattacher à son domaine une bande de terre entre "le dernier flot" et les premières concessions, pour constituer la réserve dite "des Cinquante pas du Roy" désignée aujourd'hui sous le nom de "Zone des cinquante pas géométriques". Elle représente une bande boisée de 81,20 mètres de large à partir du rivage, pour 1.362 hectares. Le maintien de cette bande avait pour objectif de rendre plus difficile I'abord des îles et de permettre la libre circulation et la mise en place de batteries de défense (canons) des rades et accès tout le long du littoral.
Ces "cinquante pas" furent inclus à la Révolution française dans le "domaine de la Nation", puis devinrent domaine public de I'État. À ce titre ils étaient imprescriptibles et inaliénables. Ce qui signifie que les occupations de cet espace littoral revêtaient un caractère précaire. Des concessions ont cependant été accordées par des arrêtés du gouverneur. Et même à l’intérieur des bourgs et villages, des titres de propriété définitifs de terrains non bâtis ont été attribués sous conditions…
Les portions boisées de cette zone ont de tout temps bénéficié du Régine forestier. L'extension aux départements antillais de la législation forestière métropolitaine par décret du 30 décembre 1947 devait confirmer cette position. C’est ainsi que le Service forestier de l'époque a assuré la surveillance de la quasi-totalité de la zone des " cinquante pas ".
L'inaliénabilité et I'incessibilité des "cinquante pas", devenus domaine privé de I'État a pris fin par un décret de 1955. Une grande partie de la zone des "cinquante pas" a été remise provisoirement au ministère de l’Agriculture (Eaux et Forêts), selon procès-verbal du 10 juin 1955, afin d'assurer une protection efficace contre d'éventuelles occupations irrégulières qui auraient entravé la cession ultérieure. Le décret de 1955 prévoyait cependant la possibilité de cession ou de vente amiable des terrains "propres", notamment au développement du tourisme, sans qu'aucune condition particulière ne soit prescrite. Si bien que des découpages, justifiés le plus souvent par l’opportunité, affectèrent des sites naturels supports de l'activité touristique.
Avec le développement urbain des années soixante - auquel s'ajoute I’implantation, plus dispersée, d'occupations illicites - et devant les extractions abusives de sable entraînant la dégradation de nombreuses plages, l'ONF a sollicité auprès du ministère de I'Agriculture, l'affectation des portions du littoral encore relativement peu dégradées pour les faire bénéficier du Régime forestier. Cette politique d'incorporation s'est traduite par la remise de 1.502 hectares de terrains qui constituent désormais la forêt domaniale du Littoral de Guadeloupe : 368 ha en 1975, 471 ha en 1976 et 663 ha en 1980.
Il faut préciser que, malgré la loi "Littoral" de 1986, réintégrant la zone des "cinquante pas" dans le domaine public maritime de l'État, les terrains de I'État relevant du régime forestier et affectés à l'ONF conservent leur statut de domaine privé de l'État.
Les terrains du Conservatoire du Littoral
Enfin, certains terrains du Conservatoire du littoral pour une surface de 197 hectares dont 74 hectares de la nouvelle Réserve biologique dirigée du nord Grande-Terre ont ensuite bénéficié du régime forestier. En effet, tout le domaine géré par le Conservatoire du littoral, par achat ou affectation, ne bénéfice pas automatiquement du régime forestier.
L’ONF intervient en appui technique sur ces terrains dans le cadre d’une mission d’intérêt général financée par le ministère de la Transition écologique et solidaire (MIG-DOM).